L’espace et le temps

Existe-t-il un fil rouge permettant d’appréhender le phénomène de la pensée ?

Jean-Claude Stijn, Bruxelles

A la fin du xviiie siècle, le philosophe Emmanuel Kant, dans la Critique de la raison pure, s’interrogeait sur la possibilité de notre perception de l’univers et notre capacité de penser. L’espace et le temps, fut sa réponse. Qu’est-ce que l’univers si ce n’est l’ensemble des objets qui le composent ? Dire que ces objets existent signifie, entre autres, qu’ils sont disposés les uns par rapport aux autres ; autrement dit, dans l’espace. Quelle est le mode caractéristique de la pensée si ce n’est une succession de représentations et de concepts. Aucune pensée n’est instantanée, évidence que chacun expérimente continûment. Or qu’est-ce qui rend la succession possible ? Le temps. Ainsi, l’espace est la condition de l’existence du monde physique et le temps, celle de la pensée. Ce constat permet de réfléchir directement sur la pensée en tant qu’expression de notre conscience éveillée.

Notre interrogation sur la pensée se situe à deux niveaux. Le premier, s’appuyant sur le dernier état des neurosciences, explique de mieux en mieux comment fonctionne la machine-cerveau. Le second niveau s’interroge sur la pensée-conscience qui n’est pas la simple addition des mécanismes neurophysiologiques qui en fondent la possibilité. De la même façon, nous considérons que la connaissance des mécanismes de la perception est  » autre chose  » que notre capacité d’apprécier une peinture ou un morceau de musique.

C’est donc au niveau de la conscience vécue que nous nous demandons quel est le fil rouge de la pensée-en- acte. C’est le récit ou la narration. Toute pensée est une narration. Parfois, conduite avec méthode, elle a pour objet de résoudre un problème. Le plus souvent, elle se limite à rendre possible l’échange permanent entre la conscience et les mondes concret et intellectuel qui constituent la réalité mouvante de l’existence de chacun. Deux  » récits  » s’entremêlent. Celui que notre conscience perçoit par les sens, mais aussi par la mémoire-expérience ou ce qui en tient lieu. Le second  » récit  » est celui que déroule constamment notre conscience, même dans les moments les plus ordinaires comme la reconnaissance d’un visage, d’une voix, un déplacement plus ou moins instinctif selon le niveau de connaissance acquise antérieurement, etc. Bref, un dialogue matériel entre l’extérieur et l’intérieur s’institue sous la forme de deux récits qui tissent littéralement notre capacité d’être présent au monde. Ce que résumait admirablement Paul Ric£ur (1913-2005) :  » Je suis ce que je raconte.  »

Jean Nousse

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