Les nouveaux conquérants

Bien sûr, il y a les Francofolies, Spadel, le circuit, les thermes ou encore le casino. Bien sûr, tous restent les rois de Spa, les pièces maîtresses sur l’échiquier culturel, économique et touristique. Mais petit à petit, d’autres pions se placent, dans l’espoir assumé de revitaliser une ville qui s’était un peu assoupie. Ces nouveaux joueurs restent émergents, mais ils sont bel et bien entrés dans la partie.

Extratrail La course comme atout touristique

Pour certains, c’est difficile à concevoir, mais il y en a qui adorent passer des heures à courir sur des chemins de terre perdus dans la nature. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. Pour ensuite s’en vanter sur les réseaux sociaux. Le trail fait même de plus en plus d’adeptes, qui sillonnent de plus en plus de parcours. Si ce n’est qu’en Belgique, les  » vrais  » itinéraires balisés sont rares. Fin 2014, Benoît Lambert et trois amis trailers imaginent créer des circuits dans leur région, de 5 à 30 kilomètres. Le dénivelé, les Fagnes, les ruisseaux, les paysages… Tout s’y prête.  » Spa nous a tout de suite entendus !  » La Ville a peut-être d’emblée décelé le potentiel touristique de l’initiative. Les trailers sont prêts à venir de loin pour se défouler.  » A Spa, nous avons dépassé les 1 500 utilisateurs. Nous avons aussi ouvert un parcours à Stoumont, qui a attiré plus de 800 personnes. Parfois, il y a même des cars qui sont affrétés et des groupes de 100 coureurs ! Régulièrement, certains viennent de Flandre, de Bruxelles, de Namur… Quitte à courir 2, 3, 4 heures ici, ils en profitent pour aller ensuite boire un verre, voire réserver un hôtel ou un gîte…  » L’équipe (bénévole) d’Extratrail tente maintenant d’ouvrir des parcours dans des communes limitrophes, comme Jalhay, Stavelot, Theux ou Malmedy. Histoire de varier les plaisirs, voire de les enchaîner. Si, si ! Certaines courses – les plus extrêmes – s’étendent jusqu’à plus de 150 kilomètres. En montagne, en plus !

DG Sport Femme au volant

Petite, on la surnommait  » la fiancée du paddock « . Une jeune fille dans l’univers ultramasculin des sports moteurs, ça ne passe pas inaperçu. Carolane Jupsin avait chopé le virus de son paternel, Christian Jupsin, nom bien connu dans le milieu.  » Avec mon frère, Florian, on l’a suivi sur les circuits depuis qu’on était gosse. On adore ça !  » Pourtant, cette prochaine trentenaire n’entendait pas du tout transformer cette passion en un métier, comme l’avait fait son père en fondant en 1999 l’entreprise DG Sport, spécialisée dans l’organisation d’événements autos et motos. Interprète de formation (en allemand et italien), elle s’imaginait faire carrière dans les institutions européennes.  » Et pas du tout passer ma vie à Spa !  » Il y a cinq ans, son père lui demande un coup de main pour finaliser un dossier. L’intérim devait durer trois mois. Il s’est transformé en CDI. Depuis novembre 2014, Carolane Jupsin est la gérante de DG Sport, une fonction qu’elle partagera bientôt avec son frère. Elle prend en charge l’administratif et la communication, lui se consacre au volet commercial.  » Et ça fonctionne comme sur des roulettes !  » Christian Jupsin reste toujours actif, mais à l’arrière-plan. Territorialement parlant, la famille n’est pas spadoise, mais c’est tout comme. Parce qu’elle vit juste à côté, à Theux, puis surtout parce qu’elle organise la majorité de ses événements dans la cité thermale.  » Nous sommes les plus importants locataires du circuit de Francorchamps, environ trente jours par an.  » Le Spa Rally, qui a pris le relais des Boucles, parties à Bastogne, c’est aussi DG Sport. Tout comme les 6 h moto, le SpaItalia, les Biker’s Classics, les European Classic Series… Au total, la firme organise 23 événements par an. En Belgique, mais aussi en Espagne, en Italie, en France et en Allemagne. De quoi donner l’occasion à Carolane Jupsin de pratiquer les langues étrangères, même si elle a laissé tomber l’option interprétariat.  » Définitivement ! Si j’avais fait ce métier, je n’aurais jamais eu l’occasion de rencontrer autant de gens, ni d’en retirer autant de plaisir. On vit notre passion tous les jours !  » La jeune femme entend apporter davantage de modernité au sein de l’entreprise.  » Amener un public plus jeune qui nous ressemble.  » La  » fiancée  » admet qu’il lui aura fallu du temps pour montrer qu’elle savait de quoi elle parlait.  » Désormais, on me prend au sérieux !  » Il faut dire que derrière un volant, elle se défend. Pour sa première course aux Legend Boucles de Bastogne, elle a terminé 4e avec son frère. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.

