Les images chocs de l’Occupation

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Cette année, dans le cadre de ses numéros spéciaux régionaux, Le Vif/L’Express plongera dans la réalité des villes wallonnes entre 1939-1945 avec l’aide du Ceges/Soma qui publiera, au printemps 2012, Villes en guerre. Un ouvrage qui reconstitue cette période douloureuse dans les trois Régions du pays et sera offert aux abonnés du Vif/L’Express. Cette semaine : cap sur Tournai.

« Nous souhaitons présenter une autre histoire de la Seconde Guerre mondiale. Les recherches concernant ce conflit ont largement évolué depuis les années 1970 et 1980. La vision d’une guerre unique, indépendante, nationale a été remplacée par celle d’une guerre contre le nazisme et pour la démocratie parlementaire, un conflit intégré au XXe siècle, de la Première Guerre mondiale à la chute du communisme. On doit faire le même exercice pour la Belgique « , confie l’historien Rudi Van Doorslaer, directeur du Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (Ceges-Soma). Créé en 1969, le centre a la particularité de penser dans les deux langues : cette institution fédérale, liée à la Politique scientifique, travaille notamment sur les répercussions des conflits du XXe siècle en Belgique, palliant tant que faire se peut les carences dues au faible nombre de recherches conjointes développées dans ce domaine entre historiens du nord et du sud du pays. Dans nos dossiers régionaux (voir page 89, Tournai), nous essaierons tout au long de l’année de plonger dans la réalité de l’Occupation, ville après ville. Pour comprendre et détricoter les idées reçues.

De fait : au commencement, il y a les clichés. Ceux d’une Belgique qui, sous l’Occupation, partage ses rangs entre collaborateurs et résistants. Chevaliers noirs contre chevaliers blancs. En réalité, s’il fallait attribuer une couleur à l’Occupation et à ses chevaliers, occupants com-me occupés, le gris se détacherait amplement. Le gris de l’accommodation, du moindre mal, du flou, des nuances. C’est l’un des grands enseignements issus des recherches historiques récentes. L’autre a trait à la grille de lecture du conflit : il s’agit de réfléchir moins en termes géographiques (axe Nord-Sud) que chronologiques (axe 40-44), même si Flandre et Wallonie n’ont pas vécu exactement la même Occupation. A différents niveaux.

Le passé… dans une seule langue

Au printemps 2012, les abonnés du Vif/L’Express recevront l’ouvrage Villes en guerre, qui portera sur les trois Régions du pays pendant l’occupation allemande. Difficile de comprendre le présent sans se pencher sur le passé. Surtout si le passé en question n’existe pas dans sa langue maternelle.  » Les travaux essentiels d’Albert De Jonghe ou d’Herman Van Goethem et Jan Velaers n’ont jamais été traduits en français. De Jonghe avait par exemple révélé au grand public néerlandophone qu’en 1943 le roi Léopold III avait demandé à son chef de cabinet de lui préparer une note explicative sur la démocratie parlementaire… Depuis les années 1930, et même avant, les élites belges étaient persuadées que le système démocratique allait à sa perte. En 1940, la victoire de l’Allemagne en fournit la preuve et, pour beaucoup, il devint alors temps d’installer un régime autoritaire. Hitler, par contre, ne voyait pas de rôle à jouer pour Léopold III dans son schéma « , relate l’historien Rudi Van Doorslaer. Dans l’entretien qu’il nous consacre (voir en page 92), Fabrice Maerten, responsable du secteur documentation du Ceges-Soma, évoque les raisons de ce déséquilibre entre ouvrages édités en français et en néerlandais. Des raisons essentiellement économiques.

Pourtant, en 1971, José Gotovitch et Jules-Gérard Libois publiaient en français L’An 40 : la Belgique sous l’Occupation.  » C’est le premier travail d’envergure sur la question. Avant les années 1970, on ne trouve quasiment pas de production historique sérieuse, notamment à cause des tabous qu’avait provoqués la Question royale, y compris dans le cénacle scientifique « , poursuit Rudi Van Doorslaer. Plus récemment, d’autres chercheurs ont par exemple démontré que la différenciation nette entre administrations militaire et politique n’avait pas lieu d’être durant le conflit. Ou que, malgré l’image d’ordre véhiculée par le régime nazi, l’Occupation s’est révélée à maints égards chaotique. Principalement dans les agglomérations, sujet sur lequel se penchera Villes en guerre.

