Les pourfendeurs du paranormal

Ils ont fait du doute un art de vivre. Les rationalistes, sceptiques et autres zététiciens examinent les phénomènes inexpliqués sous la loupe de la science. Ils y trouvent de quoi dénoncer dérives et impostures, avec un sens consommé de la polémique

Il enflamme l’eau et élève une table dans les airs, en l’effleurant à peine. L’assistance s’en amuse mais demeure intriguée. Soudain, mû par on ne sait quelle force, un cadre quitte son mur pour s’écraser au sol alors qu’à quelques pas une chaise pliante se referme, seule, dans un grand fracas. Stupéfiant !  » Lorsqu’il se passe quelque chose d’extraordinaire, soyez sûrs qu’il y a fraude !  » atteste Jean Champenois. Il clame haut et fort, lors de ses conférences dans les cercles et les écoles, qu’il n’a aucun pouvoir surnaturel.

L’illusionniste est membre du Comité belge pour l’investigation scientifique des phénomènes réputés paranormaux, dit comité Para.  » Ne rien nier a priori, ne rien affirmer sans preuve.  » Telle est la devise de ce comité, fort d’une bonne centaine de membres. Il n’y est pas question de rejeter des croyances, mais de les confronter à une démarche scientifique lorsqu’elles heurtent la raison. Astrologie, ufologie, fakirisme, spiritisme ou encore médecines alternatives passent ainsi sous les fourches Caudines du comité Para. A côté des recherches documentaires, livrées dans un récent ouvrage (1), ces passionnés, universitaires ou autodidactes, écument le pays pour expliquer l’inexplicable et défier voyants et marabouts.  » Actuellement, révèle Michel Soupart, nous établissons un protocole pour tester un guérisseur brabançon qui prétend déceler une pathologie sur simple analyse visuelle.  » Ce membre effectue des enquêtes in situ lorsque des phénomènes étranges lui sont signalés : tapis mouvants, vaisselle animée, bibelots  » dématérialisables « … Selon lui, ces  » faits  » relèvent bien souvent d’interprétations fantasques.

Pas besoin de magnétomètres ou de compteurs Geiger crépitants pour lever les mystères. Pour ces  » exorcistes  » façon professeur Tournesol, la raison, le sens de l’observation et… des notions de psychiatrie suffisent bien souvent à déceler les signes de frustrations ou d’autosuggestion qui font naître les certitudes les plus irrationnelles. Selon Michel Soupart,  » lorsque quelqu’un est convaincu de communiquer avec un défunt, on peut le comparer aux enfants qui se créent un ami imaginaire. En fait, le paranormal est en chacun de nous, même chez les plus rationnels « . Ces mécanismes psychologiques s’enracinent la plupart du temps dans une détresse liée, par exemple, à la perte d’un être cher ou à une santé déclinante. Ce n’est pas un hasard si le comité Para est constitué en ASBL en 1949. Au lendemain de la guerre, les charlatans de tout poil prospèrent en exploitant le chagrin des familles de disparus. Pour Roger Gonze, vice-président du comité,  » ceux qui croient dans le paranormal sont, pour la plupart, des victimes qui cherchent à être rassurées « . Et cela est monnayable. Jadis, Jean Champenois se frotta aux pratiques médiumniques.  » J’étais effrayé, se souvient-il. J’ai arrêté à 26 ans parce que les gens se prosternaient devant moi. Avec tout ce qu’ils proposaient, j’aurais pu me construire une maison. Un jour, une femme a voulu m’offrir 100 000 francs belges pour faire revenir son fils décédé ! Je voulais seulement voir jusqu’où allait la crédulité humaine.  » Un assureur britannique l’a bien vu. Selon l’agence de presse Reuters, cet assureur proposa en septembre 1996 de couvrir les conséquences d’une fécondation divine ou extraterrestre. Il récolta quelque 300 contrats en l’espace d’une semaine !

