L’Ostalgie d’Attila

Directeur d’un des groupes de presse les plus importants du pays, Attila Galambos est un entrepreneur à succès. Mais il regrette parfois l’insouciance des années 1980, avant la chute du communisme

Voici plus de mille cinq cents ans, Attila régnait depuis ce qui est aujourd’hui la ville de Györ, en Hongrie. Redouté dans le reste de l’Europe pour ses incessantes conquêtes territoriales, souvent accompagnées de pillages, le roi des Huns reste un personnage apprécié sur sa terre natale. Dans les années 1970, de nombreux parents ont donné son nom à leurs enfants. A quelques mois de l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne, Attila Galambos, né en 1971, est un ancien étudiant raté, devenu en une dizaine d’années un roi de la presseà

Pour un Attila des temps modernes, il ne paie pas de mine. C’est un grand gaillard de 1,91 mètre, avec un embonpoint qui laisse deviner un goût certain pour la bonne chère. Mais sa chemise vaguement sortie du pantalon, son large sourire et sa mèche de cheveux rebelle lui donnent l’allure d’un collégien toujours entre deux parties de foot. L’impression est fausse. D’abord, c’est à la pratique du basket qu’il consacre ses week-ends. Ensuite, le rédacteur en chef de Pesti Est, un hebdomadaire gratuit consacré aux arts et aux spectacles, dirige l’un des principaux groupes de presse du pays. Avec ses 18 éditions régionales, la revue est diffusée à près de 200 000 exemplaires chaque semaine. Pas mal, dans un pays de quelque 10 millions d’habitantsà Chef d’entreprise couronné par le succès, Attila est l’un des meilleurs représentants d’une génération qui avait 20 ans au début des années 1990, après la chute du communisme, et qui a su profiter des possibilités de l’époque.

Ses parents ont quitté l’université dans les années 1960. Dès ce temps-là, dans la Hongrie communiste, il était possible de voyager en Europe de l’Ouest :  » C’est pour cela, sans doute, que la chute du mur de Berlin n’a pas provoqué le même choc chez nous que chez les Polonais, explique Attila. Quand j’étais adolescent, mon père travaillait dans une entreprise d’import- export. Les vacances à l’étranger, les livres et les films critiques à l’égard du Parti, mes parents connaissent tout cela depuis longtemps.  »

L’âge d’or, pour Attila, remonte à la fin des années 1980 :  » Nous ne nous en rendions pas toujours compte mais, avec le recul, il est clair que le régime touchait à sa fin. A partir de 1986, le règlement intérieur des lycées est soudain devenu beaucoup moins rigide. L’uniforme, par exemple, n’était plus obligatoire dans de nombreuses écoles. Et à Buda, où ma famille était installée, de nombreux intellectuels en rupture avec le système avaient pour voisins des membres de l’establishment.  »

Attila passe ses journées dans les salles de cinéma. Il découvre Au feu, les pompiers !, de Milos Forman, et Taxi Driver, de Martin Scorsese. Dans les fêtes privées, lui et ses copains reprennent en ch£ur Nikita, un tube d’Elton John censuré par le régime en raison du prénom russe de l’héroïne.  » C’est une période où, bien que les communistes fussent toujours au pouvoir, notre marge de liberté semblait augmenter de jour en jour, se souvient-il. A Buda, en particulier, nous avions le sentiment d’être protégés. En Hongrie, c’est le long des rues de Buda que la liberté est apparue pour la première fois.  » C’est l’époque où des gamins partent par centaines à la découverte de Vienne et de l’Europe occidentale, grâce à un trafic invraisemblable de faux billets de chemin de fer. L’époque, aussi, où les soirées entre amis durent toute la nuit et où l’alcool coule à flots. L’ambiance de ces années-là est restituée dans un long- métrage de Ferenc Török, sorti en 2000, qui a rapidement acquis un statut de film culte : Moszkva tér (Place Moscou). Le film tire son nom de l’un des principaux carrefours de Buda, lieu de rencontre préféré des jeunes, où de nombreuses lignes de tramway ont leur terminus.

Quel avenir pour la Hongrie ?

La revue Pesti Est est un enfant de l’époque.  » Avec mes copains, raconte Attila Galambos, nous cherchions toujours à quel endroit et à quelle heure les différents événements auraient lieu, du concert de rock dans le sous-sol d’un pub à la représentation de théâtre d’un metteur en scène expérimental. La presse officielle gardait le silence sur ces activités. Alors nous dressions la liste des rendez-vous sur une feuille de papier, qui était ensuite photocopiée et distribuée entre nous. Très vite, on nous a demandé de plus en plus d’exemplairesà  »

Ainsi est né le groupe Est Media. Outre la revue elle-même, l’entreprise a lancé un magazine pour les jeunes, ainsi qu’une publication spécialisée dans le théâtre. Une société de taxis et une station de radio ont dû fermer leurs portes l’an dernier, mais un café-restaurant Pesti Est et une salle de cinéma de 250 places attirent toujours une grosse clientèle dans le centre de la capitale.

 » Nous étions bohèmes, dit Attila Galambos avec le sourire. A présent, que cela plaise ou non, nous appartenons à l’establishment.  » Avec l’âge, l’ancien amateur de cinéma d’art et d’essai, qui ne manquait jamais la projection d’un classique de Buster Keaton, a abandonné les collines de Buda pour la plaine de Pest, sur l’autre rive du Danube.  » Avant, je raisonnais en fonction de mes propres centres d’intérêt. Désormais, à mes yeux, le plus important est de savoir dans quel monde mon fils va grandir.  » Le petit Miklos a 3 ans et demi.  » Je m’en voudrais de sembler nostalgique de la période communiste, reprend Galambos. Ce n’est pas le cas, naturellement. Mais je regrette l’époque où tout le monde se connaissait. Le monde était plus simple. Nous disposions d’une seule chaîne de télévision. A présent, je suis noyé dans un excès d’informations. La planète me semble éclatée et, au fond, je me sens plus seul qu’avant. C’en est fini des conversations qui se terminent aux petites heures de la matinée. Et je le regrette. La plupart de mes compatriotes baignent dans un sentiment de bonheur consumériste. Ils envahissent chaque week-end les supermarchés. Est-ce cela, notre avenir ? Rejoindre l’Union européenne, c’est très important. Mais personne ne comprend quelles seront les conséquences de notre adhésion, au-delà des aspects purement économiques. L’UE peut-elle aider au développement de la société civile, encourager la création des associations, élargir le regard que les Hongrois portent sur le monde ? L’Union européenne donnera-t-elle à Miklos, mon enfant, les moyens de voyager et de suivre des études à l’étranger ? C’est la seule chose qui m’importe. Et, sur ce point, l’Europe me laisse sans réponse. Alors j’ai voté oui, lors du référendum. Et, à présent, j’attends.  » Lui qui a tant profité de l’explosion du capitalisme et du libre marché semble soudain perplexeà l

De notre envoyé spécial

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