Zakia Khattabi n'a aucun problème à ne pas toujours être du même avis que le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, et vice versa. © HATIM KAGHAT

« Les verts sont prêts à assumer une prolongation »

Ministre fédérale du Climat et de l’Environnement, Zakia Khattabi (Ecolo) rappelle les termes de l’accord de gouvernement sur la sortie du nucléaire. Elle s’étonne du « faux débat » dans lequel les libéraux francophones veulent entraîner la Vivaldi.

Le mercredi 3 septembre, Zakia Khattabi accueillait Le Vif et Knack à la Tour des Finances, siège de son cabinet et de ceux des autres ministres écologistes, pour son interview de rentrée. Pendant la première heure de l’entretien, la ministre, qui veut nous y annoncer la création d’un Organe de coordination et d’analyse de la menace climatique sur le modèle de l’Ocam (NDLR: chargé de l’analyse de la menace terroriste) décrit longuement son rôle. « Un travail de diplomate », dira-t-elle, visant à négocier avec chaque ministre une feuille de route afin de réduire les émissions de CO2 de la Belgique de 55% d’ici à 2030. C’était le moment de lui parler de la fin du nucléaire et des centrales à gaz…

Le débat, il a eu lieu, les gars. Et nous, on n’y était pas. C’est vous qui l’avez accepté.

Si on reprend tous vos arguments, on imagine qu’au terme de cet interview vous traverserez le couloir, sonnerez à la porte de votre collègue Tinne Van der Straeten (Groen) et lui direz qu’il faut immédiatement prolonger les centrales nucléaires: on va subsidier du fossile, la facture des plus précaires va augmenter, etc.

D’abord, on ne remplace pas le nucléaire par du gaz, on le remplace par du renouvelable. Mais, en attendant, pour garantir une sécurité d’approvisionnement, il faut un filet de sécurité, et ce sont les centrales à gaz.

Mais pourquoi le nucléaire, dont les centrales sont déjà construites, ne pourrait-il pas tresser ce filet de sécurité?

Parce qu’une décision en 2003 a été prise sur la sortie du nucléaire, et que ceux qui auraient dû le faire ne l’ont pas suffisamment préparée, donc on assume un choix, et on en tire les conséquences. Les TGV (Turbines Gaz-Vapeur) produisent du CO2, oui, c’est clair. Mais ces centrales n’augmenteront pas notre montant global d’émissions, parce que l’électricité ne s’inscrit pas sur un marché uniquement belge, c’est un marché européen, par lequel l’Europe a installé un plafond d’émissions qui correspond à la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050. Donc cet enjeu comme il est discuté, dans les termes que certains, comme monsieur Bouchez, veulent imposer, est un faux débat: ce n’est pas à l’échelle de la Belgique que ça se joue mais sur un marché tel qu’il a été organisé par l’Europe.

Il n’y a pas que Georges-Louis Bouchez. Zuhal Demir (N-VA), ministre flamande de l’Environnement, ou le climatologue Jean-Pascal van Ypersele aussi…

Moi, je préfère que les pronucléaires s’assument en tant que tels plutôt qu’ils tentent d’imposer leurs positions sur des bases fallacieuses. Oui, les TGV produisent du CO2. Mais non, il est faux d’affirmer que ça va nous empêcher d’atteindre nos objectifs puisqu’ils sont inscrits dans un marché qui est organisé par l’Europe, avec une régulation et une suppression progressive. Cela n’augmentera pas nos émissions, c’est un jeu de solidarité à l’échelle européenne: l’éolien offshore profite ainsi aussi à d’autres pays. Et nous, on se sert d’une béquille pour assumer enfin la sortie du nucléaire. Moi, j’ai hérité d’un accord de majorité que je n’ai pas négocié. Je ne sais pas où était monsieur Bouchez quand, à la table des négociations, ils ont tous marqué leur accord tant pour la réduction de 55% d’ici à 2030 que pour la sortie du nucléaire. Qu’il découvre aujourd’hui qu’il faut atteindre – 55%, moi, j’hallucine. Et, ensuite, les négociateurs, de toutes les familles politiques, se sont donné une clause de rendez-vous en novembre. S’il y a le moindre risque pour la sécurité d’approvisionnement, on laisse un, voire deux réacteurs. On l’a signé, les verts comme les bleus, donc, voilà, ça veut dire que les verts sont prêts à assumer, le cas échéant, la prolongation d’un ou deux réacteurs. Ce qui me fâche le plus, c’est que ceux qui ont accepté les deux, sortie du nucléaire et baisse des émissions de CO2, ne s’y sont pas opposés à ce moment-là et rouvrent maintenant les discussions. Le débat, il a eu lieu, les gars. Et nous, on n’y était pas. C’est vous qui y étiez, c’est vous qui l’avez accepté.

