L’ombre du PS sur le dossier des Mésanges

L’incendie qui a ravagé une tour d’habitations sociales, en février 2003, hante encore les Montois. Sept morts, neuf ans de procédure et toujours pas de procès. Un véritable krach judiciaire sur lequel plane l’ombre de plusieurs personnalités politiques.

Le 20 février 2003, un incendie foudroyant dévore la tour des Mésanges, un immeuble social de 12 étages où vivaient 68 familles, dans un faubourg ouvrier de Mons. La tour des Mésanges appartient à la Sorelobo (Société régionale du logement du Borinage), une société coopérative à responsabilité limitée (SCRL). Renommée Toit & Moi après le drame, la société gère plus de 5 000 logements sociaux, abritant 15 000 personnes, à Mons, Colfontaine, Frameries et Quévy. Une baronnie socialiste qui a fait preuve d’une négligence stupéfiante à l’époque de l’incendie. Aux Mésanges, il n’existait pas de portes coupe-feu, les gaines techniques n’étaient pas isolées, le système d’évacuation des fumées était obturé, les extincteurs étaient défectueux, le système d’alarme était débranché. Un piège mortel pour des habitants impuissants devant la bureaucratie sorélobienne, restée sourde aux mises en garde répétées du service incendie de la Ville de Mons.

Cette nuit-là, trois personnes ont perdu la vie après s’être jetées ou être tombées du douzième ou du sixième étage. Les corps sans vie de quatre autres personnes, dont un enfant, ont été découverts au dernier étage, asphyxiés ou brûlés. Cent quarante-trois locataires ont réussi à s’échapper par les escaliers de secours. Beaucoup en ont gardé des séquelles.

Un procès en septembre ?

Depuis 2003, les Montois restent avec leurs questions. Le 20 mars prochain aura lieu, à huis clos, la première réunion de la chambre du conseil qui devra désigner les personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel pour homicide et coups et blessures involontaires par défaut de prévoyance ou de précaution. La décision, vu le nombre d’audiences programmées, n’est pas attendue avant juin. Ce qui laisse peut-être augurer d’un procès en septembre.  » Si tout le monde joue le jeu, s’inquiète Christian Henry, le procureur du roi de Mons. Compte tenu du gel de la prescription qui interviendra dès que l’affaire sera fixée au fond ou en cas d’appel, le délai n’est pas le 20 février 2013, dix ans après les faits, mais le 20 février 2015.  » Mince espoir. Un boulevard s’ouvre pour les avocats de la défense qui voudraient jouer la montre. La Sorelobo, par exemple, a demandé des devoirs complémentaires.

Pourquoi un tel retard ?  » S’il n’y avait pas eu la pression des médias et de la population, on allait tout étouffer, relève Me Bernard Pinchard, l’un des avocats des victimes, par ailleurs secrétaire politique du MR local. On ne sait toujours pas pourquoi ça bloque. Des influences politiques ou maçonniques ? De la paresse ? Je n’en sais rien, mais la question mérite d’être posée. « 

Juste après l’incendie, les autorités ont réuni les locataires hors caméras. Il y avait le bourgmestre Elio Di Rupo (PS), le procureur du roi de Mons, Claude Michaux, le chef de la police locale, Marc Garin, les responsables de la Sorelobo, Claude Durieux (président du conseil d’administration) et Victor Zdanov (directeur-gérant).  » Leur message était qu’il s’agissait d’un incendie volontaire, se souvient Jan Fermon, avocat d’une autre partie des victimes, proche du PTB. Le ton à l’égard des locataires était peu élogieux. On évoquait leur vandalisme alors que la liste des manquements à la sécurité fournie par les habitants était déjà hallucinante. « 

En dépit de l’insistance du procureur du roi à parler d’incendie criminel, le juge d’instruction Alain Blondiaux, qui enquête à charge et à décharge, prend en considération l’hypothèse de l’homicide et des coups et blessures involontaires par défaut de prévoyance ou de précaution. Les clients de Me Fermon se sont constitués parties civiles contre les membres du conseil d’administration de la Sorelobo (dont un certain Elio Di Rupo). Parallèlement à sa recherche de l’auteur du départ de feu, au deuxième étage de la tour des Mésanges, Alain Blondiaux s’adjoint les services de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Mission : passer au peigne fin les écritures et les comptes rendus des réunions de la Sorelobo. Un suspect est arrêté, un certain Abdelhaziz Naime, mais il est relâché au bout de deux mois, faute de preuves. L’enquête s’avère difficile : un suspect est à l’étranger, les batailles d’experts se multiplient, une pénurie d’enquêteurs sévit pendant six mois et, surtout, une obstruction politique majeure s’organise rapidement.

Responsables présumés et suspects

Alain Blondiaux a identifié plusieurs responsables présumés de l’état lamentable des Mésanges : Maurice Lafosse, opposant historique (et défait) de Di Rupo, président du conseil d’administration de la Sorelobo de 1977 à 2001 ; Victor Zdanov, son beau-fils, directeur-gérant depuis 1986, licencié après l’incendie ; Jean- Michel Gosset, directeur technique depuis 1981. Deux personnes bien en cour au PS figurent aussi parmi les suspects : Claude Durieux et Didier Donfut.

Président de la fédération Mons-Borinage du PS depuis 1989, le premier a basculé du clan Lafosse vers le clan Di Rupo. Député permanent de la province du Hainaut, au moment de l’incendie, il préside depuis quatre ans le conseil d’administration de la Sorelobo, une charge qu’il cumule avec celle de directeur-gérant depuis dix-huit mois, à raison de 50 000 euros par an.

