L’info Noire sur blanc

Lasses de rester hors champ des médias, les communautés africaines de Belgique tentent de faire parler d’elles en créant leur propre presse. Mais le manque de moyens et de crédit, les préjugés et l’amateurisme en font souvent le royaume de l’éphémère

(1) www.lesamisdewetchi.com

Télé-Matonge a passé son deuxième été. Diffusée depuis 2004, deux fois par semaine sur les écrans de Télé Bruxelles (TLB) et sur Internet (1), l’émission, d’une vingtaine de minutes, touche environ 75 000 personnes, selon Michel Huisman, le directeur général de TLB. Soit plus que les seuls Africains de la capitale. L’émission est surtout composée de séquences consacrées à la vie de la communauté congolaise en Belgique, ou tournées au Congo, parfois ailleurs en Afrique selon les moyens et voyages officiels.  » Pour autant, il ne s’agit pas d’un espace concédé aux communautés ou d’une vision communautariste. Le but est que la communauté africaine s’y retrouve, et le défi que d’autres s’y intéressent « , précise Marc de Haan, directeur de l’information sur la chaîne bruxelloise.

 » Le but premier de Télé-Matonge était de donner une meilleure image de la communauté africaine aux autres communautés. Les médias belges donnaient sans cesse une image déformée et réductrice des habitants de Matonge, on ne les voyait pas comme des travailleurs, mais des bons vivants, toujours derrière une bière, quel que soit le sujet sur lequel ils étaient interviewés « , se plaint Cyprien Wetchi, fondateur de Télé-Matonge.  » Lorsqu’il y a une actualité, nous la passons par des yeux africains « , explique Kito Isimba, journaliste de l’émission. L’équipe compte deux salariés, et son studio occupe deux pièces en enfilade d’un banal rez-de-chaussée ixellois, aux recoins comblés de matériel vidéo. Une fenêtre obturée d’un drap de velours noir agrémenté d’une plante verte tient lieu de décor au plateau de l’émission. La contribution de Télé Bruxelles se limite à l’octroi d’un espace de diffusion. Les annonceurs ne se bousculent pas au portillon, alors l’équipe vit en filmant des mariages, et bénéficie d’un appui de la Commission communautaire française de la Région bruxelloise via le Centre pour l’égalité des chances.

Télé-Matonge n’est pas le seul média  » africain  » de Bruxelles. La plupart des radios indépendantes et communautaires de la capitale ( Air Libre, Campus, Panik…) ont depuis belle lurette ouvert leurs micros aux plages africaines. Cela fait des années que, tous les jeudis soir sur Campus, François Kasongo anime Africana,  » espace culturel du monde négro-africain « . Sur FM Brussel, le docteur Phasi reçoit une petite aide de la Communauté flamande pour produire Pasop Afrika, écoutée par 40 000 auditeurs.  » J’ai remarqué que la communauté africaine avait tendance à se rapprocher de la communauté flamande, ajoute-t-il, parce qu’elle y est mieux reconnue « . Depuis deux ans maintenant, l’émission bilingue français/néerlandais propose tous les mois une revue de la presse africaine.

Les médias écrits, enfin, ne sont pas en reste. Dans les rayons surchargés d’un papetier bruxellois, proche de la Porte de Namur, pointe le coin du premier numéro d’ Eurafrique. Nouveau magazine  » africain  » sorti en juin dernier, il traite de  » l’actualité africaine et eurafricaine pour le public africain « , précise le Congolais Joseph Tshombe, son fondateur, qui compte bien toucher un jour les fonctionnaires européens en charge de l’Afrique.

