Les rumeurs de l’Acropole

Guy Gilsoul Journaliste

Après Athènes, Bruxelles accueille une exposition qui interroge les rapports de Paul Delvaux avec la Grèce. Mais encore ?

En 1965, dix ans après son voyage en Grèce, Paul Delvaux (1897-1994) commente ses découvertes dans un discours prononcé à l’Académie royale des Arts et Lettres. Il évoque la croisière sur un vieux bateau aux boiseries d’acajou qui le mène de Venise au Pirée en trois jours et quelques escales. De là, il visite les grands sites comme Olympie, Delphes mais aussi les îles d’Egine à Délos en passant par la Crète de Cnossos.

Malgré cette expérience, la relation de l’artiste avec l’Antiquité est d’abord livresque et remonte à ses années de lycée. Elle ne s’imposera dans son £uvre qu’après bien des années de peintures lorsqu’il découvre, en 1934, les £uvres surréalistes de Giorgio De Chirico et Max Ernst. Pourtant, Delvaux n’est pas un surréaliste. S’il magnifie la rêverie, il n’exploite pas l’incohérence du rêve et ne vise pas le scandale. Loin de lui les sujets tabous et les procédures audacieuses nées avec l’invention du collage.

Certitudes

Delvaux serait plutôt un classique dans l’âme. D’abord, par son éducation. L’enfant est docile, solitaire et rêveur. Le monde moderne et bruyant des gares, des trains, des trams et des usines au loin ne lui est pas inconnu, mais il en capture les silences et en change les échelles. Il fait de même avec les robes et les parures d’une époque révolue (la fin du xixe siècle) dont il habillera plus tard ses héroïnes. On ne s’étonne pas que les récits de Jules Verne ou, par après, les baraques foraines alimentent son imaginaire.

Pour bien comprendre son rapport avec l’antique, il faut aussi évoquer son passage par l’académie des Beaux-Arts où il entre alors que la guerre fait rage du côté de l’Yser. L’enseignement y distribue des certitudes. L’idéalisme de Constant Montald, son professeur, impose le respect des anciens. Entendez la vénération des antiques, du dessin anatomique, de l’art savant de la composition monumentale et de la sacro-sainte perspective. En réalité, il est l’élève d’un enseignement qui, déniant la modernité, passe sans sourciller des valeurs du symbolisme au retour à l’ordre annoncé des années 1920.

Une Antiquité intérieure

Pourtant, il ne sera jamais du côté de ceux qui soutiendront l’esthétique héroïque des réalismes prônés par les dictatures naissantes. En réalité, son Antiquité est tout intérieure. Elle le ramène aux sources de lui-même.  » On n’a que soi « , disait Fernand Khnopff. Colonnes, frontons, statues et bas-reliefs sont ramenés à la vie par son désir de peintre. La lumière les habite. Reste à leur donner un rôle. Donc un théâtre avec des perspectives soignées et une ordonnance calculée au millimètre près. Tout est là sauf la vraisemblance.

Delvaux joue avec l’antique. Il cite, à travers des fragments (une attitude, un drapé, un geste) l’art grec et romain. Pompéi se mêle à Mycènes et l’Acropole prend des allures de place publique. La Venus allongée doit autant à Chirico qu’à Giorgione, autant aux nudités de la Villa des Mystères qu’aux allégories des rivières allongées aux angles du fronton d’Olympie. En mêlant les croquis sur le motif, les études préparatoires et les compositions picturales, l’exposition bruxelloise révèle combien Delvaux, à travers son imaginaire, rejoint celui d’Ulysse, d’Apollon, d’Orphée… et donc, du nôtre.

Delvaux et le monde antique, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts, rue de la Régence. Jusqu’au 31 janvier. www.fine-arts-museum.be

GUY GILSOUL

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