On peut comprendre que vous choisissiez Georges-Louis Bouchez ou Zuhal Demir comme adversaires, mais il y a aussi Jean-Pascal van Ypersele, qui a toujours été proche de vos préoccupations, et qui considère que ces centrales à gaz ne sont pas le meilleur choix. Est-ce qu’au sein d’Ecolo la discussion évolue sur ce sujet?

Une chose après l’autre… Comme ministre, moi, c’est l’accord de gouvernement et rien que l’accord de gouvernement. Comme Georges-Louis Bouchez, je ne veux pas aller plus loin, mais pas en deçà non plus, et l’accord dit: transition juste, – 55% en 2030 et sortie du nucléaire, sauf si certains risques se matérialisent. Ensuite, sur cette question de doctrine écologiste, notre programme pour 2019 est toujours en ligne. Il s’appuie sur un ouvrage très clair, Terre, Mer, Ciel, où on mobilise l’ensemble des énergies renouvelables, mais aussi le gaz, dans plusieurs scénarios de transition. Aujourd’hui, sans doute, oui, certains s’interrogent sur la sortie du nucléaire chez nous aussi. Mais les débats ont eu lieu, même si les positions peuvent évoluer. Et puis, moi, je n’amène pas ma position personnelle au gouvernement, parce que ça ferait une belle jambe dans ce débat. On a une feuille de route, elle dit -55% et sortie du nucléaire, quoi que j’en pense moi. Depuis 2003, aucun gouvernement n’a remis en question la sortie du nucléaire. Les plus opposés à cette sortie étaient ensemble dans le gouvernement précédent, et ils ne l’ont pas fait non plus. Et par rapport à Jean-Pascal van Ypersele, nous portons, comme écologistes, un projet global. L’écologie en Belgique s’est fondée à partir de mouvements féministes, d’amis de la terre, d’antinucléaires, etc. Autant d’éléments qui font la doctrine et l’identité de notre parti. Jean-Pascal ne les partage pas tous, et je n’ai aucun problème avec ça.

Et quid de la facture d’énergie, sachant que le prix du gaz explose?

D’abord, il faut remarquer que cette augmentation n’a pas attendu la transition et la fin du nucléaire. Les prix ont augmenté avec le nucléaire. Ensuite, si vous regardez les engagements de l’accord, et aussi ce que Tinne Van der Straeten met déjà en place, ce sont des accompagnements et des correctifs sociaux pour que la transition n’ait pas un impact sur la facture.

C’est une autre contrainte sur les ambitions climatiques…

Le gouvernement s’est engagé à ce que la part fédérale de la facture n’augmente pas. Nous n’avons de leviers que là-dessus, et l’explosion des prix du gaz est indépendante de la sortie du nucléaire par la Belgique. Elle préexiste à cet enjeu de la transition.

Mais la sortie du nucléaire ne va rien arranger, au contraire…

Je ne peux que vous le répéter, et vous ne pouvez que nous croire sur parole, sur la base de l’accord de majorité: c’est une préoccupation, inscrite noir sur blanc.

Lire l’intégralité de l’interview de Zakia Khattabi sur levif.be.

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