Les turpitudes de la Sarkozie
Après les tableaux de Claude Guéant, voici l’argent liquide d’un autre proche, l’ex-ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon, qui vient polluer l’atmosphère. Pour Nicolas Sarkozy, l’inventaire se complique, et pas seulement sur le plan politique.
Le ciel se vide. Du firmament sarkozyste tombent, une à une, les étoiles que l’ex-président y avait lui-même accrochées. Après les ennuis de Claude Guéant, impassible serviteur de l’Etat mué en maladroit revendeur de tableaux, voici les mésaventures de Boris Boillon, diplomate enfiévré reconverti en bagagiste encombré. Certes, rien n’implique Nicolas Sarkozy dans ces affaires, mais il est troublant de voir ainsi épinglés ceux qu’hier il nimbait de sa totale confiance et montrait en modèles aux Français.
Claude Guéant est le pivot de l’arbitrage Tapie, Boris Boillon fut un maillon de la géopolitique élyséenne : Nicolas Sarkozy est en filigrane de ces divers dossiers. Ce sont les turpitudes de la Sarkozie que l’on voit, comme autant d’épaves mises au jour maintenant que la marée du pouvoir s’est retirée. Longtemps, le chef de la droite s’est enorgueilli de l’absence de toute affaire dans son sillage, après des années Chirac mitées de scandales. Le voici rattrapé par le même fumet. Bettencourt, Tapie, argent libyen, sondages de l’Elysée… De près ou de loin, gêné par les révélations ou révolté par l’absence de preuves, l’ancien président est au centre d’une ronde de soupçons.
Ne rien faire comme les autres a toujours été érigé comme principe de base du sarkozysme. » Ne pas tuer ma famille politique comme Jospin, ne pas partir ridicule comme Giscard « , avait-il confié le 7 mai 2012, au lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Si l’UMP a failli mourir, ce ne fut pas de son fait. Le ridicule, il l’a également évité, grâce à une sortie parfaitement maîtrisée. Ne pas faire comme les autres, ce fut regagner dans l’entre-deux-tours ces points aboutissant à un score serré qui a tant fragilisé le début du mandat de François Hollande et qui explique tout de la situation actuelle à droite. Ne pas faire comme les autres, c’est ne pas porter le chapeau de l’échec aux yeux des électeurs de son camp. Echec ? » Défaite fondatrice « , a corrigé son conseiller, le politologue Patrick Buisson, pour mieux souligner qu’elle devait ouvrir une nouvelle séquence et non clore une histoire. En 1982, Valéry Giscard d’Estaing, que son électorat ne regrettait pas vraiment, se sentit obligé de repasser par la case des élections cantonales pour forcer un retour sur la scène publique qui allait demeurer inachevé.
Ne pas faire comme les autres, c’est être un ex-président aussi clivant que le fut le chef de l’Etat d’entre 2007 et 2012. Adulé par ses supporters, rejeté par les autres. Ce n’est pas à 58 ans qu’il va commencer une carrière de père de la nation, posture qu’il n’a jamais adoptée lorsqu’il était à l’Elysée. Ne pas faire comme les autres, enfin, c’est ne pas donner du temps au temps. Avait-il besoin de faire si vite tant parler de lui, en recevant tout ce que l’UMP compte d’ex et de futurs élus ? Le 12 juin, il invite à déjeuner plusieurs parlementaires qu’il n’a jamais vus, ou alors si peu, mais dont il connaît, sans exception, les prénoms. Il ne peut s’empêcher d’épingler ses adversaires de l’intérieur. » 87 % des gens souhaitent mon retour. Je suis en retrait, ironise-t-il, je ne veux pas faire ombrage aux nombreux talents de l’UMP. » Et chaque invité de repartir avec sa photo souvenir. D’autres, fillonistes ceux-là, ressortent des bureaux parisiens frappés de constater que » son potentiel d’agressivité est intact « , tant Nicolas Sarkozy dégage depuis un an la même violence que pendant son ascension vers le sommet de l’Etat, avant 2007.
Dans l’histoire du sarkozysme après Sarkozy, la journée du 8 juillet 2013 fera date. Ce jour-là, l’ancien président intervient lors d’un bureau politique exceptionnel de l’UMP, après que le Conseil constitutionnel a invalidé ses comptes de campagne. Il lance une opération de collecte financière qui virera au plébiscite. Ce jour-là, il réussit aussi à se mettre à dos une bonne partie des élus de son parti, par son attitude oscillant entre humiliation et provocation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les » faiblesses comportementales » que pointera Jean-Pierre Raffarin, dans un entretien paru dans Le Monde daté du 28 août, n’ont pas disparu.
Sa stratégie : jouer la base contre les élus
Comment, alors, prendre de la hauteur ? La » distanciation par rapport aux gens et aux événements « , qu’ils sont nombreux à lui recommander, n’est pas tout à fait le genre de beauté de Nicolas Sarkozy. L’émancipation de François Fillon le contraint à ne pas s’éloigner du champ de bataille, quand il aurait bien laissé son Premier ministre-collaborateur se débattre face à Jean-François Copé. Mais ce dernier n’est pas davantage décidé à faciliter le retour du président battu. » Vous n’êtes pas au courant ? Sarkozy n’a pas perdu la présidentielle, ce sont les journalistes qui l’ont fait perdre « , a moqué Jean-François Copé en petit comité avant l’été, agacé de voir à quel point l’ex se défaussait de toute responsabilité. Ce n’est d’ailleurs pas tant que Nicolas Sarkozy récuse tout droit d’inventaire, c’est qu’il veut être, là comme ailleurs, seul à la manoeuvre, pour procéder comme il le souhaite et quand il l’aura décidé.
Si son management des hommes lui a souvent compliqué la tâche, les difficultés ne l’ont jamais découragé. Il est désormais décidé à créer un rapport de force à droite qui achèverait de convaincre l’électorat de l’opposition qu’une primaire ressemblerait à l’affrontement Copé-Fillon de l’automne 2012, en pire ; et que le rôle de ces sympathisants est de soutenir un candidat, non de le choisir. Le retour, annoncé pour l’automne 2014 (les plans sont faits pour ne pas être respectés), repose sur une stratégie : jouer la base contre les élus, comme il a pris l’habitude d’opposer » le peuple de France » aux élites. Et sur trois données : le discrédit du pouvoir, l’impuissance de l’UMP, la menace du FN.
A l’Elysée, François Hollande n’oublie pas qu’il a longtemps été l’un des meilleurs observateurs de la vie politique. Lui a vu de près comment Lionel Jospin, qui s’était retiré » définitivement » de la scène publique, a tout mis en oeuvre pour se présenter à l’élection présidentielle de 2007, sans y parvenir. Et il n’a pas échappé à l’actuel chef de l’Etat que le 6 mai 2012, Nicolas Sarkozy s’était bien gardé de prononcer des paroles comparables à celles de l’ancien Premier ministre socialiste au soir du 21 avril 2002. Ne pas faire comme les autres, ce serait donc cela : réussir là où tout le monde a jusqu’à présent échoué.
Par Christophe Barbier et Eric Mandonnet, avec Benjamin Sportouch
Gêné par les révélations ou révolté par l’absence de preuves, l’ancien président est au centre d’une ronde de soupçons
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