» L’hypocrisie est au coeur de la N-VA « 

Premier  » pacsé  » de Belgique en 1997,  » l’enfant terrible des lettres flamandes  » en appelle à la nuance après les premières décisions des dirigeants de la N-VA à la tête d’Anvers.  » Bart De Wever n’est pas un homophobe.  » Pour Tom Lanoye, c’est avant tout un fin tacticien qui avance masqué avec une idée trompeuse du confédéralisme et une rock star qui profite de la faiblesse de la classe politique flamande.  » Populiste oui, fasciste non.  » Cela fait déjà plusieurs décennies qu’avec son air de Tintin,  » ce reporter de l’intime  » s’est imposé comme écrivain et dramaturge dans le monde néerlandophone. Mais par l’absurdie de notre petit pays, il n’est traduit que depuis récemment en français. Les Boîtes en carton (La Différence) est une façon de déballer les trésors de ses racines familiales et littéraires. Son héros est un ado qui s’ouvre aux affres de la passion, homosexuelle et universelle…

Le Vif/L’Express : Pourquoi vous  » acharnez-vous à écrire  » ?

Tom Lanoye : Quand je n’écris pas, j’ai l’impression de ne pas vivre. J’ai eu la chance de grandir entre une mère, folle de théâtre et de mots, et un père boucher. Ce dernier m’a familiarisé avec la bouffe, la chair et la mort, puisque j’ai vu des cadavres depuis ma prime jeunesse. Cela constitue un avantage d’avoir l’amour des mots et la mort en héritage, parce que cette dernière est aussi synonyme de vie. Je suis le petit dernier d’une fratrie de cinq enfants. Avec un tel bagage, il fallait bien que l’un d’entre nous devienne écrivain et dramaturge (rires).

Ce roman, Les Boîtes en carton, a été publié en flamand, il y a plus de vingt ans. Quel regard portez-vous sur lui ?

J’aime beaucoup ce livre léger et nostalgique. Quand je lis ce registre de l’amour et de la masturbation, je me dis que j’y décris non seulement un autre pays, mais une autre personne. Cela fait plus de trente ans que je suis un auteur à succès en Flandre et aux Pays-Bas. Or la Belgique francophone ne m’a découvert qu’il y a deux ans. Telle est notre tragi-comédie belge ! Pour des raisons économiques et politiques, presque tous les écrivains flamands sont édités à Amsterdam, alors que les Bruxellois et les Wallons ont une maison d’édition à Paris. Ces complications kafkaïennes démontrent qu’il n’y a pas de collaboration entre les deux parties de notre pays, si ce n’est au festival de Cannes ou d’Avignon. Même d’un point de vue économique, c’est un atout d’être Belge pour un Flamand. Que fait-on en Belgique ? On se situe entre la méconnaissance, l’indifférence et même un doux sabotage alors que quand je parle à des lecteurs wallons, ils se retrouvent dans ces Boîtes en carton. J’y vois une preuve de notre  » belgitude « .

La prochaine génération francophone se retrouvera-t-elle dans le livre d’un auteur flamand et inversement ?

Quand ils voyaient Justine Hénin, mes neveux, qui ont maintenant 12 ans, se sentaient Belges. Mais peut-être avez-vous raison. La tragédie belge, c’est que la division est organisée et amplifiée pour dresser le constat qu’en définitive, une scission s’impose. Pour les nationalistes purs et durs, je suis évidemment un traître. Mais avec le succès de mes livres, il est tout de même difficile de soutenir que je suis  » un mauvais Flamand « . Dès lors, ils s’échinent à trouver une raison pour laquelle je ne suis pas flamingant : je suis  » élitiste « ,  » d’un autre temps « ,  » belgicain « … Dans mon univers qui n’est pas très réaliste, on a besoin d’une circonscription électorale fédérale. Qu’en tant que Belge, je ne puisse pas voter pour Elio Di Rupo est incroyable. Voir notre prince Philippe me persuade que l’on doit créer un  » Disneyland à la belge  » pour y installer la famille royale et organiser un ticket présidentiel à l’américaine avec, par exemple, un Guy Verhofstadt et un vice-président francophone. Aujourd’hui, les Flamands peuvent dire n’importe quoi sur Elio Di Rupo ou inversement, cela ne change rien ; il n’y pas de sanction électorale.

Vous percevez-vous comme un écrivain belge ou flamand ?

