L’hyperactivité ne s’en va pas avec l’enfance

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Einstein, Mozart et Winston Churchill en souffraient : incapables de se concentrer et impulsifs, ils n’en ont pas moins été brillants. En Belgique, seuls 1 000 à 2 000 adultes sont diagnostiqués comme porteurs de ces troubles.

Chez lui, il y a des Post-it partout, collés sur les murs. Certains le sont depuis six mois. Il y en a tant qu’il les oublie. Un comble. Ainsi va la vie de Pierre (1), atteint du TDA/H (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité). A le regarder, rien ne permet de soupçonner ce dont il souffre : une impossibilité viscérale de se concentrer et une impulsivité qui fait souvent des ravages, au moins humains. Enfant, il était, en outre, hyperactif, incapable de rester assis sur une chaise. L’adolescence l’en a guéri.  » Quand j’ai appris que j’étais TDA/H, j’ai d’abord été soulagé : tout n’était donc pas de ma faute. Puis j’ai éprouvé des regrets. Si j’avais été diagnostiqué et traité plus tôt, j’aurais pu réussir bien plus de choses. J’ai eu envie, d’un coup, de retourner voir mes professeurs pour leur dire : « Vous voyez, je n’étais pas bête, ni indiscipliné, ni distrait. J’avais juste un souci. » « 

Un souci, à savoir un dysfonctionnement de certaines zones du cerveau, qui touche 1 à 4 % de la population adulte. En Belgique, seuls 1 000 à 2 000 individus sont diagnostiqués. C’est que ce trouble, en grande partie lié à des facteurs héréditaires, est encore mal connu. Les spécialistes s’accordent aujourd’hui à dire que les symptômes (hyperactivité, distraction, difficulté de concentration et d’organisation) doivent apparaître avant l’âge de 7 ans et survenir dans deux milieux différents, comme l’école et la maison par exemple, pendant au moins six mois.

Ce dysfonctionnement, qui se manifeste notamment chez l’enfant par des échecs permanents à l’école, n’intéresse pourtant le corps médical que depuis quelques années. Nombre de médecins sont encore persuadés qu’il disparaît à la fin de l’enfance. Or deux tiers des enfants atteints le resteront à l’âge adulte.  » Soit ils conservent les mêmes symptômes d’impulsivité, d’hyperactivité et de manque de concentration, soit ils parviennent tant bien que mal à les maîtriser jusqu’à ce qu’un grain de sable, comme un ennui professionnel, un déménagement ou une naissance, vienne perturber leur équilibre « , détaille le psychiatre Pierre Oswald.

C’est d’ailleurs souvent en consultant pour leur enfant que des parents découvrent, tardivement, qu’ils ont connu et connaissent parfois encore le même souci. Sans doute le problème est-il plus aigu dans certains milieux familiaux, stressés et stressants, peu structurés, voire terreau de troubles du comportement. Pour ces parents, alors, l’enfer recommence. Car les jeunes années des bambins atteints par le TDA/H sont empreintes d’une profonde souffrance.  » Ce sont des enfants que personne n’invite jamais aux anniversaires, raconte Brigitte, dont deux fils sont atteints. Leurs parrains et marraines, voire leurs grands-parents, évitent de les garder. Ils ne tiennent pas en place et disent tout ce qu’ils pensent. A l’école, ils accumulent les échecs, car leur cerveau ne fonctionne pas comme le nôtre : incapables de trier les informations qu’ils captent, ils ne savent pas non plus les hiérarchiser. Quant aux consignes, il leur est impossible de les appliquer, car ils ne les comprennent pas. Régulièrement sanctionnés, ils se convainquent peu à peu qu’ils sont bêtes et insupportables. Il leur est donc impossible d’avoir de l’estime pour eux-mêmes.  » Ce qui se paie au prix fort, y compris à l’âge adulte.

Le trouble de l’attention n’a pourtant aucun lien avec le quotient intellectuel. Odette, la cinquantaine souriante, a obtenu sa licence en biologie avec une grande distinction. Ses neuf premières années d’enseignement n’en ont pas moins été un calvaire.  » Nous avons une autre manière d’apprendre et d’arriver au résultat, dit-elle, mais il faut nous laisser faire. J’ai brillamment réussi à l’université, mais je suis incapable de faire un calcul mental : je perds trop vite le fil de mon raisonnement. En primaire, j’avais le sentiment d’être un oiseau auquel on voulait apprendre à voler tout en lui collant les ailes.  » Son frère souffre du même trouble qu’elle. L’un de ses fils, aussi.

L’école, heureusement, n’est pas éternelle. Parvenus à l’âge adulte, les TDA/H ont davantage la possibilité de choisir un métier ou des activités qui leur conviennent. En revanche, la manière dont ils se sont construits engendre souvent d’autres troubles psychologiques : la moitié d’entre eux souffrent de dépression, et notamment d’anxiété, ce qui induit certains diagnostics erronés (lire l’encadré ci-dessous), et une grande partie d’entre eux montrent d’évidents penchants pour le tabac, l’alcool, les drogues qui leur permettent de s’évader d’une réalité trop lourde à porter ou qui leur servent d’automédication. Ils ont ainsi, pendant quelques heures, l’impression que leur cerveau, en ébullition constante, s’apaise. Et d’être comme les autres.  » A 8 ans, j’allais chercher seule, à la pharmacie, un sirop pour la toux dont j’avais découvert qu’il me calmait, témoigne Zoé. J’en buvais en cachette pour me sentir mieux.  » Les TDA/H aiment aussi les sports extrêmes et les sensations fortes, qui régularisent la concentration de dopamine dans leur cerveau. Rien n’est tout à fait pareil chez eux : le café peut les calmer.