Ephémère

Pourtant, si l’on se tourne vers le passé de la presse africaine en Belgique, l’avenir de la revue apparaît bien incertain. Etablir un bref état des lieux revient à faire l’énumération posthume de titres disparus. Mungazi, Demain le Kasaï, Défis Africains, Le débat des tropiques, Négrissimo, Tam-tam, Afric’events, liégeoises ou bruxelloises, sur papier  » glacé  » ou feuillets agrafés, militantes, catholiques ou branchées, ces revues sont toutes passées à la trappe. Leur disparition met en lumière les difficultés que rencontrent leurs fondateurs, dans un secteur caractérisé par des diffusions sporadiques et aléatoires. Le nerf de la guerre y est particulièrement à vif :  » Trouver des annonceurs importants et réguliers n’est pas chose aisée, explique Joseph Tshombe, car notre communauté est restreinte.  » Le nombre des ressortissants officiels d’Afrique subsaharienne en Belgique s’élève, selon l’Office des étrangers, à un peu moins de 60 000 personnes, pour moitié des Congolais. C’est sans compter les clandestins. Selon le Togolais Gustave Ahadji, directeur du (nouveau) bulletin en ligne Afrology, le manque de moyens financiers touche les médias africains, mais aussi les lecteurs, globalement en situation plus précaire que le lectorat belge.

La seule revue à tenir dans la durée est le bimestriel LAfricain, la revue des étudiants africains en Belgique, qui fête cette année ses 43 printemps. Fondée par un jésuite, le Père Evrard, elle a la chance d’être soutenue par la coopération belge (DGCI) et perçoit une cotisation de ses membres. Réalisée à Charleroi, la revue est distribuée partout en Belgique et ouvre ses colonnes aux études réalisées par des doctorants africains. Pour Michel Hakizimana, son secrétaire de rédaction, si l’on considère l’ensemble de la presse africaine en Belgique,  » outre un problème de moyens, c’est également d’un problème d’organisation dont il est question. Aussi, beaucoup de revues naissent comme tribune de certaines idées politiques lorsqu’un conflit éclate sur le continent. Quand la situation se règle, la revue disparaît elle aussi « .

Rares sont les médias africains en Belgique qui échappent aux critiques d’amateurisme. Pourquoi s’obstinent-ils à exister alors que des revues africaines très professionnelles sont disponibles sur notre marché, comme Jeune Afrique l’Intelligent édité en France ? La réponse est dans l’insatisfaction envers l’information sur l’Afrique diffusée par les médias belges, que les Africains estiment quantitativement et qualitativement faible. Logique événementielle, manque de profondeur, d’espace rédactionnel pour aborder des questions complexes et de relais sérieux dans la communauté africaine… les critiques vont bon train.

Visibilité

Et puis, il y a cette critique récurrente : l’absence d’Africains dans les médias belges, surtout audiovisuels.  » Il faut que l’on retrouve des journalistes et présentateurs africains sur les chaînes belges, réclame Cyprien Wetchi. Je compare souvent ces chaînes à de grandes pages blanches : nous voulons y tracer des taches noires !  » Un sourire de satisfaction illumine son visage à l’évocation du passage de Chouna Lomponda, ancienne présentatrice de Télé-Matonge engagée par Télé Bruxelles, ou de la carrière d’Eric Nyindu, présentateur du journal de TLB, qu’on peut maintenant voir sur TV5, et qui a fait ses premières armes de journaliste avec l’équipe de Télé-Matonge. Ce qui fait dire à Kito Isimba que l’émission a aussi le rôle de susciter des vocations,  » de montrer aux jeunes de la communauté africaine en Belgique que les métiers de l’audiovisuel leurs sont accessibles. Il y a encore quelques années, si on disait à nos parents notre envie d’entamer des études de journaliste, il fallait voir la tête qu’ils tiraient !  » . A tel point que certains jeunes s’autocensurent, en se dirigeant vers d’autres études et domaines professionnels.  » Il est certain que le fait d’être d’origine africaine décuplait le problème, témoigne Chouna Lomponda. Reste à savoir si ces journalistes africains sont eux-mêmes à l’abri des critiques qu’ils adressent aux médias belges. On retrouve ainsi parfois les journalistes de Télé-Matonge interviewant dans les cafés des Congolais imbibés sur des projets de solidarité avec le pays. Qu’à cela ne tienne, c’est surtout, selon les termes de Gustave Ahadji, de complémentarité entre journalistes belges et africains dont l’info a besoin.

Maude Malengrez

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