Folie Douce Des Francos à Tomorrowland

 » Hors saison, à Spa, il doit y avoir 30 personnes de moins de 25 ans !  » Antoine Henry sait de quoi il parle : il en fait partie. Ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une jeunesse très festive. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.  » Avec des copains, on s’intéressait à la musique, on voulait faire les DJ. Mais pour sortir de notre chambre et jouer dans des soirées, il fallait qu’on les organise !  » Pas à Spa, évidemment (vu l’étroitesse du public jeune), mais à Liège. D’abord sur feu la péniche Inside-Out, puis au Cadran, au Reflektor… Sous le label Folie douce, synonyme de musique électro pointue, qui finira par s’exporter au Japon et à Paris.  » On a aussi joué aux Francos, à Dour, à Tomorrowland. Pas sur la mainstage à 21 heures évidemment, mais c’était tout de même super !  » Ce qui n’était au départ qu’un hobby est devenu un métier. Depuis deux ans et demi, Antoine Henry a sa propre société d’organisation d’événements. Même s’il s’agit d’un job à mi-temps (il travaille aussi à l’office du tourisme de Spa), il est passé à la vitesse supérieure et met désormais sur pied des soirées au casino de Spa, au château de Balmoral, en haut de la tour du lac de la Gileppe, sur un bateau de croisière à Liège…  » Louer des lieux qui ont du cachet, c’est ça qui nous démarque, décrit le jeune homme. Il y a un côté exclusif pour ceux qui participent. On a fait une soirée  » Gatsby « , les hommes en costard, les femmes en boa et collier de perles. Magnifique !  » Bientôt une fête dans une piscine sans eau ou sur une patinoire ? Antoine Henry garde ces idées dans un coin de sa tête, en tout cas.

Whisky Live Belgium Le salon que les grandes villes envient

Au départ, c’était presque  » une blague de potache « . Un moyen de récolter quelques deniers pour financer les mouvements de jeunesse de la région. La première édition, en 2004, avait attiré 380 personnes. Depuis, la fréquentation du salon Whisky Live Belgium a presque été multipliée par dix.  » On réunit entre 2 800 et 3 000 amateurs, selon les éditions « , détaille son organisateur, Jacky Büsch. Alors, les salles verviétoises des premiers temps sont rapidement devenues trop étroites et l’événement a migré, depuis 2008, au centre culturel de Spa. Il n’a plus l’intention d’en bouger.  » La beauté du cadre, les tentures en velours, le parquet… Ça a de l’allure !  » Pourtant, d’autres villes ont tenté de le délocaliser, comme Louvain ou Bruxelles. C’est que la manifestation engendre des retombées alléchantes. Chaque premier week-end de février – une période habituellement morte, touristiquement parlant -, des amateurs viennent des quatre coins de la Belgique et du monde pour déguster plus de 500 whiskys. Heureusement, tous ne reprennent pas ensuite le volant…  » Il y a un tiers de visiteurs francophones, un tiers de néerlandophones et un tiers d’étrangers. On a déjà eu des Russes, des Japonais, des Coréens, des Turcs… Pourquoi est-ce qu’il faudrait déménager dans une grande ville ? On a aussi besoin de points forts en région « , soutient Jacky Büsch. La blague de potache fait désormais partie d’une organisation internationale, Whisky Live étant présent dans 35 pays. Depuis deux ans, le concept est décliné version rhum, avec 2 000 visiteurs à la clé. Pour les passionnés, c’est devenu une référence. Pas du genre à servir de la piquette bonne à mélanger avec du coca, mais bien à dénicher des bouteilles d’exception. Qui ne se dégustent pas à l’oeil, forcément. En plus du droit d’entrée de 40 euros, les amateurs devront débourser pour certaines dégustations. Qu’ils consolent leur portefeuille en se disant qu’ils boivent pour la bonne cause : malgré le succès grandissant, les bénéfices servent toujours à financer des mouvements de jeunesse locaux.

