Les morts oubliés du franquisme

Une association cherche les fosses communes où ont été jetées les victimes de la dictature pour leur offrir une vraie sépulture

De notre correspondante

Toute son enfance, Emilio a fouillé dans le grenier de la famille. Comme un gamin curieux, à la recherche de ce grand-père dont on parlait si peu et qui portait le même nom que lui : Emilio Silva, instituteur dans un petit village de Leon, dans le nord-ouest de l’Espagne, arrêté, exécuté et jeté dans un fossé un matin d’octobre 1936, à l’arrivée des troupes de Franco. Tué pour l’exemple. Sans même avoir pris un fusil. C’est à sa mémoire qu’Emilio a créé, en 2000, l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH). Sa mission ? Lutter contre l’oubli. Et surtout aider les familles à retrouver leurs proches disparus.

 » Ma grand-mère est morte il y a huit ans, sans savoir où avait été abandonné le corps de mon grand-père. Après l’assassinat de son époux, il ne lui restait qu’un lopin de terre.  » A peine de quoi subsister pour elle et ses six enfants. L’aîné – le père d’Emilio – a 10 ans. Finie l’école. Le voici soutien de famille. Fils de  » rouge « , il doit demander au curé un certificat de bonne conduite pour espérer trouver un emploi.

Il courbe l’échine tandis que les assassins de son père se pavanent au village. Voilà cinq ans, Emilio apprend par hasard l’endroit où a été jeté le corps de son grand-père. Il décide d’ouvrir la fosse pour lui offrir une sépulture digne de ce nom. Publiée dans le journal local, son histoire fait boule de neige. Des fils, petits-fils, neveux de disparus le contactent. Ils veulent, eux aussi, rechercher leurs morts. Emilio réalise que tous les villages possèdent leurs fosses communes. Et que, plus de vingt ans après la mort de Franco, la peur des représailles impose toujours le silence.

Avec l’aide d’archéologues et de volontaires, l’ARMH a ouvert en cinq ans plus de 73 fosses et exhumé 585 corps. Cependant, cette initiative dérange les partis politiques de droite comme de gauche, lesquels, au moment de la transition vers la démocratie, en 1977, ont choisi la réconciliation nationale sans solder les comptes du franquisme.  » Aujourd’hui, les petits-enfants n’acceptent plus ce compromis : du côté franquiste, les vainqueurs ont leurs monuments aux morts, leurs hommages et leurs tombes fleuries ; les autres n’ont que le silence et le mépris.  »

L’année dernière, le président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero – petit-fils de fusillé républicain – a promis une loi sur la  » récupération de la mémoire « . Celle-ci devrait inclure des indemnisations et la transformation du mausolée de Franco, près de Madrid, en un musée pédagogique consacré à la guerre civileà et à la répression qui s’est ensuivie. Mais le projet tarde à se concrétiser. Le 20 novembre, en revanche, les derniers nostalgiques de Franco seront fidèles au rendez-vous. Pour fleurir sa tombe, au 30e anniversaire de sa mort.

Cécile Thibaud

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