Les paradoxes d’un vote

La réunification reste possible. L’Europe doit reprendre l’initiative

Les Chypriotes grecs n’ont pas rejeté l’idée d’une réunification de l’île en votant  » non  » au référendum du 24 avril. Ils ont préservé son éventualité en rejetant un projet – le  » plan Annan  » – qui prétendait organiser la réconciliation en congelant le temps d’une génération (vingt ans) un apartheid ethnique difficilement concevable au sein de l’Union européenne. Il s’agit d’une nuance que la communauté internationale a voulu ignorer.  » Une occasion unique et historique perdue « , tonne, sans doute vexé, l’auteur du plan, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU. Washington est  » déçu « . L’Europe exprime ses  » regrets « . Puisse- t-elle regretter surtout son inaction alors que se jouait dans sa périphérie quelque chose de central : la paix à ses frontières, chez d’anciens ennemis.

Si les Chypriotes grecs n’ont pas injurié l’avenir, les Chypriotes turcs non plus, qui, eux, ont voté  » oui « . Ils n’ont pas seulement exprimé ainsi leur désir d’entente, mais également leur soif de démocratie. Leur  » oui  » a été un  » non « , franc et massif, à Rauf Denktash, leur dirigeant historique, nationaliste autori- taire hostile à toute réconciliation.

Le paradoxe de ces deux votes contradictoires, c’est qu’ils disent au fond la même chose : une volonté d’effacer tout de suite la séparation – et non pas de l’aménager, comme le proposait Annan. Et l’espoir de diluer ensuite dans l’Europe les éventuels différends. Les Chypriotes grecs, qui depuis l’ouverture par Denktash de la  » frontière « , en avril 2003, donnent à leurs compatriotes turcs un passeport, ont déjà ouvert la porte qu’on les accuse de fermer. Les habitants du nord de l’île, pour leur part, ont découvert qu’ils étaient plus chypriotes que turcs quand ont débarqué chez eux plus de 100 000 colons d’Anatolie.

Il est urgent que l’Europe reprenne l’initiative. Le commissaire à l’élargissement Güenter Verheugen, au lieu de pester comme il le fait aujourd’hui, serait mieux inspiré de saisir le moment – Denktash déconsidéré, la Turquie à la porte de l’Union – pour offrir enfin aux Chypriotes les instruments traditionnels de l’Europe pour réconci- lier les frères ennemis : le commerce et la démocratie, le culte des droits de l’homme et le respect des minorités.

Michel Faure

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