Le second, bourgmestre de Frameries, a été directeur-gérant de la Sorelobo entre 1984 et 1985. Il a réalisé pour celle-ci diverses missions qui intéressent par ailleurs la justice montoise. Un dossier-bis a été confié au juge d’instruction Pierre Pilette pour des malversations qui pourraient impliquer cinq personnes. Donfut était également membre actif du conseil d’administration de la Sorelobo. Le drame des Mésanges n’a pas fait pâlir son étoile. Il a succédé à Claude Durieux à la tête de la fédération socialiste de Mons-Borinage, de 2005 à 2010.

Elio Di Rupo savait, par la presse au moins, que ces deux hommes figuraient dans le dossier du juge Blondiaux. Il propose pourtant Claude Durieux au gouvernorat de la province du Hainaut. Nommé le 1er août 2004, ce dernier jouit désormais d’un privilège de juridiction. Il ne peut plus être interrogé que par le parquet général. Quant à Donfut, le président du PS en fait un secrétaire d’Etat aux Affaires européennes dans le gouvernement Verhofstadt II (juillet 2004), puis un ministre wallon de l’Action sociale (juillet 2007). Lui aussi jouit d’un privilège de juridiction. En 2009, il doit démissionner suite à la découverte de ses consultances privées alors qu’il est ministre. Conflit d’intérêt. Ce revers n’a pas empêché Donfut de postuler, en 2011, au poste de directeur-gérant de Toit & Moi (ex-Sorelobo). Il a jeté l’éponge devant la quasi- insurrection du personnel et les réticences de la Société wallonne du logement.

Sans avoir pu interroger ni Durieux ni Donfut, le juge d’instruction boucle son dossier le 8 août 2007 et le transmet au parquet, où il tombe aux oubliettes pendant dix-huit mois. Les victimes s’impatientent.  » Habituellement, le parquet est l’avocat de la victime. Ici, le parquet freine, c’est le monde à l’envers « , constate Me Pinchart. L’actuel procureur du roi, Christian Henry, réfute les critiques adressées à la gestion de son prédécesseur, Claude Michaux, depuis lors promu procureur général de Mons :  » Nous n’étions que 19 magistrats au parquet, l’incendie des Mésanges était un dossier parmi des milliers d’autres, nous n’avions pas de spécialistes en droit pénal des personnes morales et la présence dans le dossier de personnes disposant d’un privilège de juridiction n’a pas été de nature à accélérer la procédure.  » La situation paraît si bloquée que des députés fédéraux interpellent le ministre de la Justice : Denis Ducarme (MR), Juliette Boulet (Ecolo), Jacqueline Galand (MR)… La réponse est invariable :  » L’affaire suit son cours. « 

Néanmoins, le 2 juin 2008, alarmé, le ministre de la Justice, Jo Vandeurzen (CD&V), organise une réunion à son cabinet entre le comité des victimes et Christian Henry, qui représente le parquet.  » Celui-ci était sur la défensive, dépeint Me Fermon. Il a évoqué la complexité de l’affaire, les privilèges de juridiction, des décisions difficiles à prendre… J’avais l’impression qu’il y avait des divergences internes, qu’il craignait quelque chose. Il nous a annoncé qu’il allait transmettre le dossier au parquet général pour examiner la question des immunités.  » Mais une année entière s’écoulera avant que le dossier ne migre enfin vers le parquet général, le 26 juin 2009. L’abondance de la correspondance entre le parquet de première instance et le parquet général prouve l’importance que ce dernier attachait aux Mésanges.

Rebondissement et douche froide

Dans ce théâtre d’ombres chinoises, un autre rebondissement se prépare. Le parquet général de Mons n’a rien fait, apparemment, du dossier des Mésanges. Le tic-tac de la prescription commence à se faire entendre. Les victimes piaffent d’impatience. Le 13 janvier 2009, elles sont reçues par le procureur général, Claude Michaux, qui leur annonce tout à trac qu’il ne poursuivra pas Claude Durieux. Tohu-bohu médiatique. L’avocat général Jean-Claude Leys, substitut du PG, s’avance alors sur la scène. Il promet d’indaguer sur les personnes qui jouissent d’un privilège de juridiction. Les victimes reprennent espoir. Mais, le 31 janvier 2011, un an et demi après cette promesse, c’est la douche froide. Après enquête (mais aucune confrontation), Jean-Claude Leys a décidé de ne pas poursuivre Claude Durieux et s’est déclaré partiellement incompétent pour Didier Donfut, redevenu simple justiciable. L’avocat Pinchart qualifie de  » très étrange  » la position de l’avocat général et lance une citation au civil pour réclamer des dommages et intérêts à l’ancien président et directeur-gérant de la Sorelobo.  » Je n’ai pas envie d’un lynchage médiatique contre Monsieur Durieux « , aurait confié Leys à un proche du dossier.

Malgré les réticences initiales, le dossier des Mésanges a donc fini par suivre la piste indiquée par les locataires. Mais avec tant de détours et de lenteurs que le procès, même s’il décolle, ne pourra peut-être pas atterrir. Ce qui place les parties civiles devant un choix cornélien : demander des devoirs complémentaires au risque de la prescription. Ou s’en abstenir, sachant que des éléments utiles à la manifestation de la vérité judiciaire resteront dans l’ombre. Les avocats de la défense n’ont pas ce problème. Le temps joue pour eux. Les Mésanges ou le récit d’un krach judiciaire. Me Fermon ose le mot de  » maltraitance institutionnelle « .

MARIE-CÉCILE ROYEN

Des éléments utiles à la manifestation de la vérité judiciaire resteront dans l’ombre

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