L’Orient la nuit

Marianne Payot Journaliste

Du Caire à Beyrouth, Lamia Ziadé ressuscite en mots

De la musique avant toute chose. Et aussi de l’alcool, des cabarets, des chants, de l’opéra, des palaces et des scandales. Paris 2015 ? Non, Le Caire, années 1920, ou encore Beyrouth années 1950. Le Caire, Beyrouth, deux villes de tous les possibles, deux métropoles arabes et cosmopolites. De l’apogée de la Nahda (Renaissance), phase d’émancipation littéraire, politique, nationale, féminine… au fantasme d’un paradis libanais, les rives de la Méditerranée ne furent pas toujours synonymes de fanatisme et de furie. Grâces soient rendues à l’illustratrice Lamia Ziadé, qui, sans occulter la chute de l’Empire ottoman, la colonisation, la guerre en Palestine, la prise du canal de Suez…, nous rappelle, au même titre que le Prix Goncourt Mathias Enard (Boussole), que le Proche-Orient fut un espace d’épanouissement intellectuel et artistique, notamment parmi la gent féminine. Née en 1968 à Beyrouth, la talentueuse Lamia Ziadé nous conte cette embellie à travers quelques superbes portraits (en mots et en dessins) des divas aux voix enchanteresses, d’Asmahan à Fayrouz, en passant par Oum Kalthoum.

Peut-on imaginer vies plus romanesques ? C’est avec Amal, dite Asmahan, que l’auteur ouvre son répertoire. Fille du djebel Druze (Syrie), née en 1917, la jeune et précoce chanteuse impose très vite, dans la capitale égyptienne, sa beauté et son talent. Auprès d’elle, Farid, son frère et alter ego. Contre elle, Fouad, leur aîné, garant du conservatisme. Asmahan s’éteindra assassinée, à l’âge de 27 ans, au terme d’une vie trépidante, ponctuée d’amours tumultueuses. C’est avec le même plaisir que l’on suit l’ascension et le triomphe de  » l’Astre de l’Orient « , Oum Kalthoum, paysanne du delta du Nil métamorphosée en star intraitable. Tout comme ceux de la – timide – étoile de la chanson, Fayrouz, dont la voix continue de charmer bien au-delà du pays du Cèdre.

Pour autant, Lamia Ziadé n’oublie pas les seconds rôles de l’effervescence arabe, à l’heure où radio et cinéma enfièvrent le quotidien : Badia Massabni, enfant de Damas, future papesse des nuits cairotes, Hoda Chaaraoui, féministe patriote qui arrache son yachmak,  » voile fin et élégant qui protège des regards importuns « , dans la gare du Caire en 1923, Rose el Youssef, femme de presse impertinente et avant- gardiste, Mounira el Mahdiya et Fathiya Ahmad, reines éphémères du tarab (émotion poétique et musicale), Leila Mourad, vedette absolue du grand écran… Des hommes aussi – le producteur Aziza Amir, le chanteur Mohamed Abdel Wahab, les compositeurs Daoud Hosni, Mohamed el Qasagbi, le poète Ahmed Rami… – complètent cette fresque tout en couleurs et voluptés d’une époque révolue, digne des Mille et Une Nuits.

Ô nuit, Ô mes yeux, par Lamia Ziadé. P. O. L, 576 p.

Marianne Payot

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