L’homme qui veut acheter Namur

Depuis un an, le promoteur Thibault Bouvier a lancé une vaste offensive immobilière sur Namur. Son ambition : acheter  » tout ce qui bouge  » dans le centre-ville. C’est l’histoire d’une étrange partie de Monopoly sur fond de vendetta politique.

Un immeuble, une rue, un quartier, une caserne, un palais de justice, un hôtel… Rien ne freine l’appétit de l’incontournable famille Bouvier. C’est ici, en terres namuroises, qu’elle tisse sa toile sur le marché immobilier depuis 1976. A 45 ans, Thibault Bouvier est devenu, avec ses deux frères, le digne représentant des intérêts des promoteurs face aux règles contraignantes édictées par le monde politique. Propriétaire entre autres du célèbre hôtel des Tanneurs et de 600 kots et appartements, cet avocat a décidé d’accroître le rythme de ses acquisitions. Avec un intérêt très prononcé pour le centre-ville.  » C’est simple : tous les biens qui y sont mis en vente m’intéressent « , confie-t-il, installé dans son vaste bureau situé en bord de Meuse, dans le village de Beez.

Pourquoi une telle frénésie ? Depuis son premier engagement personnel sur le marché immobilier namurois, en 1993, Thibault Bouvier s’est déjà constitué un mini-empire à travers cette ville qu’il n’a jamais quittée. Mais le 31 janvier 2013, sa détermination prend une tout autre dimension. Ce soir-là, la Ville de Namur lui refuse un permis d’urbanisme pour une extension de 1 000 m² de bureaux à sa propriété mosane. Après cinq ajustements et six années de bras de fer avec l’échevin Ecolo Arnaud Gavroy, l’intéressé ne digère pas ce revirement surprise du collège communal et de son bourgmestre en charge de l’Urbanisme, Maxime Prévot (CDH). Piqué au vif, il réagit au quart de tour. Et annonce sa nouvelle ligne de conduite, qu’il n’a plus jamais abandonnée depuis lors : acheter  » tout ce qui bouge  » dans le centre-ville, du plus petit appartement au plus grand immeuble.  » Puisque le politique estime que je suis dans le camp du mauvais choix, j’ai décidé de pratiquer ma religion à du 200 à l’heure « , précise-t-il.

Les erreurs d’une  » bande d’andouilles  »

Fin connaisseur du microcosme immobilier local, l’homme est persuadé que les choix de la majorité CDH-MR-Ecolo depuis 2006 orientent Namur dans la mauvaise direction.  » Même si je suis libéral, je dois reconnaître que je partageais la vision de ville de Bernard Anselme « , l’ex-bourgmestre socialiste emporté par les suspicions autour de l’octroi d’un marché public au bureau d’études Sotegec. En revanche, Thibault Bouvier est diamétralement opposé au schéma de structure que porte Arnaud Gavroy dès son arrivée à l’Urbanisme, fin 2006. Croquis à l’appui, il fustige aujourd’hui encore les erreurs phénoménales commises par cette  » bande d’andouilles  » (sic) aux commandes de la ville (lire également l’encadré ci-dessous).

Si la hache de guerre est enterrée avec l’échevin Ecolo depuis plus d’un an, les rapports avec Maxime Prévot restent délicats.  » J’espère que Thibault Bouvier a d’autres projets de vie que de s’engager dans un bras de fer avec la Ville, commente le bourgmestre. Il croit que le fait d’avoir beaucoup d’argent et d’avancer de beaux projets l’autorise à contourner la législation. Ce n’est pas comme ça que l’on fonctionne.  »

Face à la lenteur de l’administration, Thibault Bouvier avait en effet pris l’habitude de lancer divers chantiers pour ses biens immobiliers avant même d’obtenir les permis en bonne et due forme. Cette marque d’impatience illustre parfaitement le personnage, partisan de l’efficacité et d’une profonde réforme du service Urbanisme. La partie de Monopoly dans laquelle il s’est engagé s’inscrit dans la même lignée : convaincu de détenir la juste grille de lecture, il tente de rétablir, à travers ses acquisitions, la trajectoire qu’aurait dû emprunter la Ville, face aux grands pôles concurrents.  » En choisissant de développer Namur par le sud, le pouvoir politique a commis une erreur phénoménale, analyse Thibault Bouvier. Plutôt que d’aller se battre avec Louvain-la-Neuve et les communes aisées du nord de la province, on a déplacé le centre de gravité vers les vaches, vers l’absence de pouvoir d’achat.  » Le promoteur à la logique cartésienne balaie les arguments que lui oppose Arnaud Gavroy, axés sur un développement territorial durable et sur un juste équilibre de la pyramide démographique et sociale.

Un contre-pouvoir sur la scène immobilière

Fort de ressources financières considérables, alimentées par un impressionnant arsenal de kots et d’appartements de haut standing, Thibault Bouvier dispose aujourd’hui de toutes les armes pour incarner le contre-pouvoir sur la scène immobilière. Les futurs grands projets urbains, combinés à l’évolution de Namur en tant que ville-capitale, lui laissent entrevoir un large horizon de possibilités. Bientôt, l’actuelle caserne des pompiers sera mise en vente, dans un quartier voué à une profonde revitalisation. Thibault Bouvier ne compte pas laisser filer une telle opportunité. Autour du futur palais de justice de Namur, d’autres immeubles à vocation résidentielle et commerciale devraient sortir de terre. Il veut être dans le coup. En bord de Sambre, en bord de Meuse, le promoteur dénonce la piètre mise en valeur de biens offrant pourtant une vue de carte postale. Qu’importe : il rachète la moindre pépite qui s’y libère, à l’image des douze appartements hyperluxueux de 200 m² qu’il a créés face à la Citadelle.

Si Maxime Prévot reconnaît la qualité des projets portés par le promoteur, il regrette l’incapacité de ce dernier à s’engager dans une discussion sereine et posée. Arnaud Gavroy, de son côté, précise que l’entente est bien plus simple avec les autres acteurs immobiliers présents à Namur.  » Aucun membre du collège communal n’a en tête la logique économique « , regrette le promoteur. Déjà incontournable, il compte dès lors se rendre impérial sur ses terres, à sa manière.

Par Christophe Leroy

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