L’inconfortable position du PS

Après un quart de siècle au pouvoir, les socialistes sortent à peine égratignés du scrutin. Pour Elio Di Rupo et les siens, le spectre de l’opposition s’éloigne… Mais il n’a pas disparu. Analyse.

Lundi matin, the day after, une atmosphère de soulagement régnait au boulevard de l’Empereur, à Bruxelles. Le spectre de l’opposition s’éloignait. Après une nuit d’incertitude, les ultimes décomptes confirmaient que le Parti socialiste avait atteint son principal objectif : maintenir son statut de premier parti tant en Wallonie qu’à Bruxelles.

Pour la formation de Paul Magnette et d’Elio Di Rupo, il était capital, sinon vital, de ne pas se laisser détrôner par le MR en Région bruxelloise. Mission accomplie, de ce point de vue.  » Si les libéraux nous devançaient, cela nous fragilisait clairement. Ils auraient eu alors la possibilité de composer une majorité sans nous « , soupire un socialiste. En pole position, le PS peut prendre l’initiative. C’est lui qui dictera le tempo des négociations, lui aussi qui privilégiera les pourparlers avec certains partenaires plutôt que d’autres.

Se passer du MR ?

Quels partenaires ? Un débat serré pourrait s’engager entre les gros bonnets du boulevard de l’Empereur. Compte tenu de son succès dimanche (38 390 voix), Jean-Claude Marcourt part favori pour le poste de ministre-président wallon. Or le Liégeois n’en fait pas mystère : sa préférence va à une alliance PS-MR en Wallonie. La nette progression des libéraux au sud du pays donne du poids à ce scénario. Mais d’autres galonnés socialistes voient les choses autrement. A commencer par le président du parti, Paul Magnette, favorable à des majorités  » les plus progressistes possibles « , comme il l’a dit et répété. La débâcle écologiste et l’érosion centriste ne l’ont pas fait changer d’avis. Mathématiquement, se passer du MR est jouable : tant l’olivier PS-CDH-Ecolo (47 sièges sur 75) que la  » rouge romaine  » PS-CDH (43 sièges) seraient majoritaires au parlement wallon. A noter aussi : malgré la sévère défaite encaissée par son parti, la coprésidente d’Ecolo, Emily Hoyos, a indiqué qu’elle n’excluait pas que les verts participent au prochain gouvernement wallon. Une déclaration qui en a réjoui plus d’un, au boulevard de l’Empereur.

C’est cependant à la fédération bruxelloise que les réticences sont les plus vives quant à l’idée d’intégrer les libéraux au gouvernement régional. Tant la vice-Première ministre, Laurette Onkelinx, que le ministre-président sortant, Rudi Vervoort, semblent enclins à explorer toutes les alternatives à un partenariat forcé avec le MR honni. Pourquoi cette aversion ? La méfiance reste totale à l’égard de Didier Reynders, l’homme qui a porté les coups les plus rudes au PS ces dix dernières années. Vincent De Wolf, tête de liste MR à Bruxelles, n’est guère plus apprécié : il est décrit comme une  » girouette  » dans les rangs socialistes. Quant à Alain Destexhe, qui a réalisé un score triomphal le 25 mai, il fait carrément figure de repoussoir absolu.  » N’oublions pas qu’à la Chambre, le PS gagne un siège à Bruxelles, mais en perd quatre en Wallonie, relève un observateur. Si la famille socialiste reste la première du pays, c’est en grande partie grâce au PS bruxellois. Cela renforce clairement Laurette Onkelinx dans les choix qu’elle défendra à l’intérieur du parti.  »

Se passer du MR, mais pour gouverner avec qui ? Si le CDH intègre le gouvernement wallon, il s’imposera comme un partenaire évident au gouvernement bruxellois aussi. Le FDF, troisième parti à Bruxelles, tient également la corde. Son programme de centre, voire de gauche sur les enjeux d’urbanisme et d’intégration sociale, le rend compatible aux yeux de l’état-major socialiste.  » Avec des personnes comme Didier Gosuin et Bernard Clerfayt, on pourrait travailler en confiance « , glissent en choeur plusieurs élus PS.

