L’extrême gauche plus redoutée que l’extrême droite

Le risque qu’un  » loup solitaire  » cause un drame en Belgique n’est pas nul. Mais, à la Sûreté comme à la police, on pense que l’extrême droite structurée, en déliquescence, ne présente plus de danger. Surprise : c’est plutôt l’extrême gauche qu’on y redoute.

Quel est le risque réel que représentent l’extrême droite et le populisme belges, à l’aune du drame norvégien ? Voilà ce que chacun se demande après l’attentat d’Oslo et la boucherie commise par Anders Behring Breivik sur l’île d’Utoya (76 morts au total). Mais les avis sont partagés.  » On n’a pas pris la mesure de la radicalisation à droite « , dénonçait ainsi un membre de l’Ocam (Organe pour la coordination et l’analyse de la menace) dans notre précédente édition. Au-delà de notre pays, l’Europe elle-même avait demandé à ses Etats membres d’établir un plan d’action national pour prévenir ce radicalisme (et les autres). Quant à Europol, l’organisation européenne de coopération policière, elle a annoncé la semaine passée vouloir dresser sans délai  » un portrait exact et actualisé de l’extrémisme de droite  » en Europe. Afin de mieux en mesurer les dangers.

Pourtant, le patron de la Sûreté de l’Etat, Alain Winants, estimait peu après que les risques liés à l’extrême droite sont faibles.  » Ce que j’ai voulu dire, précise-t-il, c’est que l’extrême droite structurée est en perte de vitesse en Belgique. Certes, on ne peut exclure que des individus isolés ou des groupuscules se rencontrent via Internet et se radicalisent mutuellement avec l’apparition, parmi eux, d’un lone wolf, un loup solitaire. Et cela, c’est extrêmement peu prévisible. Mais, d’une manière générale, l’extrême droite belge est sur le déclin, c’est certain. « 

Surveillance, quand même

La surveille-t-on quand même ?  » Elle fait effectivement partie de nos « targets », puisque la surveillance de l’extrémisme est une mission de la Sûreté. Nous connaissons les personnes de cette idéologie et nous savons lesquelles sont les plus dangereuses « , achève Alain Winants.

Avis similaire du côté des hommes de terrain. Un policier traitant le sujet :  » A vrai dire, nous craignions plus l’extrême gauche que l’extrême droite. Celle-ci est en effet minée par les dissensions internes et, hormis un acte isolé toujours possible, nous ne la redoutons pas. Néanmoins, nous maintenons une surveillance.  »  » Nous avons constaté, explique de son côté un agent de la Sûreté, que l’extrême droite a nuancé son thème d’origine. Elle plaidait l’argument sécuritaire lié à l’émigration mais s’investit désormais dans un prétendu combat contre l’islamisation de l’Europe.  » Le nationalisme reste aussi au goût du jour, davantage en Flandre que dans le sud du pays, même s’il est parfois curieusement métissé :  » Un haut lieu bruxellois de rassemblement des nationalistes flamands accueille de temps à autre des Kurdes du PKK et des Basques de l’ETA, ce qui peut surprendre puisque ces groupes trouvent leur origine dans l’extrême gauche…  » Et l’avenir ? Comme le policier, l’agent de la Sûreté craint davantage l’extrême gauche :  » Il existe un risque à moyen terme, si la crise, la paupérisation, les exclusions sociales et un certain durcissement des pratiques capitalistes, par exemple avec d’importantes privatisations, se poursuivent. Un processus de radicalisation est en cours. Mais il ne viendra à terme, s’il le fait, que dans deux, trois, quatre ou cinq ans. « 

Pas de savoir-faire

Qui mieux qu’eux savent ce que les extrémistes de droite peuvent ou ne peuvent pas faire ? Le Vif/L’Express est parvenu à obtenir l’avis d’un cadre du mouvement Nation, né voilà douze ans sur les cendres du groupe Assaut, dont les  » s  » s’écrivaient comme dans  » SS « , ce qui le situe clairement.  » Nous condamnons les actes de Breivik, car tuer tant d’innocents n’a rien de sympathique. Si « ABB », comme nous l’appelons entre nous, est sans doute supérieurement intelligent, il est aussi complètement frapadingue.  » De tels faits pourraient-ils se produire en Belgique ?  » Toutes les sociétés devraient faire bien attention par rapport à cela. Aujourd’hui, c’est la répression contre les mouvements nationalistes, mais quand on coupe l’espoir des gens de pouvoir changer les choses électoralement, on produit ce genre d’individus. Cela dit, je peux quand même vous rassurer. En Belgique, je ne vois personne, mais vraiment personne, capable de faire un coup comme ABB. Si un type essaie, la seule victime, ce sera lui, poursuit-il. Celui qui vous dirait qu’une organisation d’extrême droite belge pourrait monter des attentats aujourd’hui serait un fumiste. Pas les moyens, pas le know-how et pas la volonté de le faire… « 

