Les scandaleux de Panama

Pris dans la tourmente d’une affaire mondiale, les deux fondateurs du cabinet d’avocats, experts en création de sociétés écrans, demeurent imperturbables. Mais qui sont, au juste, ces flibustiers de la finance ?

Aux  » 10 raisons  » de visiter le Panama – admirer le canal, goûter aux joies de l’écotourisme, découvrir la culture des Indiens Kunas, etc. -, l’office du tourisme local aurait pu en ajouter une onzième : pratiquer l’évasion fiscale. C’est l’une des spécialités de cette petite république d’Amérique centrale (3,7 millions d’âmes) coincée entre la Colombie et le Costa Rica, et, plus encore, celle du cabinet Mossack Fonseca, spécialisé dans la création de sociétés écrans.

Sis dans le quartier d’affaires de la capitale, celui-ci est au coeur du scandale des Panama Papers depuis que la Süddeutsche Zeitung, appuyée par plus de 190 journalistes d’une cinquantaine de journaux de 65 pays réunis au sein du Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ), a épluché 11,5 millions de ses données informatiques, parvenues au quotidien allemand par l’intermédiaire d’une source anonyme.

Du jour au lendemain, Mossack Fonseca est passé de l’anonymat quasi complet à la renommée mondiale. Une notoriété méritée : dans son domaine, ce cabinet est l’un des cinq plus importants au monde. Fort d’une quarantaine de bureaux à travers la planète, dont trois en Suisse et huit en Chine, il emploie 500 personnes. Et, au long de quatre décennies d’expérience, Mossack Fonseca s’enorgueillit d’avoir créé et domicilié pour ses clients 214 488 sociétés, dont 113 000 dans les îles Vierges britanniques. Une fabuleuse machine à cash (37 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013) dirigée par un curieux duo germano-latino composé de Jürgen Mossack, d’origine allemande, 68 ans, qui cultive la discrétion, et de son associé Ramon Fonseca Mora, 63 ans, plutôt du genre extraverti.

Style flamboyant, opposition de caractères, il y a du lord Brett Sinclair et du Danny Wilde chez ces deux-là. Tous les ingrédients sont là : aisance financière, belles voitures, hélicoptères privés, yachts de luxe et, bien sûr, jolies femmes. Leurs aventures se déroulent en outre dans un décor tropical à nul autre pareil. Capitale au charme vénéneux, Panama rappelle La Havane par sa vieille ville coloniale, Singapour par sa place financière et Macao par ses lieux de perdition aux néons flashy. Autre curiosité, deux monnaies équivalentes y ont cours : le balboa et le dollar.

Certes, Jürgen Mossack ne possède pas les lettres de noblesse de Roger Moore dans Amicalement vôtre. Mais le poids de sa filiation n’est pas moins pesant : sous le IIIe Reich, son père fut un nazi dévoué, membre des Waffen SS, ces unités dirigées par Heinrich Himmler. Arrêté par les Alliés en 1946, il propose ses services à la CIA afin d’éviter toute complication judiciaire. Jürgen, né en 1948 en Bavière, est encore un enfant lorsque la famille déménage au Panama, où le père effectue quelques missions d’espionnage contre Cuba, devenu communiste. Dans les années 1970, Jürgen étudie le droit au Panama et, après un début de carrière à Londres (Royaume-Uni), fonde, en 1977, ce qui deviendra le cabinet Mossack Fonseca.

Le pedigree honteux du père détermine sans doute le goût pour le secret du fils.  » El Aleman  » – l’Allemand, son surnom dans les milieux d’affaires locaux – a fait savoir, via son porte- parole, qu’il ne donne pas d’interviews. Et les photos de ce membre du Lion’s Club sont rares. Seuls les profils Facebook de son entourage permettent d’en apprendre davantage sur ce propriétaire d’un hélicoptère et d’une belle villa aux Altos del Golf, le  » Beverly Hills de Panama « , marié à une charmante Cubaine, avocate fiscaliste… chez Mossack Fonseca. Le couple mène grand train, avec escapades amoureuses à Cuba, New York, Londres ou en Inde, avec ou sans leurs enfants, adeptes d’équitation.

Bien différente est la trajectoire de son comparse Ramon Fonseca Mora. A l’instar de Tony Curtis dans la série télé, on devine un personnage canaille, naturellement doué, à la repartie facile. Né à Panama en 1952, le futur associé de Mossack étudie le droit et les sciences politiques dans son pays natal et à la London School of Economics. Jeune homme, il veut sauver le monde, envisage de devenir prêtre, avant de travailler pendant six ans aux Nations unies à Genève.  » Je n’ai rien sauvé du tout, plaisantera Fonseca en 2008 lors d’une interview télévisée. J’ai décidé de fonder une famille et de me consacrer à mon métier, d’avoir une vie normale. Avec l’âge, on devient plus matérialiste…  »

En 1986, c’est le tournant. Fonseca, père de quatre enfants, s’associe avec Jürgen Mossack.  » Nous avons créé un monstre « , déclarera-t-il en 2012 au quotidien La Prensa. Car Fonseca se délecte des interviews, aime les projecteurs et estime avoir des choses à dire. Depuis les années 1990, ce notable qui cotise au Rotary Club mène une carrière parallèle d’écrivain.  » Cela exige régularité et discipline, se lever tôt et écrire à heures fixes « , explique à La Prensa, en 1995, l’auteur de La Danza de las Maripozas ( » La Danse des papillons « ), et de dix autres ouvrages, dont certains récompensés à Panama et Puerto Rico. En 2012, le romancier a publié Mister Politicus, dont les héros sont…  » un couple de jeunes désireux de changer la politique grâce à des pratiques fondées sur l’honnêteté et l’intégrité « . Un récit tiré de son expérience personnelle ? Influent, Ramon Fonseca exerce en tout cas ses talents au sein du Parti panamiste de l’actuel président Juan Carlos Varela. En 2014, l’avocat est devenu ministre-conseiller du chef de l’Etat fraîchement élu. Mais, le 11 mars 2016, il a dû démissionner, après la mise en cause du cabinet Mossack Fonseca dans le scandale de pots-de-vin Lava Jato, au Brésil, qui implique l’ex-président Lula.

Tandis que  » l’Allemand  » Jürgen Mossack reste dans l’ombre, c’est le bateleur décomplexé Ramon Fonseca Mora qui, depuis le début de  » l’affaire « , gère la tempête médiatique, en direct sur CNN en espagnol ou dans d’autres médias. Avec une ligne de défense simple :  » Notre activité est légale : 90 % de nos clients sont des intermédiaires qui revendent les structures offshore créées par nos soins à d’autres clients dont nous ignorons tout, argumente Fonseca, imperturbable. Nous sommes dans la position d’un constructeur automobile, lequel ne peut être tenu pour responsable de l’utilisation faite de ses voitures par d’éventuels chauffards ou braqueurs de banques…  »

Par Axel Gyldén

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire