L’HOMME QUI SE CROYAIT ENCORE AIMÉ DES FRANÇAIS

Dans ses moments de doutes, peut-être Nicolas Sarkozy avait-il imaginé se faire battre par Alain Juppé au soir du second tour. Mais se faire sortir par François Fillon, ce  » collaborateur « , cela, il n’aurait pu l’anticiper. Histoire d’un retour qui a viré au tragique.

La politique est le rejeton moderne de la tragédie, elle réserve son lot de rebondissements salés et de dénouements cruels. Celui qui a scellé, le 20 novembre, la fin de la carrière de Nicolas Sarkozy est l’un des plus spectaculaires de l’histoire de la Ve République en France. L’homme qui se croyait encore aimé des Français – en tout cas assez aimé, par assez de Français, pour forcer le chemin d’un retour malgré les mines pincées du  » petit monde médiatique  » – a dû prendre acte, la voix blanchie par l’émotion rentrée, que sa popularité s’était éteinte, et que, de revanche, il n’en aurait point. Nicolas Sarkozy, qui s’est tant plu à fustiger la bulle dans laquelle les  » élites  » se tiennent chaud à l’abri du monde et des réalités, flottait lui aussi dans des courants trompeurs et l’impression d’une douce ferveur Potemkine.

Les amulettes qu’il portait autour du cou depuis quelques mois ne lui auront donc pas évité le pire. Dans ses mauvais moments, ses moments de sang d’encre, il s’était peut-être imaginé distancé par Alain Juppé. Battu, même, au soir du 27 novembre, par le favori de Chirac et des sondages. Mais éliminé dès le premier tour, à la faveur d’un François Fillon triomphant – François Fillon ! -, c’est une pirouette du destin qu’il n’aurait su anticiper. Corneille, qui s’y connaissait un peu en pirouettes du destin, expliquait que  » le sujet d’une belle tragédie ne doit pas être vraisemblable « . L’histoire de l’ex-président français battu par son  » collaborateur  » – c’est avec ce qualificatif que Sarkozy avait humilié Fillon peu de temps après l’avoir nommé à Matignon – l’était assez peu. Le dernier acte n’en est que plus cruel.

Il aurait dû savoir que la politique est faite de remontées spectaculaires et de ressuscités victorieux

 » Que voulez-vous, François Fillon c’est un second, il ne sera jamais qu’un second !  » cinglait encore un proche de Nicolas Sarkozy le 2 novembre, en vidant d’un trait son expresso (généralement, le sujet Fillon n’arrivait qu’au moment du café : l’entrée, le plat et le dessert étaient consacrés  » aux choses sérieuses « ).  » Je comprends que vous ayez de la sympathie pour François Fillon, expliquait un autre des soutiens de l’ex-président, quand il entreprenait les patrons pour tenter de retisser des liens abîmés par un quinquennat erratique. Mais, compte tenu de ses chances de victoire, donnez plutôt à Perce-Neige, votre argent sera mieux utilisé !  » Oh, le clan sarkozyste était loin d’avoir le monopole du dénigrement à l’encontre de l’ancien Premier ministre :  » C’est un duel de nos 1, et François, c’est un n° 2, nous confiait à la rentrée un ténor juppéiste : vous avez un match entre Paris et Marseille et, tout à coup, il y a Châtellerault qui se radine, ah ah !  » C’est peu dire que ses adversaires ont ri de  » Mister Nobody  » – un autre surnom dont l’ex-maire de Neuilly aimait à affubler son martyr préféré. Mais Nicolas Sarkozy, plus que n’importe qui, aurait dû savoir que l’histoire de la politique est faite de remontées spectaculaires et de ressuscités victorieux. En 1995, il avait donné pour le savoir, lui qui avait trahi Jacques Chirac pour soutenir Edouard Balladur, et qui avait vu le joyeux zombie venir laminer le héraut des sondages. Cette fois-ci, tout à son  » mano a mano  » obsessionnel avec Alain Juppé, le seul qu’il considérait à sa hauteur, Nicolas Sarkozy n’a pas vu Monte-Cristo dans le rétroviseur. Les angles morts se vengent, c’est ainsi.

