Les mystères de l’Erta Ale

Avec son grand lac de lave en mouvement, ce volcan éthiopien est une mine d’informations

Il y avait des années qu’une équipe scientifique importante n’avait été s’installer autour du volcan Erta Ale, à plusieurs centaines de kilomètres d’Addis-Abeba, dans la zone la plus désolée de l’Ethiopie. Célèbre pour son grand lac de lave en mouvement, le plus durable de la planète, ce sommet fait partie d’une chaîne entourée de plaines recouvertes de sel. Au fond du cratère long de plus de 1 kilomètre, la lave rougeoie en permanence. C’est un des principaux  » points chauds  » de la planète, l’une de ces fissures géantes par où sort le magma venu des entrailles de la terre. Déterminer la nature de l’Erta Ale est indispensable pour comprendre le fonctionnement du manteau (zone comprise entre la croûte terrestre et le noyau central de la planète).

En 1967, le célèbre volcanologue Haroun Tazieff et un groupe de sismologues y avaient prélevé des échantillons de roche. Cette fois-ci, une équipe franco-italienne menée par Eric Humler, de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), s’est installée pour dix jours dans la caldeira. Ils ont posé des sismomètres pour repérer les mouvements du sol, des micros pour enregistrer le bruit des dégazages, des caméras thermiques pour étudier les déplacements de la lave.

Tout autour, les chercheurs ont ramassé des témoins des coulées anciennes, pour faire l’historique de l’activité du volcan. Ils ont également collecté de minuscules boulettes noires et brillantes, éjectées du lac sous forme de gouttelettes lors des éruptions et emportées par les vents. Ces  » cheveux de Pelée  » permettent de déterminer la composition chimique du magma sans aller le chercher dans le lac lui-même.

 » C’est spectaculaire !  » s’émerveillait Eric Humler, interrogé par Le Vif/L’Express, grâce à la liaison Inmarsat qui raccorde chaque jour l’équipe à son labo.  » J’imaginais une nappe de lave immobile. Mais les plaques de surface plus sombres s’écartent tout le temps pour laisser voir les masses rougeoyantes en mouvement permanent. Des fontaines de lave jaillissent à plusieurs mètres de hauteur. Et, surtout, nous avons été pris dans des nuages de gaz très secs, acides, chargés en soufre et en chlore, qui prennent à la gorge et corrodent les outils et les équipements.  »

Maintenant, toutes les données vont être analysées afin d’étudier le profil de ce lac exemplaire. Pourquoi est-il permanent ? Quelle est la nature des gaz ? Que dit cette lave sur la profondeur de la chambre magmatique qui communique avec le manteau ? La composition du magma change-t-elle avec le temps ? A quelle vitesse cette zone se modifie-t-elle ? Cette dernière question intéresse tous les géophysiciens. Car l’Erta Ale est le plus actif des volcans de l’Afar, cette dépression où deux plaques tectoniques û l’africaine et l’arabique û se rencontrent. Ou plutôt se séparent. Depuis des dizaines de millions d’années, le Rift û cette faille qui court de l’Ethiopie au nord de la Tanzanie û bouge et gronde. Le long de cette ligne, les éruptions volcaniques et les séismes sont les signes avant-coureurs de l’ouverture future (à l’échelle de millions d’années) d’un océan entre l’Afrique et l’Arabie. L’Afar préfigure une dorsale océanique, comme il en existe au milieu de l’Atlantique et du Pacifique.

Partout dans le monde, les géophysiciens surveillent des  » points chauds  » semblables à l’Erta Ale, où des remontées brutales du magma signalent une zone d’écartement des plaques océaniques. L’Islande, les Açores, les Galapagos ou les îles Hawaii font partie de ce réseau invisible où des panaches partent du manteau de la terre vers la surface.  » Quand le volcan qui était sur un point chaud s’éloigne avec sa plaque et s’éteint, un nouveau volcan se forme là où sort le panache « , précise Jean-Louis Cheminée, de l’IPGP. D’où les chapelets d’îles d’origine volcanique qui s’échelonnent les unes derrière les autres. En datant les soubassements de lave qui les composent, on aura une meilleure idée de la dérive des continents qui anime la planète depuis son origine.

Une rubrique de Pascale Gruber

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