Creppestock Woodstock en Ardenne, l’autre festival

On pourrait croire que, pour une ville d’à peine un peu plus de 10 000 habitants, un festival c’est bien assez. D’autant que les Francofolies sont du genre mastodonte, avec leurs 170 000 entrées. Pas de quoi effrayer Daniel Reynaerts et les cinq autres organisateurs du Creppestock Festival,  » un Woodstock en Ardenne « , qui tiendra sa première édition en août prochain. Dans une vaste prairie, évidemment. Le LSD en moins. Enfin, on imagine. Ambiance bobo-bio assurée. D’ailleurs, l’événement entend  » bannir la malbouffe « . Point de hot dogs gras à outrance, mais un village d’artisans et de producteurs locaux. Côté musique, 36 groupes éclectiques au programme, de la chanson française pur jus au folksong, en passant par le blues ou le reggae. Le Creppestock refuse toutefois la chasse à la tête d’affiche.  » Les débutants côtoient les professionnels. Mais il y aura d’excellents groupes, ce ne seront pas des ringards !  » Après le dernier concert de la journée, tous les musiciens se réuniront pour un boeuf. Les organisateurs se sont inspirés d’un événement français similaire, le Plouckstock Festival.  » Comme en France, on aurait voulu que l’entrée soit gratuite, mais on a des contraintes plus strictes donc coûteuses « , souligne Daniel Reynaerts. Budget estimé : 100 000 euros. Nombre de festivaliers espérés : 3 000 à 4 000. Bref, l’exact opposé des grosses machines musicales estivales. Donc des Francos ?  » Nous ne sommes pas « contre » » ou « anti » ! Nous sommes complémentaires. D’ailleurs, nous avons pas mal d’accointances avec les Francofolies, Charles Gardier (NDLR : le coorganisateur) reste notre conseiller « . Ce dernier confie partager une même conception de la musique. Il paraît même que le grand festival spadois fera la promotion de son nouveau petit frère. Lui aussi, à l’époque, s’était inspiré d’un événement français. Et pour sa première édition, en 1994, il n’avait attiré  » que  » 15 000 personnes…

Royal Golf Club des Fagnes Le vénérable replacé sur la carte

Le golf, un sport de vieux ? Avec une moyenne d’âge frôlant, jusqu’il y a peu, les 67 ans, difficile d’affirmer que le Royal Golf Club des Fagnes est le rendez-vous de la jeunesse. Mais depuis trois ans, la nouvelle équipe dirigeante s’applique à réveiller cette institution qui s’était un peu endormie.  » A la remettre sur la carte « , résume Laurent Weerts, son président. En se donnant les moyens de ses ambitions : un million d’euros d’investissement, dont 600 000 sur fonds propres et le solde via un emprunt bancaire. Des sommes utilisées pour rénover le clubhouse, les terrains… La brasserie-restaurant s’est récemment offert les services d’un nouveau chef, Nicolas Thomas, qui officiait auparavant à l’Eau rouge à Francorchamps et au Château Peltzer à Verviers. Un nom bien connu des gastronomes,  » dans l’espoir d’attirer du monde « , confie Laurent Weerts. Qui rêve aussi de voir sur son green quelques célébrités ; Dany Boon et les frères Taloche y ont récemment swingué. Tout est bon pour casser cette image de sport nanti, réservé à une élite fortunée.  » On s’est également rapproché de la Ville, on a été voir tous les hôtels des environs, on voudrait développer les liens avec le circuit… Notre golf est réputé, c’est le deuxième plus beau de Belgique après celui de Knokke, il a été imaginé par un architecte mondialement reconnu, Tom Simpson. Il fallait juste le réinscrire dans une dynamique qu’il n’avait plus.  » Le club compte aujourd’hui 470 membres, espère dépasser bientôt les 500.  » En réalité, il faut malheureusement remplacer les personnes qui décèdent, donc le nombre de nouvelles recrues sera plus important.  » Le golf compte séduire les jeunes parents et accompagne désormais plus de 30 juniors (moins de 12 ans). Logiquement, la moyenne d’âge a déjà baissé !