On aurait tort cependant de prétendre que tout était écrit d’avance. En tout cas : pas comme ça. Le retour de  » Sarko « , ça ne faisait pas ricaner dans les chaumières. L’un des plus impressionnants animaux politiques des trois dernières décennies était déterminé à revenir dans la course – pour des raisons d’immunité, assuraient les uns (ses pourfendeurs),  » parce qu’il a ça dans la peau « , commentaient les autres. Ses adversaires, en tout cas, prenaient acte de son incroyable capacité à faire tourner la campagne autour de lui et à imprimer le tempo des polémiques.  » Nicolas Sarkozy sera le grand communicant de la campagne, anticipait le juppéiste Jean-Pierre Raffarin, en juin dernier, en gageant toutefois que cela ne suffirait pas. Mais oui, il va occuper l’espace ! Que voulez-vous, cela fait trente ans qu’on essaie de lui enlever la place centrale – avec Chirac, on a essayé un certain nombre de fois ! – et, à chaque fois, il s’y replace, tel un culbuto.  » L’analogie avec ce jouet qui tangue drôlement, mais qui sans cesse se remet à la verticale, a beaucoup été utilisée pour un autre de ses adversaires préférés : un certain… François Hollande, que la claque infligée à Nicolas Sarkozy doit forcément ébranler dans un effet miroir (lire l’encadré page 74).

 » La droite voulait un champion qui n’était pas usé « , soupire aujourd’hui un sarkozyste

Cette fois, donc, le  » Sarkoculbuto  » ne se relèvera pas. C’était la fois de trop. La droite, qu’il courtisait à la manière d’un amant lancé tout entier dans la reconquête d’un amour déçu, ne le reprendra pas. Trop échaudée. Vaccinée. Les classes moyennes et populaires surtout, cette  » France silencieuse  » qui purge son vague à l’âme dans des pavillons à la périphérie des grandes villes, victime souvent oubliée de la mondialisation heureuse et à laquelle Nicolas Sarkozy a prétendu une nouvelle fois s’adresser, ne s’est pas mobilisée. En 2007, une grande partie de cette France-là lui avait accordé sa confiance, boudant le FN le temps d’une élection. Aujourd’hui, elle lui réserve un chien de sa chienne…

La déception, la défiance ont été générales.  » La droite voulait un champion qui n’était pas usé « , soupire aujourd’hui un sarkozyste. François Fillon lui a offert un programme de droite véritable, et vierge de trahison. Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, si personne n’avait prévu une telle percée de l’ex-Premier ministre, ils étaient quelques-uns, en revanche, à avoir senti que dans les déplacements, la ferveur populaire n’était plus ce qu’elle était… Mais la force avec laquelle leur champion déroulait son autoconviction leur intimait souvent le silence. Après la victoire de Donald Trump, il marchait littéralement sur l’eau : c’était bien la preuve que ces médias, toujours à côté de la plaque, se trompaient. Que tous ces éditorialistes hors sol ne sentaient pas le terrain. Il y avait du vrai, sans doute. Mais lui aussi s’illusionnait.

C’est un paradoxe :  » Sarko  » le transgressif, le pyromane, le mauvais joueur, l’impétueux, le rouleur de mécaniques a toujours su accueillir ses différentes morts politiques avec sobriété. Pour la der des ders, il n’a pas lésiné sur la dignité. Ravalant le choc et l’amertume – c’est la force des vrais orgueilleux de ne jamais vouloir être pris en flagrant délit de mesquinerie humiliée -, il a même tout de suite appelé à voter pour François Fillon, alors que certains, parmi lesquels François Baroin, lui conseillaient de ne pas se prononcer :  » Ça n’est pas à ta hauteur « , soufflaient-ils… Les tragédiens, eux, savent que quand l’espoir,  » le sale espoir « , vous a quitté, alors vient le temps du repos. Et des cicatrices.

PAR ANNE ROSENCHER

Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, quelques-uns ont senti que la ferveur populaire n’était plus ce qu’elle était

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