Le XXe siècle est celui de la folie des grandes idéologies, des catastrophes, de deux guerres mondiales, de la Shoah et du stalinisme. Aujourd’hui, on a fait table rase des idéologies au profit de l’idolâtrie. Même Barack Obama est une idole politique. J’ai beau l’admirer, il a un côté populiste. Parallèlement, cela suscite des discussions identitaires. La Belgique incarne un laboratoire pour le reste du monde, notamment l’Europe. Les nationalistes flamands exigent de se déterminer avec un facteur d’exclusion. Il faut être l’un ou l’autre, comme si on ne pouvait pas, par exemple, être musulman et flamand. On peut attaquer une idéologie, mais l’identité représente autre chose pour moi que pour Bart De Wever et Filip De Winter (NDLR. : le chef de groupe Vlaams Belang au parlement flamand). Je suis à la fois un auteur européen, belge et flamand, qui vit entre Anvers et l’Afrique du Sud, un pays extraordinaire. Cette distance me permet de regarder plus précisément l’Europe et mon pays natal. Il y a toujours eu des tensions entre artistes et nationalistes. Je n’arrive pas à définir ce qu’est l’identité, mais je crains que ces derniers l’utilisent pour en faire une idéologie.

Que vous inspirent les premières mesures de la N-VA à Anvers, comme l’interdiction de signes homosexuels pour les fonctionnaires ?

Filip De Winter est homophobe. Bart De Wever est pour le mariage gay bien plus que beaucoup de conservateurs français. Mais le plus important, c’est qu’être homosexuel n’est pas une obédience, comme il l’a déclaré, et que le règlement a été instauré par un socialiste, l’ancien bourgmestre, Patrick Janssens, que j’aimais beaucoup. Je l’ai dénoncé quand j’ai été fait docteur honoris causa de l’université d’Anvers, en 2007. Beaucoup de mes amis francophones commettent cette erreur : M. De Wever n’est pas un fasciste ; c’est un populiste. Quand on devient bourgmestre, le langage doit aussi changer. C’est son grand problème : il agit comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Il aurait dit qu’il est normal qu’un fonctionnaire de la Ville d’Anvers ne porte pas les mêmes vêtements que lors de la Gay pride ou du carnaval d’Alost, cela n’aurait fâché personne… D’une certaine façon, je l’admire : il est vif, c’est un intellectuel et il a de l’humour, bien qu’il commence à le perdre.

C’est néanmoins un nationaliste. Développe-t-il, selon vous, une idéologie identitaire qui exclut et cela vous inquiète-t-il ?

Oui, parce que je ne veux pas perdre Bruxelles. Pour moi, l’hypocrisie est au coeur de la N-VA. S’il y a une majorité de la population en faveur de la scission d’un pays, il faut le scinder. Mais les dirigeants de la N-VA savent très bien que les Flamands aiment se plaindre des Wallons mais que la plupart ne sont pas favorables à la division du pays. Or c’est quoi le confédéralisme ? Un camouflage pour la scission. Au moins, les nationalistes écossais et catalans affichent ouvertement leur projet. Mais Madrid n’appartient pas à la Catalogne et Londres pas davantage à l’Ecosse. Je n’ai jamais rencontré un flamingant qui peut me dire ce qu’il veut faire de Bruxelles. Mentalement, je crois qu’ils l’ont déjà perdue. Bart De Wever se dit conservateur. Mais diviser la Belgique, ce n’est pas être conservateur. S’il veut se séparer des Wallons parce que c’est trop cher pour la Belgique, pourquoi perdre aussi Bruxelles, qui représente 20 % du PIB et qui fait vivre 300 000 familles flamandes ?

Vous dites que la majorité des Flamands n’est pas favorable à la division. Mais la N-VA ne cesse de progresser électoralement…

Un être humain est aussi un trésor de contradictions. On peut en même temps voter pour la N-VA et être contre la division de la Belgique, pour signifier aux politiciens du PS qu’il faut changer. En même temps, l’idolâtrie autour de M. De Wever est permise par la faiblesse incroyable des autres responsables politiques, Bruno Tobback, Alexander De Croo (il est trop tôt pour se prononcer sur sa remplaçante Gwendolyn Rutten). Peut-être que l’arme la plus efficace contre M. De Wever sera la secrétaire d’Etat à l’Immigration et à l’Intégration sociale, Maggie De Block.

Comment lutter contre la N-VA ?

En ne se taisant pas. Tous les politiciens populaires sont devenus de grands acteurs. Ce qui m’inquiète, c’est que les journalistes sont si heureux d’avoir Bart De Wever dans une émission qu’ils n’osent pas vraiment le contredire. Pour le moment, il y a deux bourgmestres à Anvers : le  » bourgmestre des festivités et de la polémique « , Bart De Wever, et celui des annonces désagréables, Liesbeth Homans. Bart De Wever est très malin. Et il n’est pas défendu d’être malin. Les autres doivent faire pareil. Il nous manque quelqu’un, non comme Steve Stevaert, qui était trop populiste aussi (c’est lui qui avait introduit la mode du livre léger par un politique. Avant, c’était  » Cuisiner avec Steve « . Maintenant, c’est  » Maigrir avec Bart « ) mais comme Guy Verhofstadt ou un  » Daniel Cohn-Bendit Groen ! « .