Expos Miró et Warhol invités permanents

Quand Jean-Christophe Hubert avait proposé son exposition sur Miró à la Ville de Liège, elle avait tergiversé. Ni oui, ni non, peut-être… Face à tant d’hésitations, l’historien de l’art avait répondu à la sollicitation de Spa, qui cherchait une affectation à son Pouhon Pierre-le-Grand fraîchement rénové. L’échevinat liégeois de la Culture s’en mord les doigts : il a manqué l’occasion d’attirer, en Cité ardente, près de 60 000 visiteurs. La cité thermale, elle, a de quoi se réjouir : après avoir été prolongée trois fois, l’expo est devenue permanente, comme dans trois autres villes au monde seulement. On n’y retrouve point de tableaux du célèbre Espagnol ( » un seul d’entre eux vaudrait au moins trois fois le Pouhon ! « ), mais des dessins qui sont un peu le  » carnet intime  » de l’artiste.  » Je suis de ceux qui considèrent que l’art doit sortir des lieux privilégiés où il est cantonné depuis des dizaines et des dizaines d’années, s’enthousiasme Jean-Christophe Hubert. Il faut aller vers le visiteur.  » Le commissaire confie pourtant avoir été surpris du succès spadois.  » Au départ, j’avais une inquiétude. On avait décidé d’une période de six mois, par prudence. Finalement, au bout de trois ans, ça ne s’essouffle toujours pas. Le public est au rendez-vous, et pas uniquement les écoles et les personnes âgées qui sont traditionnellement le « fonds de commerce » des expositions « . Pas mal de visiteurs font le déplacement depuis l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg. Beaucoup viennent de Flandre, aussi. Tout bénéfice pour le tourisme.  » Les commerces et l’Horeca qui se développent autour du Pouhon sont très satisfaits « . Jean-Christophe Hubert aussi, tant et si bien qu’il a amené à Spa une autre exposition d’envergure, dédiée à Andy Warhol cette fois, qui se tiendra jusqu’en décembre 2016. Toujours au Pouhon, qui s’affirme ainsi comme le pôle culturel émergent de la ville. Quitte à susciter des jalousies ailleurs.

Bobeline Une microbrasserie (presque) spadoise

En 2004, il avait failli jeter l’éponge. Sa Bobeline n’était alors qu’un passe-temps chronophage, brassée cahin-caha depuis 1991, parallèlement à son job dans une firme privée de transports en commun. Didier Dumalin avait finalement persévéré et, depuis le 1er octobre dernier, sa bière est devenue son activité principale. D’une production épisodique, il est passé à 500 hectolitres annuels et vise les 1 000 prochainement, seuil idéal de rentabilité. Merci la mode des microbrasseries !  » C’est vrai qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de moyens de se faire connaître. En participant à des salons, en se développant via l’Horeca ou les cavistes… On travaille aussi avec l’Awex sur des projets d’exportation au Japon et en Chine. L’identité spadoise nous aide : les gens ne connaissent pas la ville, mais bien le circuit !  » Pourtant, la Bobeline n’est pas (encore) du cru. Didier Dumalin sous-traite à façon, en attendant ses propres installations. Pour l’instant, la bière n’a donc de spadois que le nom, terme utilisé jadis pour désigner les étrangers qui venaient  » prendre les eaux  » dans la cité thermale.  » Quand j’ai commencé, je n’habitais pas encore à Spa, mais j’y avais passé toutes mes vacances durant ma jeunesse et j’avais envie que la ville ait sa bière.  » Cela lui aura pris vingt-cinq ans, mais c’est désormais chose faite !

Un dossier de Mélanie Geelkens, coordonné par Philippe Berkenbaum

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