Les passants

Il arrive qu’un film, par un ton ou un éclairage particulier, et au-delà d’une apparente banalité, ouvre au spectateur la porte d’un univers étrangement familier où il se devine ou se découvre comme un acteur possible et en éprouve le sentiment d’une mise en cause ou d’un obscur péril. C’est ce que l’on peut ressentir aussi à la lecture de Une touche de désastre, le dernier recueil de Michel Lambert qui rassemble dix nouvelles. (N’oublions pas, au passage, qu’il est aussi l’auteur, entre autres ouvrages, de Fin de tournage, un roman où ses affinités avec l’écriture cinématographique s’affirment tant dans la forme que dans le contenu.) Il sait bien, Michel Lambert, que la nouvelle n’est pas un court roman, mais qu’elle est le moment possible d’un roman virtuel. Il s’agit donc moins d’histoires que d’instants saisis aux entours d’un point de rupture. D’atteintes d’un  » désastre  » qui n’a rien d’explosif ni de spectaculaire, mais qui envahit l’âme comme la montée d’une eau glacée. Si les personnages évoluent très précisément – jusqu’à la minutie – dans ces moments où la vie s’en prend à leur ordinaire ou à leurs certitudes, ils imposent leur présence d’emblée, comme celle d’inconnus que l’on rencontre dans la rue et dont l’image seule raconte ou suggère le passé. Et, plus d’une fois, après le moment de crise qui a suscité cette présence sous la plume de l’auteur, ils repartiront vers leur destinée et il ne restera plus au lecteur qu’à projeter ses propres interrogations dans l’image – de dos, cette fois – de ces passants que l’on a croisés et qui s’éloignent.

Du reste, Michel Lambert confiait lui-même dans une interview récente qu’il n’avait vis-à-vis de ses personnages  » aucune volonté déterministe « . Son déterminisme consiste à  » explorer indéfiniment le même territoire  » peuplé d’êtres qui peuvent se ressembler, mais vus sous une facette d’eux  » qui n’a jamais été mise en situation « . Il y a aussi chez Michel Lambert un salubre penchant à historier certains comportements de facéties ou d’extravagances dont l’irruption appuie encore à sa façon le mal-être, la fragilité, voire les perversions des protagonistes. Comme dans cette nouvelle où l’on voit un frère en dispute avec sa s£ur se précipiter sur un inconnu et l’agresser sauvagement en poussant  » un interminable cri de bête  » et en feignant d’avoir reconnu un  » salopard  » dans  » le pauvre type  » qui a payé pour tous les autres « . Ou, plus étrange encore, cet échange factice de nécrologie et de condoléances entre deux imposteurs amenés à se rencontrer autour d’une morte inexistante. Si l’on insiste sur ces éléments anecdotiques, c’est qu’ils suggèrent la singularité d’un regard, toujours conscient qu’une certaine dérision est bien, elle aussi, une constante du  » désastre « . Et faut-il parler encore d’un style dont la force, l’élégance et la simplicité enchantent une £uvre dont l’importance est de plus en plus avérée ? l

Une touche de désastre, par Michel Lambert. Le Rocher, 165 p.

Ghislain Cotton

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