» L’Europe a peur d’elle-même « 

Spécialiste de l’espace postsoviétique et du Caucase du Nord en particulier, Aude Merlin (ULB) pointe le manque d’assurance européen face à la Russie.

L’influence russe s’est-elle accrue en Europe ?

La crise ukrainienne, en 2014, a révélé l’existence d’espaces politiques favorables au Kremlin dans divers pays de l’Union européenne, voire dans certains gouvernements comme la Bulgarie, la Hongrie et, dans une certaine mesure, l’Italie et la Slovaquie. Les présidentielles américaines et les résultats de la primaire de la droite française, avec Donald Trump et François Fillon, montrent que la rhétorique proKremlin n’est plus réservée aux mouvements extrémistes et périphériques. Elle est au coeur de certains pouvoirs. Une aspiration à un pouvoir fort, une fascination pour des hommes comme Vladimir Poutine s’expriment dans certains segments de nos sociétés.

En faisant une offre politique aux pays ex-soviétiques, l’Europe n’a-t-elle pas outrepassé ses limites ?

L’Union européenne a, en effet, une offre politique à l’égard de pays tiers. Cela remonte à l’élargissement de 2004 et 2007. En 2007, la commissaire européenne aux Affaires extérieures, l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, a défini un objectif de bon voisinage visant à s’assurer un environnement de prospérité, de stabilité et de sécurité, dans un contexte d’instabilité, en Irak, au Caucase du Sud, etc. Le soft power de l’UE repose sur le postulat d’une attractivité potentielle du modèle européen à l’égard de pays tiers, même si, en ce moment, il est de moins en moins prisé en interne… La promotion de l’Etat de droit, des droits de l’homme, de la société civile fait partie de cette offre politique. Mais, actuellement, l’Europe a peur d’elle-même, elle ne sait pas ce qu’elle doit faire.

La Fédération de Russie veut-elle l’éclatement de l’Europe ?

Le pouvoir russe n’est pas monolithique. Toutes les forces politiques ne sont pas forcément d’accord entre elles sur la position à adopter par rapport à l’Europe. La fragilité de l’Europe est connue et, quand cela lui est utile, Moscou s’appuie sur certaines forces centrifuges.

La poutinophilie déforce-t-elle les défenseurs russes des droits de l’homme ?

Il ne faut en effet pas confondre poutinophilie et russophilie. On peut être totalement russophile, ce qui est mon cas, et constater que les forces politiques pro-Kremlin dans l’UE ne contribuent pas à la protection des droits de l’homme en Russie. L’Union européenne ne sait pas jusqu’à quel point elle doit défendre ses valeurs, ce qui pose inévitablement la question du rapport de forces et d’une défense européenne.

ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN

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