Les noces argentiques

Unis par la photographie, Robert Capa et Gerda Taro sont des héros modernes. Ce duo, assoiffé de liberté, n’a cessé de traquer la vérité. Une histoire d’amour exemplaire, ravivée par la romancière espagnole Susana Fortes.

Le Vif/L’Express : En tant qu’écrivaine espagnole, quel lien entretenez-vous avec Robert Capa ?

Susana Fortes : Ici, Capa est connu et très apprécié, notamment en raison de sa couverture de la guerre d’Espagne. Le XXe siècle est le siècle des mythes, des rêves et de la barbarie. Sans ses photos, nous n’aurions jamais pu le comprendre. La force de son art réside dans son respect pour la dignité des victimes. Il n’avait pas besoin d’exposer des corps ensanglantés ! Capa pouvait saisir la dureté de la guerre dans le regard d’un enfant, faisant la file parmi des réfugiés. Sa façon de voir était profondément empathique. L’an dernier, il a fait l’objet de deux expos majeures, à Madrid et à Barcelone, montrant des extraits de La Valise mexicaine. Outre des inédits de la guerre d’Espagne, elle contient des photographies intimes, dont une femme dormant avec le pyjama de son amant. Qui est-elle ? C’est là qu’on découvre un Capa amoureux, immortalisant Gerda Taro, l’une des femmes les plus intéressantes du siècle dernier.

Quelle est la beauté de leur histoire d’amour ?

Entre ces deux réfugiés juifs, que sont Gerta Pohorylle et Andrei Friedmann [ NDLR : leurs véritables noms], ce n’est pas le coup de foudre. Elle le trouve arrogant, ambitieux, parfois trop confiant, mais si attirant qu’elle finit par l’aimer jusqu’à la moelle. Partageant la passion de la photographie, Gerta et Andrei ne sont jamais neutres. Ces antifascistes sont en colère contre les démocraties européennes, qui abandonnent la république espagnole. Ayant perçu le  » loup allemand  » des années 1930, ils sont conscients que c’est l’avenir de l’Europe qui se joue en cette guerre d’Espagne. Comment ne peuvent-ils pas y prendre part ?

Alors que Gerda Taro semble être le moteur, elle est désormais moins connue que Capa. S’est-elle sacrifiée pour lui ?

Lors de la guerre d’Espagne, ils signent tous deux leurs photos du nom de  » Robert Capa « , car ça sonne plus américain. Or Gerta a besoin de son espace. Elle devient Gerda Taro en hommage à Greta Garbo. Son indépendance a crée une tension. Si elle avait vécu plus longtemps, elle aurait été aussi connue que lui. J’espère que ce roman contribuera à réparer cette injustice. Capa et Gerda sont des battants qui ne baissent jamais les bras. Je les trouve courageux, une valeur qui n’est plus en vogue, mais que j’estime fondamentale. Ce couple crée sa propre légende en s’inscrivant dans une brillante génération de reporters, qui révèle les côtés cachés de la guerre. Capa estime qu’  » une cause sans images, n’est pas qu’une cause oubliée, mais une cause perdue « .

 » Il n’y a pas de nations. Il n’y a que des peuples.  » Est-ce en plaçant l’être humain au c£ur de leur travail qu’ils inventent le photojournalisme moderne ?

Gerda et lui ont risqué leur vie pour prendre la meilleure photographie. Leurs images dévoilent des hommes en prise avec des situations extrêmes. Ils ont inventé le photojournalisme moderne en imaginant une autre façon de voir la tragédie historique. L’un des plus puissants mythes du XXe siècle est celui des correspondants de guerre. Capa et Gerda sont des pionniers qui se sont battus pour imposer leur vision du journalisme : être là et raconter. Cela leur a coûté la vie, mais telle était l’existence qu’ils avaient choisie.

KERENN ELKAÏM

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