Principal obstacle pour ceux qui rêvent de laisser le MR mariner cinq années de plus dans l’opposition : le MR lui-même. Ses 20 sièges à la Chambre, combinés à une droitisation générale du paysage politique, risquent de le rendre incontournable au gouvernement fédéral. Charles Michel a d’ailleurs prévenu : pas question pour les libéraux de monter dans l’attelage fédéral tout en restant sur la touche dans les Régions. Joli casse-tête en vue…

Wait and see

Guère sanctionné par les électeurs, le Parti socialiste se trouve toutefois dans une position nettement moins confortable qu’en 2010. Car si le spectre de l’opposition s’est éloigné, il n’a pas disparu pour autant. Première formation en Belgique francophone, le PS est  » contournable « , tant en Wallonie qu’à Bruxelles. Mais c’est surtout au fédéral que le danger guette… Le président de la N-VA, Bart De Wever, a déclaré dans la dernière ligne droite précédant le scrutin qu’il n’excluait plus de devenir Premier ministre. Nommé informateur par le Roi, et fort de ses 33 sièges à la Chambre, il bénéficie pour l’heure d’un droit d’initiative. Pourra-t-il convaincre les libéraux de l’Open VLD et les chrétiens-démocrates du CD&V de se rallier à son panache ? C’est possible. Il lui resterait alors à persuader le MR et le CDH, côté francophone, de participer à un gouvernement dominé par les indépendantistes flamands. Très, très difficile à concevoir. Mais si ce scénario se concrétisait malgré tout, les députés du PS s’apprêteraient à vivre toute une législature sur les bancs de l’opposition. Une authentique révolution, s’agissant du seul parti politique belge au pouvoir depuis vingt-cinq ans sans interruption. La perspective suffit à faire pâlir Elio Di Rupo et les siens.

Autre motif de tourment pour le PS : le rapport de force à la Chambre lui est moins favorable qu’en 2010. A l’époque, avec respectivement 27 et 26 sièges, nationalistes flamands et socialistes francophones faisaient presque jeu égal. Depuis lors, les premiers ont pris du poids, tandis que les seconds se sont affaissés. Di Rupo, du coup, apparaît moins fringant face à De Wever.

Cela dit, le Montois n’a pas renoncé à se maintenir au 16, rue de la Loi. Pour y parvenir, il dispose d’un argument : le fait que les six partis de la coalition sortante, pris dans leur ensemble, progressent d’un siège. En tant que Premier ministre, les électeurs ne l’ont donc pas sanctionné. Mais comme il n’a pas la main, pour l’heure, il ne peut qu’attendre le résultat des négociations entamées sous l’égide de Bart De Wever… et espérer que celui-ci échoue.  » Wait and see, on en est là « , résume un parlementaire. Elio Di Rupo a déjà connu situation plus commode.

Reste une énigme. Alors que les gouvernants sont défaits partout en Europe, la domination socialiste en Belgique francophone paraît inoxydable. Après un quart de siècle au pouvoir, le PS affiche une insolente santé : 31 % en Wallonie, 26 % à Bruxelles.  » Pour l’expliquer, on peut avancer cinquante raisons, mais l’élément majeur, c’est notre présence sur le terrain « , indique Marc Bolland. Le bourgmestre de Blegny, ex-député wallon, n’était pas candidat le 25 mai. C’est donc en observateur qu’il livre ses commentaires. Pour corroborer son raisonnement, il brandit le score éclatant réalisé par Jean-Claude Marcourt.  » Il a longtemps été handicapé par son image austère. N’empêche, tous partis confondus, c’est le ministre qu’on a le plus vu en région liégeoise, et pas seulement pendant la campagne électorale. Ces cinq dernières années, il était présent partout, partout, partout ! Il venait aux concours de pétanque, aux inaugurations, il écoutait les gens. Je pense que si on a une vocation à exercer un haut niveau de responsabilité, on doit passer par là. Notre implantation dans les quartiers, dans les villages, sur le terrain, c’est quelque chose qu’on ne nous prendra jamais. Et c’est ça qui fonde la permanence du PS.  »

Par François Brabant

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