Les nouveaux rebelles

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Des citoyens s’opposent de plus en plus régulièrement aux décisions des pouvoirs politiques. Du moins lorsqu’ils sont concernés et disposent des ressources pour le faire.

Sale temps pour les décideurs : les citoyens mécontents hésitent de moins à moins à contester leurs initiatives ! Et pas seulement lorsque ces projets menacent leur confort ou leurs habitudes – on parle alors du phénomène Nimby, un acronyme qui, traduit de l’anglais, signifie  » pas dans mon jardin « . Désormais, la contestation surgit aussi pour défendre, sinon de belles valeurs altruistes, au moins une certaine vision de la société et des droits de chacun. L’opposition à la fermeture du seul bureau de poste de Louvain-la-Neuve illustre bien ce phénomène. Certes, la fronde est menée dans une ville universitaire, peuplée de gens au niveau de formation plus élevé que la moyenne et disposant d’un solide réseau de relais. En cela, elle n’est sans doute pas représentative. Il n’empêche.

Au nom d’une certaine idée de la justice, des étudiants en médecine qui avaient réussi leur première année d’études mais se voyaient refuser l’accès à la seconde en raison du numerus clausus ont obtenu gain de cause et ont fait reculer les responsables politiques de la Communauté française. Certaines familles en situation irrégulière, menacées d’expulsion, ont été provisoirement sauvées grâce à la solidarité de leurs voisins et des instituteurs de leurs enfants. Les exemples sont multiples .

Est-ce à dire que l’on se mobilise davantage aujourd’hui qu’hier ?  » Non, répond Marc Jacquemain, sociologue à l’ULg. Il y a beaucoup moins de gens qui contestent aujourd’hui que dans les années 1960. Mais les formes de la contestation ont changé.  » Il y a quarante ans, les mobilisations étaient davantage idéologiques. Elles visaient à défendre les plus fragiles et étaient généralement encadrées par les organisations syndicales.

L’autorité fragilisée

Aujourd’hui, globalisation aidant, la population, proche de la résignation, a intégré la relative impuissance des acteurs institutionnels, que ce soit face aux puissances financières mondiales ou aux autorités européennes, entre autres. Du coup, les citoyens concentrent leurs énergies protestataires sur des causes plus ponctuelles et plus locales. Leurs réactions sont plus rapides mais aussi plus éphémères. Elles concernent davantage des individus, touchés dans leurs émotions, que des groupes et sont surtout le fait de citoyens plutôt issus de la classe moyenne. C’est un fait : aucune manifestation de masse n’a été mise sur pied pour protester contre la fermeture programmée de dizaines de bureaux de poste. Mais, à Louvain-la-Neuve, où les habitants, personnellement concernés, sont faciles à mobiliser et disposent des ressources nécessaires…

 » Ces nouvelles formes de protestation touchent des secteurs dans lesquels il n’y a pas d’acteurs institutionnels prévus pour prendre ces combats en charge « , analyse Sébastien Brunet, professeur de sciences politiques à l’ULg. Comme les syndicats, par exemple, qui ont parfois du mal à se mobiliser autour de préoccupations qui sortent de la stricte logique des rapports employeurs-salariés.  » Les acteurs institutionnels protègent mais dépossèdent en même temps la population de son pouvoir d’initiative, poursuit-il. En s’emparant de certains combats, les citoyens, qui considèrent, souvent à juste titre, qu’ils ont des compétences en la matière, se réapproprient la décision politique. Ce n’est pas forcément qu’ils soient contre la décision, comme lors d’implantation d’éoliennes par exemple, mais ils veulent en être acteurs. Ces manifestations citoyennes dénotent une bonne vitalité de la société. « 

L’avènement d’Internet n’y est pas pour rien : dorénavant, l’information, si technique soit-elle, est accessible à tous et se transmet en un clic. Les citoyens disposent, du coup, d’arguments d’experts qu’ils peuvent faire valoir auprès des responsables politiques, les obligeant, parfois, à revoir leur position et à co-construire une nouvelle décision.

 » L’autorité traditionnelle est fragilisée, analyse Marc Jacquemain. Les responsables, quels qu’ils soient, sont davantage appelés à se justifier. Ils doivent plus écouter et consulter les gens.  » Cette démarche, qui rend par nature la décision plus légitime, peut être utile mais elle risque aussi de noyer le projet politique dans un processus lent et complexe, auquel plus personne ne comprend rien. Ce phénomène pourrait aussi mener à un durcissement de la prise de position politique, plus autoritaire, ou à une dérive démagogique, si les responsables politiques préfèrent suivre l’opinion publique.

 » Puisque nous vivons dans une démocratie représentative, la question qui risque d’émerger à un moment, parmi les responsables politiques, c’est : « A quoi bon être un décideur si on ne peut rien décider ? » « , relève Sébastien Brunet. Le risque est aussi de n’écouter que ceux qui s’expriment, notamment dans les médias. Quid des citoyens qui ne protestent pas, dès lors ? La démocratie parfaite reste décidément à inventer…

LAURENCE VaN RUYMBEKE

Des réactions plus rapides mais aussi plus éphémères

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