Les  » racines chrétiennes  » dans la Constitution européenne ?

Une dizaine d’Etats européens demandent que le préambule de la future Constitution européenne contienne une référence aux  » racines chrétiennes de l’Europe « , alors que le projet actuel ne mentionne que ses  » héritages culturels, religieux et humanistes « . Faut-il les suivre ? Réponse probable lors du sommet de Bruxelles des 17 et 18 juin

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Annette Schavan: Vice-présidente de la CDU (parti chrétien-démocrate), ministre des Cultes du Land de Bade-Wurtemberg

L’Europe n’est pas simplement une communauté monétaire ou une zone de libre-échange économique. C’est aussi une communauté qui repose sur un socle culturel dans lequel elle puise sa force. Dans cette substance culturelle commune figurent nombre de traditions et d’influences. Et, parmi elles, le christianisme, dont nul ne peut nier qu’il a profondément marqué les sociétés européennes contemporaines et leurs Constitutions. Il n’a pas été seul à le faire, bien sûr. Mais, avec d’autres grands mouvements d’idées û parmi lesquels on retrouve la philosophie grecque, le droit romain, la Renaissance ou le siècle des Lumières û le christianisme a puissamment contribué à forger la perception que nous avons aujourd’hui de l’homme dans nos sociétés : un individu à part entière dont la dignité ne peut être bafouée. Par ailleurs, celui qui voyagerait en Europe sans tenir compte de ces racines religieuses et culturelles aurait toutes les chances de ne rien comprendre aux contrées qu’il traverse. C’est notamment pour ces raisons qu’il est souhaitable que notre Constitution européenne fasse référence à ces racines chrétiennes. D’autant que, dans une Europe à 25, il sera plus nécessaire encore que nous puissions disposer de fondements culturels communs. Or, à mon sens, il n’y a pas de culture sans racines religieuses. Je pense que, à l’heure de la globalisation et à la veille, sans doute, de voir l’Europe élargie jouer un rôle plus important sur la scène internationale, nous serons amenés à ressentir cette exigence plus profondément encore. Je sais bien que certains pays, telle la France, tiennent dur comme fer à leur  » laïcité « . Ils peuvent avoir leurs raisons. Mais je me demande si cet attachement à la laïcité ne sous-estime pas les traditions religieuses de nos sociétés contemporaines. Contrairement à ce que certaines voix prétendent, faire référence au christianisme dans la Constitution européenne ne rend pas la foi obligatoire. Cela n’impose pas un dieu, et encore moins une pratique religieuse particulière. Il s’agit simplement, indépendamment des convictions et des pratiques de chacun, de souligner notre compréhension commune de l’homme. l

contre

Louis Michel: Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Belgique

L’Europe d’aujourd’hui et l’esprit européen, c’est la synthèse, bien sûr, de la civilisation judéo-chrétienne, mais aussi du siècle des Lumières, de la laïcité, de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Je n’oublie pas la Réforme et le protestantisme. Je ne nie aucune des grandes influences. Mais pourquoi mettre l’accent sur une inspiration particulière plus que sur une autre ? Vouloir à tout prix faire de la religion un élément, un critère, un paramètre d’appartenance à l’Europe relève, à mes yeux, presque de l’intolérance. L’identité européenne passe clairement par la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Europe, c’est l’Etat impartial. Et la première condition nécessaire, je dirais presque suffisante, de l’Etat impartial, c’est la liberté religieuse. Non, je vois dans cette revendication une instrumentalisation politique et philosophique de la nature positive du projet européen. Ce n’est pas convenable. Faisons très attention quand on joue avec ces notions-là. Il ne faut pas oublier que l’Europe est multiculturelle et que cela mettrait fort mal à l’aise le monde musulman. Je ne dis pas que ceux qui veulent qualifier religieusement l’Europe en sont conscients, mais il faut être prudent. Je n’ai non plus aucune appétence pour la solution qui consisterait à évoquer dans la Constitution des héritages religieux. Je ne suis pas, en outre, gagné à l’idée d’organiser de manière structurelle une concertation avec les Eglises. C’est dans le caractère impartial de l’Etat européen que les religions trouvent la plus solide garantie de leur liberté. Vous imaginez bien que, si l’on partait du facteur religieux pour définir l’Europe, demain, on pourrait très bien avoir une autre religion qui viendrait requalifier l’Europe de cette manière-là. Ce qui pourrait déboucher sur la fin de la séparation des Eglises et de l’Etat. On peut discuter la notion d’héritage spirituel : cela recouvre les Lumières, la franc-maçonnerie, les religions. Cependant, pour ce qui nous concerne, jamais nous n’accepterons d’introduire l’élément religieux ni dans le préambule ni dans le corps de la Constitution européenne. J’estime déjà que nous avons eu tort d’accepter l’article 51 du projet de Constitution, qui prévoit que,  » reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises et organisations « . l

Jean-Michel Demetz et Blandine Milcent

ôIl n’y a pas de culture sans racines religieuses »

ôPourquoi ne mettre l’accent que sur une inspiration ? »

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