De la science au lobby

Les rationalistes s’efforcent donc de diffuser plus largement l’état des connaissances scientifiques et de réagir au sensationnalisme des médias qui, selon eux, agissent comme une caisse de résonance pour les sciences occultes. Récemment, le comité Para a exhorté un quotidien renommé à retranscrire la mention, un temps disparue,  » Pour ceux qui y croient  » au fronton de son horoscope. Les pouvoirs publics sont aussi visés. Dans le sillage de l’affaire Dutroux, le comité intervint auprès de la gendarmerie et de la commission Verwilghen, laquelle affirma qu’aucun voyant ni radiesthésiste ne seraient utilisés dans la recherche d’enfants disparus. En 1999, c’est à la loi Colla qu’il s’attaque, en vain. Cette loi apportait une reconnaissance officielle à des pratiques telles que l’homéopathie et l’acupuncture. Le comité tient toutefois sa revanche. Réuni en congrès le 16 octobre dernier à Bruxelles, le Conseil européen des organisations sceptiques (ECSO), dont fait partie le comité Para, applaudissait la décision de la revue médicale de référence The Lancet de ne plus publier d’articles sur l’homéopathie et appelait à l’arrêt du financement public de la recherche sur les  » pseudo-médecines « .

Balançant entre science et lobbying, les rationalistes belges restent très modérés face au courant zététicien français, emmené par le physicien niçois Henri Broch. Ce dernier fonda en 1998 le Laboratoire de zététique, avec l’appui d’un richissime scientifique belge, Jacques Théodor, et le soutien de deux Prix Nobel de physique et… du magicien Gérard Majax. Ce laboratoire fut même accrédité par l’ONU. En 1999, les zététiciens promirent un prix de 200 000 euros aux voyants, magnétiseurs, thaumaturges ou tout autre  » paraphile «  capables de tromper la vigilance scientifique des zététiciens.  » De quoi s’acheter quelques cuillers à tordre « , précisait le sceptique français Paul-Eric Blanrue. Malgré plusieurs centaines de candidatures, personne n’emporta le magot.

Les zététiciens ne sont pas pour autant à l’abri de toute critique. Ainsi, Marc Hallet, chercheur belge indépendant, et pourtant sceptique lui aussi, déplore  » l’attitude conquérante et grossière des tenants de la zététique à l’égard des croyances, notamment religieuses « . Les titres délibérément provocateurs de certains articles en témoignent :  » Jésus : info ou intox ? « ,  » Jésus et ses apôtres : de sacrés blagueurs ?  »  » Sous couvert d’une démarche scientifique, ils promeuvent des idées strictement athées « , poursuit-il . En guise d’exemple, Broch affirme avoir démystifié le miracle de saint Janvier. Du sang coagulé du martyr serait conservé dans deux ampoules à Naples et se liquéfierait lors des grandes occasions. Or Henri Broch obtient le même résultat en chauffant un mélange de blanc de baleine, de colorant rouge et d’éther sulfurique. Pour Broch, le mystère est résolu et l’affaire classée. Il ne pousse cependant pas le zèle scientifique jusqu’à vérifier si le prétendu sang contenu dans les ampoules affiche la même composition que sa mixture. Une démarche incomplète, donc, qui se borne à rencontrer des préjugés antireligieux.

Baratin et fanatiques

Mais la cible privilégiée des zététiciens reste l’astrologie. Plus d’un sceptique dut faire une poussée d’urticaire lorsque la médiatique Elizabeth Teissier décrocha un doctorat à la Sorbonne en défendant une thèse consacrée à l’astrologie, ce  » baratin quelconque « . Face aux attaques répétées, l’astrologue s’emporte contre les  » lobbys scientistes, obscurs groupuscules ou fanatiques (…) qui ne savent pas que leur combat d’arrière-garde est perdu d’avance « . Ambiance ! Les attaques virulentes contre l’astrologie et les parapsychologues  » à la dérive  » vaudront aux zététiciens français une réputation sulfureuse, et même quelques passages devant les tribunaux pour diffamation.

Sous nos cieux plus paisibles, l’astronome Jean Dommanget, président du comité Para, ne s’interdit pas de rêver :  » Si l’on veut une explication rationnelle du monde, c’est à la science qu’il faut s’adresser. Ou alors on accepte de rêver, ce dont nous avons tous besoin de temps en temps, et l’on se laisse bercer par ses fantasmes. Mes convictions scientifiques ne m’empêchent pas de me plonger dans une BD fantaisiste et de la vivre…  »

(1) La science face au défi du paranormal, Relie-art, 2005 (voir www.comitepara.be).

David Hamblenne

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