Leur trouble ne peut être diagnostiqué que dans le cadre d’une approche multidisciplinaire. Ni le scanner ni la résonance magnétique ne le décèlent. Le diagnostic s’établit sur la base de grilles de questions, puis d’un solide interrogatoire avec un psychiatre. Plus tôt il intervient, mieux cela vaut.  » On peut vivre quasi normalement avec ce trouble « , assure Stéphanie, qui sait de quoi elle parle et qui, avec trois autres bénévoles, anime l’association TDA/H Belgique. D’autant que les TDA/H développent des tas de qualités : débrouillards, créatifs, pleins de vie, ils sont souvent drôles et vifs. Beaucoup d’artistes sont d’ailleurs des TDA/H. Ce n’est pas un dysfonctionnement dont on guérit, mais ceux qui en souffrent apprennent à se tirer d’affaire : les groupes de parole, les thérapies comportementales, le travail avec un coach et l’appui de l’association leur fournissent des outils qui leur permettent de trouver l’ équilibre.

Sans parler des médicaments, qui améliorent fortement leur qualité de vie. Ces traitements, qui contiennent des dérivés d’amphétamines, n’induisent pas de dépendance physique.  » Si le mal du patient est bien diagnostiqué et que l’on est sûr qu’il ne souffre d’aucune autre pathologie, la Rilatine constitue le traitement de première ligne « , assure le Dr Pierre Oswald. Son effet est immédiat et les patients ne doivent pas forcément en prendre à vie. Ce produit ne fait d’ailleurs guère débat en ce qui concerne les adultes, alors qu’il suscite toujours la polémique pour les enfants.

Le temps est et reste leur principal ennemi

En dépit de tous les moyens portés à leur secours, les TDA/H ont, souvent, une vie professionnelle chaotique. S’atteler à une mission qui ne leur paraît pas prioritaire leur demande trop de concentration : les TDA/H ont donc tendance à tout remettre à plus tard. En revanche, ils sont capables de se focaliser sur une tâche durant des heures, par exemple lorsqu’ils surfent sur Internet.

Arriver à l’heure n’est guère facile pour la majorité d’entre eux. Quant à l’organisation du travail… Armés d’agendas et de plannings pour ne rien oublier, ils croulent généralement sous les tâches, au point d’être souvent licenciés ou de remettre leur démission. Les hyperactifs, en revanche, prennent trop de place.  » Je m’occupais de quatre machines au lieu d’une seule, explique Thierry, 35 ans, qui est capable de jouer sur son ordinateur en même temps qu’il peint des maquettes, le tout alors que ses jambes ne cessent de bouger ! Mon père m’a offert du champagne quand j’ai réussi à rester un an au même poste.  » Zoé, elle, a connu un burn-out à 23 ans.

 » Je travaille par étapes avec ceux qui viennent me voir, détaille Aloyse van der Stegen, qui  » coache  » plusieurs TDA/H. L’un d’entre eux, artiste peintre, n’avait encore rien peint six semaines avant son exposition. J’ai planifié avec lui les démarches à réaliser, fixé les priorités, défini les coups de fil à donner, etc. Nous nous sommes vus tous les huit jours. Les premières semaines, quand il arrivait au rendez-vous, il n’avait presque rien fait. Nous remettions donc l’ouvrage sur le métier. L’exposition a été un succès. Je suis admirative du changement que les TDA/H parviennent à mettre en place. Je les trouve touchants, avec des personnalités très riches, bien plus sensibles que celles de la majorité des gens. « 

Ces  » tornades  » n’en donnent pas moins quelques tracas à leur entourage, qui peine parfois à comprendre et à accepter le trouble.  » Je sais que je fais peur, résume Odette. Les relations de couple et avec les amis sont difficiles. Je tente d’expliquer que je suis différente, mais, en même temps, je fais tout pour me conformer à ce que l’on attend de moi, de peur de déplaire encore davantage.  » C’est épuisant : les TDA/H ont donc souvent besoin de solitude, pour récupérer. Une attitude qui passe mal.  » A ma soirée d’anniversaire, je suis partie la première, raconte Zoé. J’avais besoin d’air. Les gens n’ont pas compris.  » Ils ne comprennent pas davantage qu’elle se terre parfois chez elle pour éviter de faire et de dire des bêtises.  » Par moments, on se taperait la tête au mur pour que ça s’arrête, raconte Thierry. Le docteur me dit que mon cerveau est comme le ring de Bruxelles : toujours embouteillé. Et au moindre pépin, c’est la catastrophe. « 

Les prénoms de tous ces témoins ont été modifiés.

Laurence van Ruymbeke

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