Petit passage en revue des événements qui ont poussé Electrabel à la Une des journaux, à son corps défendant…
>coupable silence
En juin dernier, la Commission européenne a infligé une amende de 25 millions d’euros à Electrabel : elle reproche à l’opérateur de ne pas lui avoir notifié à temps la prise de contrôle de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), un producteur hydroélectrique français. Electrabel a en effet averti la Commission en mars 2008, alors qu’elle était devenue actionnaire (minoritaire) dès décembre 2003.
» Il ne s’agit pas d’un problème de concurrence, a précisé la Commission, mais d’une infraction grave au principe fondamental selon lequel les entreprises doivent notifier à l’avance (leurs intentions) avant de prendre le contrôle d’une autre entreprise. «
Electrabel, de son côté, affirme qu’elle est montée par étapes dans le capital de la CNR, dont l’actionnaire majoritaire, public, rendait toute prise de contrôle impossible. Il n’y avait donc pas lieu, à ses yeux, de notifier quoi que ce soit à la Commission jusqu’à ce qu’en 2007 l’électricien constate qu’il était devenu, toujours avec moins de 50 % des parts, opérateur de référence. Electrabel a interjeté appel contre la décision de la Commission.
>juteux intérêts notionnels
» Non, Electrabel n’a pas profité du système des intérêts notionnels « , y affirme-t-on. Cette technique, légale, permet aux entreprises de déduire fiscalement des intérêts fictifs (d’environ 4 %) calculés sur leurs fonds propres corrigés. Ce n’est pas qu’Electrabel n’y ait pas songé, mais, au vu de la structure de ses fonds propres, elle n’était pas en mesure de le faire.
Selon la FGTB wallonne, Electrabel a pourtant bien favorisé l’usage du système au sein du groupe, en tout cas en 2006, au profit de sa filiale Energy Europe Invest. A l’issue de divers mouvements de capitaux, celle-ci a ainsi pu déduire 67 millions d’euros d’intérêts notionnels, tandis que Tractebel-Suez déduisait 87 millions d’euros de son bénéfice imposable, au titre d’intérêts pour un prêt entre filiales du groupe. » Cette technique, dite du double dip, est légale, commente Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne. Mais le gouvernement pourrait facilement fixer un cadre qui l’interdise à l’avenir. «
>coûteux certificats d’émissions de co2
La SNCB, l’un des plus importants consommateurs d’électricité en Belgique, a introduit une action en justice contre Electrabel : elle estime qu’elle a subi un préjudice financier, évalué au départ à quelque 25 millions d’euros, du fait qu’entre 2005 et 2009 Electrabel a, dans ses factures, inclus le prix coûtant de certificats d’émissions de CO2 qu’il avait pourtant reçus gratuitement du gouvernement belge. » Nous avons essayé à plusieurs reprises de trouver un accord avec Electrabel, mais sans succès, détaille Anne Woygnet, porte-parole de la SNCB. Depuis que notre plainte a été déposée, un an s’est écoulé. Le montant réclamé s’élève désormais à 37 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les intérêts. «
Pour les années 2005 à 2008, la Creg (Commission de régulation de l’électricité et du gaz) avait estimé que cette pratique avait coûté plus de 1 milliard d’euros aux entreprises belges clientes d’Electrabel.
» Quand, par exemple, les sidérurgistes ont reçu des certificats gratuits, s’est-on demandé si le prix des voitures allait diminuer ? rétorque-t-on chez Electrabel. L’introduction des certificats d’émissions n’a pas réduit nos coûts, d’autant que nous n’en avons pas assez pour compenser nos besoins. Nous devons donc en acheter et investir des centaines de millions d’euros par an pour réduire nos émissions. En outre, nos prix ne s’élaborent pas en additionnant nos coûts et une marge bénéficiaire, mais en fonction des prix du marché. «
>manipulés, les marchés ?
Le 22 septembre dernier, des perquisitions sont menées chez Electrabel et SPE-Luminus, à l’initiative du Conseil de la concurrence. Saisi, en janvier 2009, d’une plainte déposée par le fournisseur d’électricité Lampiris, ensuite rejoint par le groupe Essent, le Conseil cherche à vérifier si les deux opérateurs n’ont pas commis d’infraction à la législation sur la concurrence ou d’abus de position dominante, en poussant artificiellement les prix à la hausse. La Creg ne disait pas autre chose en juin 2009 : d’après l’étude effectuée sur l’évolution des prix sur Beltex, la Bourse de l’électricité, pendant dix-huit mois, certains pics de prix ne s’expliquent que par l’achat d’importants volumes, par Electrabel, à des tarifs très élevés et cela, sans justification. Du moins pour la Creg. Celle-ci doit encore déterminer si ces opérations ont eu ou non un impact négatif sur les consommateurs, s’il y a eu entorse à la loi et s’il y a lieu d’envisager des sanctions.
Electrabel assure que ces opérations se justifiaient par un besoin urgent de se procurer de l’électricité mais que les prix facturés aux clients ne sont pas influencés par les prix d’achat de gros évoqués par la Creg. Les électriciens en cause risquent une amende qui peut représenter jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires.
>minuscules impôts
En 2008, Electrabel, qui a enregistré un bénéfice de 896 millions d’euros, ne s’est acquitté d’aucun impôt des sociétés. L’entreprise a même bénéficié d’un crédit d’impôt de 94 millions. » Certaines de nos activités sont sorties du giron de la société, explique Fernand Grifnée, comme celles qu’assure Elia, par exemple. Nous sommes devenus actionnaires de ces entreprises et touchons, à ce titre, des dividendes taxés à l’origine. Par ailleurs, nous , réduisant d’autant notre périmètre. Enfin, d’importantes charges financières pèsent sur le groupe depuis que GDF Suez a décidé de regrouper, au sein d’Electrabel, toutes ses activités énergétiques. » Du coup, le bénéfice taxable a été singulièrement réduit.
Toutes ces opérations sont parfaitement légales. Ce qui n’empêche pas certains responsables politiques, dont le CD&V Servais Verherstraeten, d’estimer qu’il est » inacceptable que des entreprises aussi grandes qu’Electrabel contribuent si peu au fonctionnement de la société en payant de faibles impôts « .
En 2008, Electrabel a versé quelque 350 millions d’euros de taxes diverses, dont 234 pour la rente imposée par le gouvernement aux opérateurs nucléaires.
>petite couverture pour grands risques
En vertu de conventions internationales, le risque que représente l’activité des centrales nucléaires est couvert par des polices d’assurance plafonnées. Le nucléaire n’est d’ailleurs pas le seul secteur à voir sa responsabilité limitée : c’est aussi le cas du transport de déchets ou de l’aviation. » Le risque est collectivisé alors que les bénéfices sont privatisés « , déplore Stéphane Dauchies, de Test-Achats.
En Belgique, la couverture prévue pour le risque nucléaire est fixée à 330 millions d’euros, dont 297,5 sont payés par Electrabel, qui prend ainsi en charge la part que devrait payer l’Etat. Le solde est assuré en cas de nécessité, par l’ensemble des signataires du protocole.
Un nouveau protocole, signé en 2004 et censé entrer en vigueur en 2010, prévoit de revoir ces plafonds à la hausse, les portant, au total, à 1,5 milliard d’euros, dont 700 millions à charge d’Electrabel et 500 millions à charge de l’Etat. Ce protocole n’a pas encore été ratifié.
L.V.R.
« electrabel pratiquait une espèce d’hypnotisation du politique »