Une trouble galaxie

De fait, de la multitude des groupuscules extrémistes de la fin du siècle passé, il ne reste presque rien, à droite comme à gauche. Ils étaient encore 71 à être catalogués  » subversifs « , sur les listes de la gendarmerie en 1992. Ils ne sont qu’une poignée, désormais. Exit, par exemple, le VMO (Vlaamse militanten orde), Agir (des fascistes surtout liégeois), le WNP (Westland New Post), TPO (Tous pouvoirs aux ouvriers), Amada (une variante du précédent), Odal (les nostalgiques des SS belges), WJ Viking (la race blanche conquérante), et on en passe. Désormais, c’est sur d’autres bases, bien plus serrées, que les  » services  » travaillent.

Au menu, à droite : le TAK (Taal aktie komitee), toujours flamingant et nationaliste… mais aussi vieillissant que Were Di (l’un des gènes fascisants du Vlaams Blok/Belang). Survivant, aussi, mais en coma profond, le Front national, qui a toutefois perdu toute crédibilité. Quant au PCN (le Parti communautaire national européen, dont le fondateur était issu de l’antédiluvien et nazifiant Front de la Jeunesse), il se voudrait socialo-communiste paneuropéen. Mais il est partout répertorié à l’extrême droite… Laquelle regroupe encore la galaxie des skinheads, à l’origine de concerts néonazis, ainsi que le Vlaams Belang.  » De plus petites structures existent aussi, mais elles sont fort éphémères « , constate un enquêteur. Quant aux gangs de motards, façon Hell’s Angels,  » il s’agit avant tout d’associations criminelles, pas politiques « .

Le repère, à gauche ? C’est le PTB (le seul parti belge encore national). Mais il s’est largement ouvert, après des décennies de mystère. Et sa  » branche secrète  » ne vise pas l’action clandestine : il s’agit seulement d’une forme particulière de gestion censée protéger, même en interne, dans des registres, voire des réunions distincts, le nom de certains membres qui seraient en danger (professionnel ou autre) si leur appartenance était connue.  » Aucun attentat à craindre « , souligne un proche de la Sûreté. Et pas davantage chez d’anciens frères ennemis, le Parti communiste belge (aux soins intensifs malgré un congrès de  » reconquête  » d’octobre 2008) et la Ligue communiste révolutionnaire, trotskiste, qui se présentent désormais sur des listes communes aux élections. Quant à la mouvance anarchiste, elle se montre certes agressive, mais en visant les biens (dégradations de sièges de banques, de matériel d’entreprise, etc.) et non les personnes. Plus récents, plus vivants, plus diffus : les  » hacktivistes  » d’Internet (entre  » hacking  » et activisme anticapitaliste, ils comptent parmi les plus difficiles à localiser) ; les écoterroristes (défense des animaux et de l’environnement) ; les groupes antiglobalisation (qui resurgissent massivement lors de grands sommets politico-économiques) et, enfin, la mouvance anti-nucléaire.  » A ce stade, on ne craint pas le pire, confie encore notre interlocuteur, mais on n’exclut pas à l’avenir que des individus ou de petits groupes à peine structurés venus de cette impalpable galaxie s’en prennent à des symboles du capitalisme, comme la Bourse.  » Les prévoir ? Une gageure, pour les  » services « , tant ladite galaxie est brumeuse…

Climat délétère

Retour côté Breivik. Force est de constater que, en Europe et en Belgique, le climat entretenu par les partis d’extrême droite et populistes européens est malsain, comme le Mrap (le mouvement français contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) le relevait peu après le massacre norvégien. Il établissait un lien avec le carnage en leur attribuant une  » lourde responsabilité  » dans le délire meurtrier du tueur. Et en Belgique ? Le Vlaams Belang, cité comme la N-VA dans le manifeste du Norvégien, a eu vite fait de condamner le massacre, comme pour se défaire d’une tache envahissante. C’est qu’il partage avec Breivik la haine de l’étranger, singulièrement s’il est musulman, et fait également reproche aux autorités d’accueillir ceux-ci avec laxisme. Le Parti populaire, lui, s’est fait discret. Quelques jours à peine avant la tuerie, son président, Mischaël Modrikamen, avait marqué sa convergence intellectuelle avec Marine Le Pen, la trouvant très fréquentable. Seulement voilà : la présidente du Front national français n’a nullement condamné les propos de son père, Jean-Marie, lorsque, dans une déclaration, il s’en est pris moins à Breivik qu’à la  » naïveté  » des dirigeants norvégiens, qualifiant les faits terribles de simple  » accident  » dû à un individu. Qui est vraiment fréquentable ?

ROLAND PLANCHAR

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