Les nuits américaines de Wong Kar-wai

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le réalisateur du sublime In the Mood for Love quitte (provisoirement) Hongkong pour un road movie sensuel à travers les Etats-Unis.

Au Festival de Cannes, où il était projeté en ouverture de la compétition, beaucoup se dirent déçus par My Blueberry Nights. Le film américain de Wong Kar-wai manquait de substance, selon ses critiques. S’il souffrait bien de quelques longueurs (il a d’ailleurs été, depuis, raccourci d’une quinzaine de minutes), le reproche de manque de contenu était malvenu, visant un (grand) artiste qui a toujours proclamé que  » le style lui-même est substance « . Formaliste assumé, le réalisateur de Chungking Express, Fallen Angels et In the Mood for Love n’a jamais cessé, depuis ses débuts à la fin des années 1980, de faire un cinéma d’images où la forme est le fond, et l’émotion qu’elle suscite, l’enjeu même de chaque film. Qu’il tourne à Hongkong ou – pour la première fois – aux Etats-Unis, Wong reste un esthète sensuel. Et My Blueberry Nights est un beau et attachant voyage.

Pour le cinéaste, la forme du road movie offrait la possibilité d’aborder le thème de la distance :  » Parfois, la distance physique entre deux personnes peut être courte, mais la distance émotionnelle se mesure en kilomètres. Ou alors, au contraire, une distance géographique importante peut faire mesurer d’autant mieux une grande proximité de sentiments. My Blueberry Nights porte un regard sur ces éloignements, de différents points de vue. J’ai voulu explorer ces étendues, aussi bien au sens figuré que littéral, et les distances qu’il faut parcourir pour en venir à bout.  »

Tout commence par une rupture, un c£ur brisé, celui d’Elizabeth (la chanteuse Norah Jones), qui va trouver dans le patron d’un bar (Jude Law) un confident, voire plus, avant d’entamer un périple à travers l’Amérique, pour s’y chercher, s’y ressourcer sans doute. En chemin, la jeune femme fera plusieurs rencontres significatives… Comme souvent bien inspiré par l’amour informulé, le glissement des solitudes l’une contre l’autre, Wong Kar-wai creuse son matériau favori : la mémoire de toutes ces grandes et petites choses qui marquent nos existences et qui, si souvent, relèvent de nos relations affectives, de l’amour sous ses différentes formes. Le cinéma du réalisateur hongkongais part toujours des personnages, des acteurs qui vont les interpréter. Wong n’écrit son sujet (généralement un bref synopsis, ébauche d’un scénario qui ne prendra jamais de forme classique et achevée) qu’une fois ses principaux interprètes choisis.  » L’écriture réelle du film se fait en le tournant, et se poursuit au montage « , explique le cinéaste, parfois redouté des comédiens pour ses méthodes très particulières, puisqu’ils ne sont jamais certains de vers quoi ils s’embarquent… Ce n’est pas le cas de Jude Law.  » Je me suis senti très inspiré par cette approche dépourvue de toute rigidité, ouverte à tous les possibles, confie-t-il. On s’abandonne au regard d’un réalisateur dont le calme vous invite à expérimenter sans crainte, à chercher une vérité qui vient progressivement, sans la protection d’un personnage écrit, sans la sécurité de savoir à quoi ressemblera le film une fois terminé. Je croyais avoir besoin de certains points d’appui pour être capable de donner le meilleur de moi-même. Je sais à présent que ce n’était pas vrai… « 

Tandis que son habituel et précieux complice en images Christopher Doyle s’en allait collaborer avec Gus Van Sant sur Paranoid Park, Wong engageait le non moins brillant Darius Khondji comme directeur de la photographie pour My Blueberry Nights. Celui qui se fit connaître avec Delicatessen, en 1991, et qui accompagna Jeunet et Caro avant d’aller collaborer avec David Fincher (sur Se7en), Polanski, Bertolucci et Haneke, aura bien sûr apporté du neuf au regard du cinéaste chinois.  » J’avais déjà travaillé avec Darius sur plusieurs films publicitaires, commente ce dernier. Nous nous connaissons bien, et il connaît aussi très bien William Chang, qui est à la fois le décorateur et le monteur de tous mes films. Nous avons fonctionné dans une grande compréhension mutuelle, sur ce mode quasi organique que j’affectionne sur mes tournages.  » Le décor du café où flirtent Norah Jones et Jude Law, et qui évoque un aquarium, mais aussi la manière de cadrer les paysages et d’en travailler les couleurs, montrent la réussite du nouveau trio créatif, le sens de la composition lumineuse de Khondji emmenant le film loin des clichés qu’appelle trop souvent un  » road movie  » américain.

 » Les Etats-Unis sont le pays le plus filmé au monde, fait remarquer Wong Kar-wai. A chaque lieu dans lequel vous posez votre caméra, de New York au Nevada, en passant par Memphis, des images de films célèbres vous reviennent en mémoire. J’ai laissé ces images entrer doucement dans mon propre film. Je ne serai donc pas fâché qu’on trouve un petit côté Tennessee Williams aux scènes tournées à Memphis, ou qu’on pense à Thelma et Louise en voyant Norah Jones et Natalie Portman sillonner les routes désertiques du Nevada. J’assume le regard d’un étranger à la culture nord-américaine, mais je ne voulais pas pour autant tomber dans cet exotisme qui me gêne quand je vois beaucoup de films réalisés sur la Chine par des réalisateurs occidentaux. J’ai posé beaucoup de questions, pour pouvoir être juste, et offrir en partage des émotions qui vont bien au-delà des différences de langue et de mode de vie.  »

Louis Danvers

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