Que la Belgique ait un Premier ministre homosexuel, est-ce un motif de fierté pour vous ?

Cela doit être normal. Ce n’est pas seulement l’homosexualité qui caractérise Elio Di Rupo, c’est aussi un fils d’immigré, c’est notre  » Obama « . Il ne faut pas être aveugle. A Anvers, la gauche a parlé de diversité mais, pendant trente ans, elle a échoué à la mettre en oeuvre. Des mots et pas d’actions. Bart De Wever est le premier à avoir proposé une personne d’origine immigrée, Nabilla Ait Daoud, comme échevine. La droite l’a fait d’un point de vue tactique mais n’en parle pas beaucoup. La N-VA a aussi organisé un flou politique artistique à l’égard de l’électorat du Vlaams Belang. C’est difficile pour moi de le dire. Mais entre un Vlaams Belang à 17 % et un bourgmestre de gauche à Anvers ou un Vlaams Belang à 10 % et un bourgmestre N-VA, je choisis la seconde option. Parce que j’ai vécu dans une ville où l’extrême droite atteignait les 33,5 %, un record en Europe. Cela signifie aussi qu’il existe des mesures à la hauteur de l’électorat du Vlaams Belang. C’est très amer. Ce flou artistique politique, Bart De Wever veut le prolonger jusqu’aux élections de 2014. J’espère juste que la N-VA ne devienne pas un jour le Vlaams Belang. Ce n’est pas encore le cas. La situation est grave mais pas si grave. Le politologue Dave Sinardet a raison de dire qu’à part quelques mesures comme la hausse de la taxe sur l’installation des étrangers, la gouvernance est presque la même que sous l’ancienne législature. La différence est qu’aujourd’hui, on a un bourgmestre rock star qui sait en jouer. Un Robbie Williams qui ne sait pas chanter.

Revenons à votre livre. Jane Birkin a réalisé son film autobiographique sous le titre Boxes, que déballez-vous dans ces Boîtes en carton ?

Je ne suis pas quelqu’un de mystérieux en soi… Ici, il s’agit d’un bilan de vie et d’amour à travers l’éducation familiale, sentimentale et littéraire. Le livre raconte une passion d’adolescent, à un âge où l’on est très solitaire même si on a beaucoup d’amis. Je me souviens de cette incertitude, de l’angoisse de vivre, de l’envie de conquérir le monde et de tant de rêves étouffants. D’autant qu’on ne tombe pas amoureux d’une vraie personne, mais d’une icône irréelle. Détruire celle-ci, tout en parlant à l’être réel, tel est le propre de la première fois.

Quel est celui de l’homosexualité ?

Elle n’est pas importante dans ce roman. Je hais les livres dont c’est le sujet. La bataille contre l’amour, voilà la force émancipatrice de cette histoire. Ma fierté ? Que les hétéros puissent s’apercevoir que ce combat est le même. Je n’ai eu aucun doute sur le fait d’être gay, mais je redoutais de perdre mes parents. Leur idée de la famille et de la sexualité venait d’un autre siècle, alors ça a été un choc pour eux. N’oubliez pas qu’en ces temps, il n’y avait pas de modèles comme Di Rupo ou Elton John. Lorsque mon pacs a été médiatisé, mes parents ont été insultés et menacés. C’est alors que ma mère s’est transformée en tigresse activiste !

 » La littérature doit parfois faire mal « , écrivez-vous. Pourquoi ?

Cela vaut pour l’art en général. Je n’ai rien contre le divertissement, mais c’est autre chose. La beauté est ennuyeuse… Avoir le désir de la conquérir représente le coeur même du roman. Un adolescent y ressent de la passion pour un autre ado. La beauté fait mal, or il tombe presque amoureux de cette douleur. Cela peut sembler sadomaso, mais je pense qu’on se sent vivant quand on est déchiré.

PROPOS RECUEILLIS PAR KERENN ELKAÏM ET GÉRALD PAPY À PARIS PHOTOS : TIM DIRVEN/REPORTERS

 » Bart De Wever se dit conservateur. Mais diviser la Belgique, ce n’est pas être conservateur  »

 » Elio Di Rupo, c’est  »notre Obama » « 

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