A ce jour, la Russie n'a pas dénoncé ses contrats à long terme, mais elle pourrait réduire son approvisionnement ponctuel. © getty images

« Les prix de l’énergie seront très élevés de façon durable, voire définitive »

Adel El Gammal, spécialiste de la géopolitique de l’énergie, souligne que l’on ne pourrait pas remplacer du jour au lendemain les 40% de gaz russe acheminés vers l’Europe. Nous payons le manque d’investissements dans les alternatives.

L’offensive militaire russe en Ukraine perturbe les marchés, notamment du gaz et du pétrole. Les répercussions sur nos porte-monnaie risquent d’être élevées, à long terme, estime le professeur de l’ULB.

Quel sera l’impact de cette guerre sur l’énergie à l’échelle mondiale?

Commençons par dire que l’on dépasse largement la question d’une crise énergétique. Nous rentrons dans une crise mondiale et il est très difficile d’évaluer quelles en seront les conséquences. S’il s’agit bien d’une invasion russe de tout le territoire ukrainien, y compris la prise de Kiev, cela changera la face du monde de la même manière que les attentats du 11 septembre 2001. C’est l’événement géopolitique le plus important en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. L’impact ne se limitera pas au seul cours du gaz, il concernera l’ensemble des marchés et des relations commerciales. Si l’offensive ne s’arrête pas rapidement, elle engendrera un important ralentissement de la croissance économique mondiale. Pour l’énergie, plus particulièrement, cela induira une incertitude majeure.

L’impact ne se limitera pas au seul cours du gaz, il concernera tous les marchés et les relations commerciales.

Le conflit aggravera- t-il la crise que l’on connaît depuis plusieurs mois?

Absolument, et toutes les énergies seront concernées. On parle beaucoup du gaz parce que l’Europe est dépendante du gaz russe à hauteur de 40% de son approvisionnement. Mais on a tendance à oublier que la Russie génère aussi 10% de la production mondiale de pétrole. Le président russe Vladimir Poutine a, certes, déclaré qu’il ne comptait pas interrompre l’approvisionnement en gaz de l’Europe, mais on sait désormais que ses propos ne sont pas fiables. D’autant que l’on se rapproche aujourd’hui du pire scénario que l’on pouvait imaginer avant l’invasion, celui d’une crise globale ou d’un conflit généralisé. Quarante pour cent de la consommation européenne dépendante du gaz russe, c’est gigantesque, cela ne peut pas être remplacé du jour au lendemain par du gaz naturel liquéfié (LNG), d’autant que ce circuit fonctionne déjà à flux tendu. Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a répété à plusieurs reprises que les réserves de l’Europe étaient sécurisées pour la suite de l’hiver, mais s’il y avait une rupture de cet approvisionnement, cela provoquerait, dans la durée, un problème majeur.

Est-ce désormais probable?

Je pense que la situation reste improbable. La Russie ne peut a priori pas se passer durablement de cette énorme source de revenus. L’énergie fossile – gaz et pétrole – représente environ un tiers de l’économie russe et l’Europe, 70% de ses exportations. Il est impossible pour la Russie, du moins pour le gaz, de trouver d’autres acheteurs du jour au lendemain, faute d’infrastructures suffisantes. Il se peut donc que l’on se trouve face à des scénarios intermédiaires. A ce jour, la Russie n’a pas dénoncé ses contrats à long terme, mais elle pourrait réduire son approvisionnement ponctuel. Elle l’a déjà fait, d’ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie parle d’une chute de 25% par rapport à l’année dernière. Vladimir Poutine pourrait aussi brandir cette arme en réduisant pour une courte période l’approvisionnement, afin de mettre l’Europe sous pression. C’est ce qu’il avait fait par le passé en coupant ponctuellement les vannes. En ce qui concerne les prix, tous les indicateurs montrent que les prix des hydrocarbures resteront hauts, voire très hauts.

Ce sera l’effet le plus direct de la crise?

Ce sera un effet de la crise, mais les fondamentaux de l’énergie sont également en cause. A l’échelle mondiale, nous payons les sous-investissements en matière d’infrastructures pour les hydrocarbures. C’est bon pour le climat, mais on n’a pas investi suffisamment, au même moment, en matière de renouvelable, voire de nucléaire. Voilà pourquoi il faut s’attendre à des prix de l’énergie très élevés de façon durable, voire définitive.

La chute de la croissance engendrée par le conflit pourrait-elle apaiser la pression?

Cela pourrait jouer, en partie. Mais je ne pense pas que l’on reviendra un jour à des prix de l’énergie comme on en a connu précédemment.

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