Les méandres de la paix

Aux marches d’un Proche-Orient traversé par des impasses séculaires, deux nations ennemies ont décidé d’en venir à la paix. Vu de loin, on les félicite pour leur courage et leur détermination. Confirmant le processus de normalisation amorcé il y a un an, la Turquie et l’Arménie ont non seulement convenu d’établir des relations diplomatiques, de parvenir à l’ouverture de leur frontière commune, mais aussi d’aborder un passif historique traumatique pour les Arméniens.

Vu de près, toutefois, l’accord conclu le 31 août dernier entre Ankara et Erevan soulève, dans les deux peuples, une question existentielle. La route est encore longue, même si un calendrier précis est fixé, et il faudra affronter, dans chaque pays, une opposition profonde. Du côté turc, une puissante opinion nationaliste reste crispée sur le négationnisme d’Etat, qui rejette farouchement la réalité du génocide perpétré par le gouvernement des Jeunes-Turcs, en 1915. Admettre que la Turquie moderne est fondée sur un crime contre l’humanité demandera du temps et, surtout, un immense travail de mémoire, laquelle est enfouie sous la statue martiale de Mustafa Kemal. Tout aussi problématique est le soutien  » fraternel  » maintes fois manifesté par la Turquie à l’Azerbaïdjan, pays en guerre avec l’Arménie au sujet de la région du Haut-Karabakh. Devant tant d’obstacles, deux signes d’assouplissement : les Turcs acceptent de participer à une  » sous-commission sur la dimension historique « , ce qui vaut mieux que la négation formelle du génocide ; et la normalisation avec l’Arménie a finalement été acceptée, bien qu’aucune solution n’ait été encore annoncée pour le Haut-Karabakh.

Du côté arménien, ce qui est envisageable doit préserver ce qui est impensable. L’Arménie s’engage à reconnaître le traité de Kars (1921), négocié par les bolcheviques sur le dos d’un peuple martyr, et à abandonner toute revendication territoriale vis-à-vis de la Turquie. L’ouverture de la frontière est censée offrir une compensation à ce renoncement. Mais, par-dessus tout, l’espoir de la diaspora doit être sérieusement respecté par Erevan. Engagée depuis des décennies dans un combat mondial qui a abouti à la reconnaissance du génocide par une vingtaine de démocraties, cette dernière ne verra sa plaie ouverte se refermer que le jour où la Turquie admettra officiellement la vérité historique. La paix des frontières ne va pas sans la paix de l’âme. n

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