L’explosif cocktail Sarkozy

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Il avait placé Cécilia au cour d’un système ostentatoire. Jusqu’à ce qu’elle devienne un  » problème « , titrait L’Express du 13 septembre. Qui est en voie de règlement.

Le couple Sarkozy se brûle les ailes à un soleil qu’il a lui-même allumé. Avec eux, le privé domine le public au sommet de l’exécutif, en des mystères qui relèguent au second plan les réformes en cours et les grands dossiers du moment.

Le couple Sarkozy est ébloui par une lumière qu’il a lui-même désirée. Il a, avant d’autres et plus que d’autres, composé et agité ce mélange de people et de politique qui illumine depuis des années la vie publique et la fait briller des feux du toc. Certes, les médias de toute nature l’ont suivi et ont poussé avec enthousiasme dans cette voie aventureuse, et les électeurs téléspectateurs ont plébiscité cette orientation dite  » à l’américaine « . Du producteur au consommateur, chacun a sa part de responsabilité. Mais la repentance n’est pas nécessaire, et ce que les esprits chagrins, nostalgiques des républiques d’antan, nomment  » dérive  » n’est peut-être que le vernis criard de la modernité. On déplore ? Il faut d’abord constater. On accuse ? Il faut d’abord étudier. Et ne pas oublier qu’en se proclamant le prince du  » peopolitique  » Nicolas Sarkozy a conquis les urnes au-delà des sondages, qu’il a proposé des idées et des débats aux citoyens alléchés par son personnage et par les confidences sur sa vie privée, que la vitrine Cécilia cachait un vrai magasin politique et, enfin, que les 85 % de l’électorat qui sont allés voter le 22 avril l’ont fait, aussi, parce que les personnages de cette histoire les passionnaient. Jamais des candidats  » à l’ancienne  » n’auraient déplacé tant de monde.

Néanmoins, l’Histoire retiendra que la France, frileuse à bouger les frontières entre vie publique et vie privée, a bouleversé cette géographie du non-dit à l’instigation des époux Sarkozy. Ils se croyaient des pionniers, ils n’ont peut-être été que des apprentis sorciers.

Le couple Sarkozy est emporté par une rivière dont il a lui-même creusé le lit. Il y a dix ans, au RPR, l’actuel président érige le duo composé avec son épouse en élément essentiel de sa stratégie de communication. Il y a cinq ans, déboulant au ministère de l’Intérieur avec, déjà, l’horizon élyséen en tête, il place Cécilia, cette fois, au c£ur d’un système politique ostentatoire et offensif.

Tout comme action et communication fusionnent en phase de conquête électorale, l’un ne va pas sans l’autre dans le couple. Il dit, il agit ; elle conseille, elle surveille. Et ils avancent. Dans ce quinquennat d’ascension conjointe, il est plusieurs phases, plusieurs époques, comme dans les romans-feuilletons du xixe siècle, où l’amour et l’ambition allaient déjà main dans la main.

La première époque est  » clintonienne « , avec la mise en scène de leur passion fusionnelle et de l’addition de leurs qualités. Nicolas est offensif et bouillant, Cécilia réfléchit froidement. Il n’a pas le physique du héros, elle est sculpturale. Toute sa vie est dans la politique, au nom du destin ; elle sait s’en évader, au nom du bonheur. Il est très à droite, elle est très adroite. Comme les Clinton ou les Kennedy, les Sarkozy imposent le ticket  » monsieur-madame  » dans la politique.

L’époque suivante est  » feydaldienne  » : dans les pièces de Georges Feydeau, le cocu s’invite au deuxième acte. L’escapade de Cécilia Sarkozy, dans le courant de 2005, brise et bronze le personnage du futur président. Le voici en échec, un peu risible, même. Mais le voici humanisé,  » démécanisé « , et les Français voient moins, soudain, ses dents trop longues que son c£ur trop sensible. Sa dépendance psychologique à l’égard de son épouse, flagrante, inquiète les experts, mais rassure les électeurs. La troisième époque est  » bourbonienne « . Après la victoire, une place est cherchée pour la première dame au sein des jeux de pouvoir, comme on guettait jadis l’importance de la reine auprès du souverain : de Catherine de Médicis, véritable roi bis, à Marie-Thérèse d’Autriche, ombre au royaume des favorites, la marge, alors, était grande. Les grâces et les disgrâces de Cécilia Sarkozy peuplent les cabinets et épurent les antichambres.

Tout retour en arrière serait plus ridicule qu’heureux

Mais son impact sur les événements est imprévisible, relevant de ses caprices plus que de sa volonté. Du hold-up politico-médiatique sur la libération des infirmières bulgares à l’éclipse totale depuis la rentrée, en passant par le déjeuner manqué avec les Bush, Cécilia joue sur toute la gamme des possibles, parfois quasi-présidente, parfois simple  » civile « . Et celle qui fait du shopping sans escorte dans Paris ou New York est la même que celle qui refuse, pour des raisons institutionnelles, de témoigner devant une commission parlementaire.

Le problème Cécilia est en voie de règlement ; tout retour en arrière serait plus ridicule qu’heureux et le parfum de décadence l’emporterait sur l’eau de rose. Dans sa vie privée, le président trouvera les équilibres qu’il veut, loin des projecteurs s’il en est capable. Dans sa vie publique, le voici libre d’une influence qui lui apportait à la fois instabilité et équilibre, qui lui était en même temps nuisible et précieuse.

Depuis la nuit des temps, il en est ainsi de l’amour, sublime paradoxe. Mais la politique, elle, a besoin, pour traverser les périls actuels, de raison et de sang-froid, de points fixes sur un horizon cristallin. En cela, la transformation de Nicolas Sarkozy en président solo est une bonne nouvelle pour la France.

Christophe Barbier

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