Les secrets du Petit Prince

Pourquoi Saint-Ex n’a-t-il jamais eu en main l’édition française de son livre ? Qui a inspiré le célèbre mouton du conte ? Pourquoi Orson Welles renonça-t-il à l’adapter au cinéma ? Retour sur dix mystères qui entourent cette ouvre inépuisable.

1. Pourquoi Le Petit Prince fut-il publié à New York avant de l’être à Paris ? Démobilisé, Antoine de Saint-Exupéry débarque aux Etats-Unis en décembre 1940. A l’été 1942, lors d’un déjeuner au célèbre café new-yorkais Arnold, son éditeur Eugène Reynal et son épouse Elisabeth sont intrigués par un petit personnage que le romancier a griffonné sur la nappe. Ils lui suggèrent d’en faire la figure centrale d’un livre pour enfants. Saint-Ex s’y attelle et, dès la fin de l’année, remet Le Petit Prince. Le conte paraît en avril 1943 chez l’éditeur Reynal & Hitchcock sous deux versions, l’une en anglais, l’autre en français. L’édition française ne paraîtra chez Gallimard qu’en 1946. Son auteur, disparu en 1944, ne la verra jamais.

2. Saint-Exupéry faillit-il ne pas dessiner Le Petit Prince ? Aujourd’hui, les aquarelles de Saint-Ex font partie de notre inconscient collectif. Pourtant, à l’origine, c’est son vieil ami des Beaux-Arts, Bernard Lamotte, déjà illustrateur de Pilote de guerre, qui avait été pressenti pour les dessins du Petit Prince. Personnage fantasque de la colonie française réfugiée à New York, Lamotte avait un trait réa-liste, qui a pu, par exemple, influencer un Hugo Pratt. Trop réaliste pour un conte naïf, pense l’entourage de Saint-Exupéry.  » Pourquoi ne l’illustres-tu pas toi-même ?  » suggère un jour à Saint-Exupéry sa maîtresse, Silvia Reinhardt. L’évidence s’impose. Il faudra encore un coup de pouce de Paul-Emile Victor, qui fait découvrir au romancier les fameux crayons aquarelle.

3. Pourquoi le conte est-il dédié à Léon Werth ?  » A Léon Werth quand il était petit garçon  » : l’étrange dédicace en tête du Petit Prince a de quoi intriguer. Ecrivain antimilitariste de gauche, célèbre pour ses 33 jours (Viviane Hamy), Werth s’était lié d’amitié avec Saint-Ex au début des années 1930. Mais, dès 1940, son origine juive l’oblige à vivre dans la clandestinité. Durant toute la guerre, l’auteur de Terre des hommes craindra pour la vie de son ami. Aussi, au moment de trouver un dédicataire au Petit Prince, après avoir songé un temps à sa volcanique épouse Consuelo, il choisit Léon Werth. Ironie de l’Histoire : Werth survécut à la guerre, pas Saint-Exà

4. Quelles sont les clés du Petit Prince ? Récit intemporel se déroulant sur l’astéroïde B 612, le conte de Saint-Ex regorge pourtant de références à la vie de l’écrivain. Le renard rappelle le fennec que le romancier avait apprivoisé à cap Juby, dans le Sahara ; le célèbre mouton serait inspiré du caniche de Silvia Reinhardt ; le businessman doit sans doute beaucoup au magnat de l’aviation Pierre Latécoère, pour lequel Saint-Ex travailla à ses débuts ; enfin, après de longues controverses, on s’accorde à penser aujourd’hui que la rose figure bien Consuelo, sa fantasque épouse. D’ailleurs, cette rose tousse, comme l’asthmatique Consueloà

5. Pourquoi Orson Welles et Walt Disney ne sont-ils pas parvenus à adapter Le Petit Prince ? A peine Orson Welles a-t-il lu le conte d’Antoine de Saint-Exupéry, en 1943, qu’il demande à son agent d’en bloquer les droits. Il commence à écrire un scénario, dans lequel il interpréterait lui-même l’aviateur. Pour représenter le voyage interplanétaire, il songe à des séquences de dessin animé et contacte Walt Disney, le roi du genre. Rendez-vous est donc pris pour un déjeuner aux studios du créateur de Mickey. C’est là que tout va déraper. Welles expose brillamment son projet, mais Disney reste froid et s’éclipse même avant la fin de la réunion, avant de confier à un collaborateur :  » Il n’y a pas la place ici pour deux génies !  » Fin du projet.

6. James Dean se prenait-il pour le Petit Prince ? Lorsque le comédien, encore inconnu, décide de se lancer dans le cinéma et prend contact avec le musicien new-yorkais Alec Wilder, il lui lance au téléphone :  » Bonjour, monsieur Wilder, c’est le Petit Princeà  » Le futur interprète de La Fureur de vivre avait en effet été marqué par la lecture du conte de Saint-Exupéry et s’identifiait à son petit personnage blond, fragile, venu de nulle part. Il eut même le projet de le porter à l’écran. Le destin en a décidé autrement.

7. Peut-on dire du mal du Petit Prince ? Oui, même si l’ouvrage, écoulé à des dizaines de millions d’exemplaires à travers le monde, se classe régulièrement en tête des palmarès. Parmi les quelques critiques qui ont osé écorner le mythe, Jean-François Revel y voyait un  » crétinisme sous cockpit qui prend des allures de sagesse « , et Jean-Louis Bory dénonçait  » une saint-sulpicerie douceâtre mêlant l’avion aux ailes d’anges, et l’archange à hélice « à

8. Le Petit Prince, icône rock ? Au début du clip de la chanson Suedehead, Morrissey, chanteur du groupe culte The Smiths, tient un exemplaire du Petit Prince entre les mains.

9. Pourquoi le journal Elle publia-t-il les  » bonnes feuilles  » du Petit Prince ? Dans son deuxième numéro, en novembre 1945, le tout nouveau magazine féminin Elle propose en avant-première des extraits du livre de Saint-Ex, à la manière d’un conte de Noël. Belle clairvoyance éditoriale. Il est vrai qu’Hélène Lazareff, patronne du magazine et épouse du célèbre journaliste Pierre Lazareff, avait accueilli Saint-Exupéry à son arrivée à New York. Elle avait évidemment lu le livre dès sa sortie aux Etats-Unis, en 1943.

10. Dans quelles circonstances fut réalisé l’enregistrement du conte par Gérard Philipe ? En 1954, à l’occasion des dix ans de la mort de Saint-Exupéry, le célèbre comédien livre une adaptation devenue mythique du Petit Prince. Publié par le label Festival, ce disque ne propose en fait qu’une sélection de trente-quatre minutes, soit environ un tiers du conte. On y reconnaît aussi la voix de Georges Poujouly, à peine 14 ans, qui interprète le Petit Prince et qui s’était rendu célèbre avec son rôle dans Jeux interdits, celles de Michel Roux (le serpent) et de Pierre Larquey (l’allumeur de réverbères). Mais c’est évidemment celle, inspirée, de Gérard Philipe, qui marquera des générations d’auditeurs.

à paraître : une magnifique version pop-up du Petit Prince Gallimard, 72 pages.

Jérôme Dupuis

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