L’IMPLACABLE JUGE GENTIL

Son patronyme est trompeur. Ce magistrat enquête, met en examen ou en détention à tour de bras. Jusqu’alors peu connu, il surprend et inquiète l’Elysée dans l’affaire Bettencourt.

C’est l’affaire de sa vie, celle qui l’a fait passer de l’ombre à la lumière. A près de 52 ans, le juge d’instruction bordelais Jean-Michel Gentil savoure l’accès à la notoriété. Depuis qu’il a obtenu, en novembre 2010, la direction de l’enquête Woerth-Bettencourt, avec ses collègues Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, ce natif de Saumur dans l’ouest de la France, démontre son opiniâtreté.

Il a même créé la surprise en osant mettre directement en cause la légalité du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Habituellement, les juges évitent de porter le fer contre un homme politique en pleine campagne électorale. Pas Gentil. Début février, il met en examen Eric Woerth, ancien ministre, et obtient le 22 mars la mise en détention provisoire de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, suspecté d’avoir remis de très grosses sommes d’argent liquide à Eric Woerth.

Un juge rouge a-t-il frappé ? Pas du tout. Sans sympathie partisane connue, Gentil est plutôt qualifié d' » anar de droite  » par certains proches. Un intégriste de l’indépendance. Il n’a d’ailleurs pas épargné la gauche française. En 1998, lorsqu’il préside l’association des magistrats instructeurs, il combat vigoureusement le projet d’Elisabeth Guigou, garde des Sceaux du gouvernement Jospin, sur la présomption d’innocence. Sans succès : le Parlement supprime le pouvoir des juges d’instruction de mettre un suspect en détention provisoire.

Faute de pouvoir embastiller les suspects, le juge n’a-t-il pas abusé des gardes à vue exclusivement destinées à faire pression ? Aller cueillir à 6 heures du matin le photographe François-Marie Banier dans son hôtel particulier, le faire séjourner deux nuits à la prison de la Santé avant de lui imposer un transport menotté en avion de Paris à Bordeaux ne paraissait pas indispensable. A moins de vouloir créer un humiliant rapport de force avant l’audition. En 2000, alors en poste à Ajaccio, Gentil avait placé un jour et demi en garde à vue l’avocat nationaliste Antoine Sollacaro :  » Ma mère, cardiaque, a appris mon arrestation par la presse, avait lancé le plaideur impulsif au juge tenace. Si elle était morte, on aurait réglé ça entre hommes.  » L’inflexible n’a rien répondu.  » Gentil est l’un des meilleurs juges d’instruction français « , dit de lui son ami Jacques Dallest, procureur de Marseille. Ils ont travaillé ensemble en Corse. Parce qu’il exerça la même fonction que lui avant d’accéder au parquet, Dallest en connaît aussi la faille : la solitude, avec un brin de paranoïa. Rigoureux et travailleur, méthodique et pragmatique, depuis qu’il a reçu comme une consécration le dossier Woerth-Bettencourt, Gentil apparaît hautain aux yeux de bien de ses collègues. Si des avocats le contredisent, il peut se montrer colérique.

Sans crainte de la contradiction, Gentil veut à la fois la reconnaissance et agir discrètement. Fin stratège, il ne prévient le parquet et la police de ses perquisitions qu’au dernier moment, afin d’éviter les fuites. Bunkérisé, il refuse tout contact avec la presse. Gentil fonce. Pas seulement pour rattraper le retard accumulé à Nanterre, la précédente juridiction en charge du dossier. Afin de boucler lui-même l’affaire Woerth-Bettencourt, Gentil doit aller vite, car, pour des raisons statutaires, il ne peut pas demeurer en poste à Bordeaux après 2014. Au-delà, obtiendra-t-il le poste de ses rêves, juge antiterroriste à Paris ?

FRANÇOIS KOCH

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