Les leçons du professeur Prodi

A deux mois des élections législatives, le leader du centre gauche incarne l’opposition au chef du gouvernement, Silvio Berlusconi. Enquête sur ses terres, en Emilie-Romagne

Ses compatriotes le surnomment  » il Professore « . Lui-même apprécie cette marque de respect, si ce n’est d’affection. Après tout, il y a dans ce terme l’essence du personnage : son profil d’universitaire, économiste de formation ; son côté bonhomme, pédagogue à souhait. Un professeur, donc, mais à l’ancienne, discret et rassurant. Un sage au verbe lent, et un rien ronronnant, des hommes de savoir. Bref, tout le contraire d’un show-man comme le président du Conseil, Silvio Berlusconi.

 » Il Professore  » contre  » il Cavaliere « , centre gauche contre centre droit : ce sera justement le duel des législatives du 9 avril. En cas de victoire, Romano Prodi apparaîtra, à 66 ans, comme le tombeur du berlusconisme et tentera de créer un parti démocrate. En cas d’échec, cet homme connu à l’étranger pour avoir présidé la Commission européenne de 1999 à 2004, phase du passage à l’euro, retournera, au moins pour un temps, à ses passions : l’économie et le vélo.

L’Union de centre gauche, coalition dont il peine à assurer la cohésion, sait qu’elle tient là un chef atypique : un leader sans parti, réputé honnête, crédible à l’étranger. L’opposé, là encore, de Berlusconi. Cette différence revendiquée trahit une réalité plus profonde : l’Italie du Cavaliere milanais – celle des affaires et de la télévision – n’est pas celle, moins tape-à-l’£il, du Professore.

Romano Prodi, marié et père de deux garçons, est né à Scandiano, à deux heures de route au sud de Milan, en Emilie-Romagne. Une région riche, à la fois rurale et urbaine. Dans un pays où le terroir fait l’homme, pareille nuance géographique a son importance ; elle explique en partie la personnalité du candidat de l’Union : sa discrétion médiatique ; sa méfiance à l’égard des salons romains ; ses allures de père tranquille, qui lui valent d’être portraituré en curé ou en mortadelle ! Son Italie, même si elle a beaucoup changé en cinquante ans, n’est-elle pas celle de la charcuterie et de Don Camillo ?

L’intéressé revendique ses racines provinciales. L’Emilie-Romagne, terre de militantisme (à gauche) et de foi (catholique), est son fief ; il y compte ses plus fidèles soutiens, ses réseaux. Le premier est familial : c’est le clan Prodi. Une grosse centaine de personnes, en comptant les petits-enfants. Leurs ancêtres étaient paysans. Non loin de Reggio Emilia, la ville où ils ont grandi, un hameau en témoigne : Ca’dei Prodi (la Maison des Prodi).

Leur destin a basculé avec Mario, le père de Romano. Le premier, il a étudié pour devenir ingénieur des Ponts et Chaussées. Ses enfants – sept garçons, deux filles – ont suivi son exemple, malgré les moyens limités de la famille. Résultat : un cancérologue, un architecte, deux mathématiciensà et un Professore au destin international.

 » Romano parlait beaucoup avec papa, confie l’une de ses s£urs, Maria Pia, psychiatre. Très rapidement, il s’est intéressé à l’économie locale, passée après la guerre de l’agriculture à la petite industrie.  » Durant ses études, Romano Prodi est allé à la découverte des PME des environs (céramique, salaisons…) et a fait de sa région un laboratoire où, en 2006, il prend encore le pouls du pays.

L’été, le clan se retrouve dans les collines des Apennins. A Bebbio, un village sans prétention, il possède une maison acquise en copropriété en 1965. L’appellation  » château  » (Il Castello) donnée à celle-ci est sans doute due à ses deux tourelles, mais le luxe n’y est pas de mise. Et chacun, des jeunes aux anciens, est mis à contribution : vaisselle, ménage, cuisineà  » C’est plus un kibboutz qu’une villa ! dit, amusé, l’un des frères Prodi, Paolo, historien à Bologne. Les premières années, on discutait sans cesse des sujets d’actualité : l’école, l’emploià Les petits sont désormais si nombreux que c’est difficile.  »

Bebbio, avec sa piscine et sa chapelle, n’en reste pas moins un refuge pour le Professore. Il y reçoit, par exemple, ses copains cyclistes, avec lesquels il avait pédalé, voilà quelques années, jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans un livre coécrit avec son épouse, Flavia (Insieme [Ensemble], éditions San Paolo), Romano Prodi évoque ce périple et accorde une large place à la religion.  » Elle joue un rôle primordial chez lui. Il est l’archétype du catho de gauche à l’italienne « , estime le politologue Angelo Panebianco.

Autre lieu clef : Bologne, sa ville d’adoption. La capitale intellectuelle de l’Emilie-Romagne, siège de la plus ancienne université d’Europe, est la place forte du Professore. Dans cette cité bourgeoise lovée autour de son c£ur historique, tout le monde se connaît. Romano Prodi y a sa garde rapprochée, ses lieux de vie. Ses voisins de la via Gerusalemme le croisent à la messe dominicale en compagnie de sa femme, très impliquée dans les bonnes £uvres.

Ses principaux pourvoyeurs d’idées sont à Bologne, eux aussi. Ils constituent même une sorte de confrérie du  » prodisme « , omniprésente dans deux institutions locales : Il Mulino, une maison d’édition dont Prodi est l’un des piliers, et Nomisma, un institut économique qu’il a fondé en 1981. Enfin, Bologne est le siège d’un laboratoire d’idées, la Fabbrica del programma, installée dans une ancienne usine où le Professore a tenu, en 2005, 15 réunions publiques. En vue des élections, l’endroit s’est mué en QG de campagne.

C’est donc bien là, dans les cercles bolognais, et non à Rome, que l’on connaît le mieux ce Prodi dont la bonhomie est, paraît-il, trompeuse.  » L’image du curé est erronée ; c’est un dur, capable d’être cinglant « , assure l’un de ses proches, l’écrivain Edmondo Berselli.  » Il peut se montrer rigide, intransigeant, vindicatif « , poursuit Giorgio Gazzotti, journaliste au quotidien bolognais Il Resto del Carlino. Sandro Rovinetti, l’un des responsables locaux des Démocrates de gauche (ex-communistes, pro-Prodi), confirme :  » Les gens d’ici sont parfois surnommés les « têtes carrées ». Ils savent prendre des décisions.  »

Les Italiens feront-ils pour autant de Romano Prodi leur président du Conseil, comme en 1996 ? Ses détracteurs dénoncent son manque de charisme. Ses partisans soulignent sa différence avec Berlusconi. A lui, maintenant, d’exister autrement qu’en étant seulement l’antithèse du Cavaliere. Il lui reste deux mois pour convaincre les électeurs qu’il peut relancer ce pays en proie à un profond mal-être. l

Philippe Broussard, Vanja Luksic

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