L’histoire de Belgique, cette grande oubliée

La faible place consacrée à notre pays dans l’enseignement de l’histoire interpelle. Mais la question est plus large : l’accent mis sur les compétences est-il compatible avec l’acquisition de connaissances ?

Classe de sixième secondaire, dans un athénée brabançon.  » Qui pourrait me dire ce qu’est la Question royale ?  » Silence dans les rangs. Avant que le surdoué de service prenne la parole et se lance dans une explication détaillée comprenant mariage royal, rencontre avec Hitler et gouvernement en exil. Le reste de la classe écoute.  » En fait, on n’a jamais vu l’histoire de Belgique, Monsieur « , lâche une élève au premier rang.

Depuis plus de trente ans, Didier Belin enseigne l’histoire dans le réseau officiel. Son constat est implacable :  » L’histoire de notre pays est totalement négligée. Cela pose problème : il est sans doute important de proposer aux élèves une ouverture sur le monde. Mais il me paraît essentiel de savoir d’où l’on vient.  » Un petit tour dans les programmes permet d’affiner le diagnostic. Exemple en quatrième humanité où les profs d’histoire doivent enseigner Vésale, les origines de la frontière linguistique, la révolution belge. Et éventuellement la Constitution de février 1831. Très rares traces d’un passé pourtant riche. Les programmes auraient-ils oublié notre petit pays ?  » En réalité, les programmes sont très peu contraignants. Comme les inspecteurs d’ailleurs, affirme Anne Morelli, professeur en didactique de l’histoire à l’ULB. L’enseignant jouit d’une grande autonomie dans le choix des contenus : selon la situation géographique de son école, son public et ses compétences, c’est lui qui décide d’approfondir certaines matières plutôt que d’autres.  » Et à ce petit jeu-là, la Belgique ne part pas forcément gagnante.  » L’histoire de notre pays n’est pas très « sexy », reprend Didier Belin. J’ai de nombreux collègues qui préfèrent ne pas l’enseigner car elle est trop compliquée. « 

Connaissances vs compétences ?

Le phénomène doit sans doute être replacé dans un contexte plus large. Depuis dix ans, les profs doivent développer et évaluer, chez leurs élèves, l’acquisition de compétences bien définies. En classe d’histoire, l’élève apprend ainsi à se poser des questions, à critiquer un document, à synthétiser et à communiquer. Au détriment de l’apprentissage de connaissances ?  » Je ne pense pas, répond Jean-Louis Jadoulle, responsable de l’agrégation en histoire à l’UCL et à l’ULg. Il n’y a pas de concurrence entre les deux : à travers les compétences, l’élève apprend à se servir de ses connaissances. Elles seront de ce fait mieux acquises. Même si elles seront peut-être un peu moins nombreuses.  » En attendant, les compétences sont devenues la cible de plusieurs critiques. La faute sans doute à certaines dérives.  » Il y a des enseignants et des sections de didactique qui sont devenus des fanatiques maniaques des compétences. Et qui négligent les connaissances auxquelles elles doivent pourtant aboutir « , reconnaît Anne Morelli. Avec des dégâts aux conséquences parfois durables. Michel Dumoulin est professeur d’histoire contemporaine à l’UCL. S’il constate de grosses lacunes chez ses étudiants, il relève aussi que c’est l’ensemble de la population qui maîtrise mal l’histoire de son pays. L’homme pointe la responsabilité de certains médias, il cible aussi les historiens qui  » restent souvent trop confinés dans leur tour d’ivoire « . Raison de plus, sans doute, pour souligner cette jolie initiative : la sortie de deux nouveaux coffrets consacrés à l’histoire de Belgique. Un projet qui a rassemblé des historiens de chaque côté de la frontière linguistique. Neuf volumes pour faire le tour de 170 années. Depuis l’indépendance jusqu’à l’an 2000. En passant par la Question royale.

Nouvelle histoire de Belgique. Coffret 1 (1928-1939), 59,50 euros. Coffret 2 (1940-2000), 59,50 euros. Editions Le Cri.

VINCENT DELCORPS

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