L’étymologie du chômeur

Je suis un chômeur complet indemnisé, âgé de 58 ans. Ou, politiquement plus correct, un demandeur d’emploi bénéficiant d’allocations majorées avec complément d’ancienneté. Je passe sur la mention manuscrite ajoutée à la hâte sur un C4 pré-imprimé :  » Réorganisation du personnel « . Ouf : l’honneur de l’employeur est sauf, et mon droit social, ouvert. C’est un autre débat ! Par ces temps où politique rime avec démagogie, j’ai modestement essayé de redécouvrir le sens des mots, un petit décalage donnant aux néologismes un supplément d’âme. Chômeur : statut inscrit dans le droit du travail. Rime facile avec  » profiteur « . N’est pas Rimbaud qui veut ! Complet : reconnu intégralement comme tel. Il n’y a rien à jeter : tout est bon dans le cochon ! Plus chômeur que ça, tu meurs : Ben oui, y’a pas que Rimbaud ! Indemnisé : adjectif impliquant une réparation financière pour un préjudice subi. J’ai cotisé pour, oui mais vous pourriez participer à la résorption de la dette souveraine. J’y suis pour rien, moi ! Vous n’aviez qu’à pas placer vos sous chez Goldman Sachs ! Agé : l’adjectif qui tue. La date de péremption est atteinte. Et dire qu’à l’heure du pacte des générations, je pensais benoîtement que la transmission des connaissances était un atout ! Demandeur : substantif impliquant une requête. Y serait demandeur, le profichômeur ? On n’a pas été bien inspiré : il fallait lire  » Quête  » ! Emploi : espèce en voie de disparition. In extenso :  » Votre profil n’est pas en adéquation avec le poste vacant.  » De toute façon, vous l’êtes déjà, vacant ! Bénéficiant : soyez content. On partage ! Subtilité : d’indemnisé, je suis devenu bénéficiaire d’un système révolu ! Allocations : bénéficiaire mais allocataire – Oublions social ! On me remet à ma place. Et attention, soyez heureux qu’elles soient encore indexées. Complément d’ancienneté : ne pas se méprendre. Ancienneté = durée de carrière confondue allègrement avec celle de  » chômiste  » : profession de plein-emploi ! J’arrête. Cela me fatigue davantage que la rédaction de mes multiples lettres de motivation. Pensez : 30 candidatures pour le seul mois de janvier. Trois réponses polies. Je ne renonce pas mais faiblis. Je suis conscient que la fraude sociale existe au même titre que la fraude fiscale, sport national réservé aux cabinets d’avocats. Mais à force de tirer sur les lampistes,  » ils  » vont se brûler, les chômeurs de ma génération étant déjà  » cramés « . Mon revenu mensuel net est égal au seuil de pauvreté après trente-cinq ans de carrière et le montant de ma pension brute estimée par l’ONP lui est inférieur. Je ne me plains pas. J’ai des revenus ! Jusqu’à quand ?

Il n’est pas donné suite aux lettres ouvertes ou portant des adresses incomplètes. La rédaction raccourcit certaines lettres pour permettre un maximum d’opinions.

JEAN DE BRAUWER, LIÈGE, PAR COURRIEL

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