L’Occupation plus durement ressentie au Sud

Ces villes, justement, connaîtront des réalités diverses. Même si les différences entre Flandre et Wallonie sont minimes au regard du gris et de l’accommodation, qui façonnent la vie de tous les jours, on ne peut nier certains écarts au niveau du ressenti :  » A Bruxelles, comme ailleurs, les autorités ont coopéré avec l’occupant, malgré le patriotisme fort. Coopérer était la meilleure solution, même si elles savaient fort bien que leur interlocuteur était l’ennemi. A Anvers, dès le début de l’Occupation, on note une tentative de mise en place d’une coalition d’Ordre nouveau flamand : la politique du moindre mal y est utilisée pour expérimenter la manière dont les élites traditionnelles catholiques peuvent se retrouver dans un projet toléré par les Allemands. A Bruxelles, quand les mesures antijuives se feront de plus en plus contraignantes, jusqu’aux razzias, les autorités locales vont freiner leur coopération tandis qu’à Anvers on va laisser faire : on y considère que les juifs, qui sont étrangers, ne doivent pas mettre en péril cette coopération « , explique encore Rudi Van Doorslaer, d’après qui l’Occupation aurait été plus durement ressentie en Wallonie qu’en Flandre. Les conditions sociales, dans les bassins industriels de Wallonie, sont extrêmement dures pour les ouvriers.

Pour autant, sur l’ensemble du pays, c’est l’avancée du temps qui apportera les plus grandes lignes de démarcation. La situation internationale, dans cette optique, joue un rôle majeur dans la perception du conflit. En mai 1940, les Allemands donnent l’impression de s’imposer pour un très long moment, tant leur suprématie militaire s’est imposée à leurs ennemis potentiels. Il n’en va pas de même après les défaites militaires allemandes (Stalingrad au début de 1943, entre autres), qui perceront clairement des trous de lumière dans la chape de l’Occupation.

Le travail forcé marque un tournant

Même chose quand, en octobre 1942, les nazis vont décider, à l’encontre de leurs dirigeants sur place (Alexander von Falkenhausen, gouverneur militaire de Belgique et du nord de la France, et Eggert Reeder, chef de l’administration militaire de ces mêmes régions), d’imposer le travail forcé en Allemagne. N’oublions pas que l’un des enjeux majeurs, pour les Allemands, est de faire tourner au maximum les industries minières et sidérurgiques. Qu’elles soient en Belgique ou en Allemagne, pour peu qu’elles soient efficaces… Jusque-là, les occupants avaient choisi la patte de velours pour imposer leur domination sur la population belge. Mais le travail forcé va marquer un tournant dans la perception de l’Occupation. Et dans son organisation :  » Le Grand Bruxelles, le Grand Charleroi, le Grand La Louvière, le Grand Liège, etc. : ces agglomérations sont mises en place en 1942. Car les notables, qui pouvaient jusqu’alors s’accommoder de la situation, ne peuvent plus la tolérer. Les Allemands le savent, et vont mettre des hommes de confiance à la tête des nouvelles agglomérations. En Flandre, des membres du VNV (parti nationaliste flamand) occupaient déjà des postes importants, mais en Belgique francophone les Allemands se méfiaient initialement des rexistes, qui n’avaient pas d’assise populaire. En 1942, le raidissement très net des notables francophones va changer la donne : l’essentiel du pouvoir va se jouer au niveau communal « , lance l’historien Fabrice Maerten, spécialisé dans la question de l’Occupation en Wallonie. Ce sera donc l’un des thèmes abordés à la fois dans nos dossiers régionaux à venir et dans ce fameux ouvrage Villes en guerre, véritable fenêtre sur les dernières recherches liées à cette passionnante question.

Prochaine ville :

Spa, le 8 avril.

Malgré toutes les démarches entreprises, l’auteur de cet article n’a pas pu retrouver l’origine de certaines photographies. S’ils se reconnaissent, les ayants droit de ces photos peuvent prendre contact avec la rédaction.

GUY VERSTRAETEN

 » MALGRÉ LE PATRIOTISME, COOPÉRER AVEC L’ENNEMI ÉTAIT LA MEILLEURE SOLUTION « 

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