Les malheurs de Justine

Son troisième roman est un récit autobiographique sur la mort de sa mère et la naissance de sa fille. Justine Lévy, l’enfant chérie de BHL, revient de loin.

Avec sa silhouette déliée, sa beauté gracieuse, son air farouche, on dirait une biche. Souvent aux abois, comme sur ce plateau de télévision, où Justine Lévy, le regard éperdu, se tordant les mains, n’a parlé de son nouveau roman, Mauvaise Fille, que du bout des lèvres.  » Le trait de caractère qui la définit le mieux, c’est la timidité « , confirme son père, Bernard-Henri Lévy, en adoration pour cette enfant qu’il a eue le 27 septembre 1974 avec son grand amour de jeunesse, le mannequin Isabelle Doutreluigne. Beauté cristalline, immortalisée par les plus grands photographes des années 1960, la mère de Justine a fini par s’autodétruire.

C’est elle, l’héroïne de Mauvaise Fille, après avoir été omniprésente dans Le Rendez-vous, premier roman paru en 1995, qui racontait la petite fille oubliée à la sortie de l’école, dans les jardins publics ; la môme surprenant sa maman au lit avec des hommes, des femmes ; l’adolescente retrouvant sa mère en sueur, hagarde, le bras garrotté, une seringue juste à côtéà Dans Rien de grave, en 2004, Justine raconte, par le menu, une autre descente aux enfers : comment son jeune mari, Raphaël Enthoven, l’a quittée pour Carla Bruni. Un récit féroce, vengeur, jubilatoire, dont le Tout-Paris fera des gorges chaudes, au grand dam des protagonistes, et qui a tourné au best-seller.

Mauvaise Fille redonne donc la vedette à Isabelle Doutreluigne, évoque ses derniers jours puis son décès à la suite d’un cancer, le 17 avril 2004. Ecriture toujours aussi viscérale, sans simagrées, ton doux-amer, autoflagellation sans pathos : Justine Lévy a un vrai talent pour dire son désarroi à l’idée de perdre cette mère foutraque et de donner la vie à son tour – sa fille, Suzanne, est née en décembre 2004. La veine nombriliste de Mauvaise Fille agacera, mais sa sincérité bouleversera. Le jury du prix Goncourt, qui sera décerné le 2 novembre, l’a d’ailleurs retenu dans sa première sélectionà

Très présent dans le livre, BHL apparaît sous un jour attachant, se démenant sans compter, toujours là pour réparer les dégâts, payer et jouer de son entregent. Ce père aimant est capable de quitter New York ventre à terre pour aller voir sa fille à la maternité, à Paris, y rester une heure à peine et repartir dans la foulée. Mais il ne souhaite pas commenter cette image que Justine donne de lui.  » C’est un livre sur sa mère. J’aime qu’elle se voue ainsi, de livre en livre, à dresser ce petit autel à ce « passant considérable » que fut sa mère « , élude-t-il.

En tête à tête, dans un café parisien de ce VIe arrondissement où elle vit depuis toujours, Justine Lévy est aussi jolie et un peu plus loquace qu’à la télé.  » Oui, c’est vrai, grâce à mon nom, j’ai eu plus de visibilité. Mais après Le Rendez-vous, j’ai culpabilisé. J’ai eu peur de prendre la place de quelqu’un d’autre. Je ne me sens toujours pas légitime.  » Lucidité ? Modestie ? Pas si simpleà  » Justine revient de loin, assure un ami, elle pouvait avaler 18 Xanax (un tranquillisant) par jour. Elle était flottante, évaporée, mais toujours charmante.  » Bien née, moins bien aimée, elle a toujours fait bonne figure, se réfugiant dans la lecture grâce à papa, qui l’avait abonnée à la collection Grands Ecrivains – L’Arrache-c£ur, de Boris Vian ; Chéri, de Colette ; Thérèse Raquin, d’Emile Zola, etc. Après quatre ans de philo, l’étudiante de la Sorbonne délaisse son mémoire de maîtrise sur Pascal pour écrire sur elle, avec la violence des timides.

 » Grâce à ses livres, Justine poursuit ces chuchotements intérieurs qu’elle devait tenir, enfant, quand elle attendait sa mère. C’est sa planche de salut « , analyse le rédacteur en chef de Lire, Philippe Delaroche, compagnon d’Isabelle Doutreluigne de 1979 à 1982.

 » Justine a eu une enfance courte, trop courte « , reconnaît BHL. Sa fille a 4 ans lorsque sa mère, défaillante, la lui confie. C’est l’âge heureux de la rue des Saints-Pères, la gouvernante est adorable, adorée. Les choses se passent beaucoup moins bien au contact de Sylvie Bouscasse, la deuxième femme de BHL.  » Et pourtant, Justine a tout de suite été une vraie s£ur pour moi « , souligne leur fils, Antonin, 29 ans, avocat d’affaires.  » Justine est profondément bonne. Elle accepte les choses comme elles viennent.  » Surtout, elle accepte beaucoup mieux Arielle Dombasle, que son père a épousée en 1993.  » Justine a beaucoup appris d’Arielle, sa grâce, son chic. Elles ont la même façon de marcher sur les pointes « , note un ami. Un premier pas vers l’équilibre, que Justine Lévy semble avoir enfin trouvé auprès de l’acteur Patrick Mille, père de leurs deux enfants – Lucien est né en janvier.

 » Justine est à la fois en fracture et en fusion avec l’univers de son père. Elle décrypte parfaitement les rouages de ce milieu, sa vénalité, son hypocrisie, et en même temps elle en fait pleinement partie, analyse un ami. Le chagrin la rend proche des gens, c’est la princesse au petit pois d’aujourd’huià « 

Mauvaise Fille, par Justine Lévy. Stock, 198 p.

Delphine Peras

 » à la fois en fracture et en fusion avec l’univers de son père « 

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