Les frères H : quelle affaire !

Leur heure de gloire est passée, mais leurs frasques continuent d’alimenter la chronique politique. Ils incarnent à la perfection le petit monde des  » parvenus  » dont Di Rupo s’est juré d’avoir la peau

S’il en est certains, au PS, qui ont dû se sentir visés par la tirade d’Elio Di Rupo se jurant de traquer les  » parvenus  » de son parti, ce sont bien les frères Happart. Ils incarnent parfaitement, absolument, ces  » personnes qui se sont élevées à une condition supérieure sans en acquérir les manières, le ton, le savoir-vivre « , dixit Le Petit Larousse, et qui suscitent, désormais, l’ire présidentielle. Bien sûr, avant de les vouer aux gémonies, le parti s’est copieusement servi sur le compte de ces jumeaux perçus, depuis le milieu des années 1980, comme un véritable jackpot électoral. Le PS aura mis pas moins de vingt bonnes années avant de découvrir que ces agitateurs-là, âgés de presque 59 ans aujourd’hui, n’avaient pas un bon fond. Voilà une prise de conscience trop tardive pour être vraiment honnête… Car, depuis quelques scrutins, José et Jean-Marie Happart sont en décrue électorale. Non pas que les frères H ne  » rapportent  » plus rien : aux élections régionales de juin 2004, José, l’ancien héraut de la résistance francophone aux oukases flamandes, a encore décroché la deuxième place au palmarès wallon, à distance néanmoins respectueuse d’un Jean-Claude Van Cauwenberghe triomphant. Son score, honorable sans être mirobolant – fort éloigné de celui qui était le sien durant ses heures de gloire fouronnaise -, lui a valu d’être  » rétrogradé  » du poste de ministre à celui de président du parlement wallon. Ce qui, convenons-en, n’est quand même pas la moindre des responsabilités. Dépité, José est aussi  » tiestu  » qu’un taureau ardennais. Au lendemain de la démission de Jean-Claude Van Cauwenberghe de la présidence du gouvernement wallon, le 30 septembre dernier, il s’en est allé trouver Di Rupo en personne pour lui proposer ses services ! Mais voilà : son heure est passée, le président ignore son offre. Quelques jours plus tard, José Happart fut le seul à maugréer très publiquement contre l’autoproclamation de Di Rupo à la tête de la Wallonie…

Quant à Jean-Marie, il s’est toujours positionné dans l’ombre de son très populaire jumeau. Il a bénéficié, par ricochet, de la faveur des électeurs. Et, comme lui, se trouve dans une phase descendante. En mai 2003, lors des élections fédérales, il est néanmoins réélu sénateur, mais il perd la vice-présidence du Sénat, qu’il exerçait depuis1999. En lot de consolation,  » on  » – comprenez Di Rupo – le nomme questeur du Sénat, un fromage convoité. Le questeur est une sorte de  » superintendant  » organisant les réunions d’assemblée, gérant le personnel et ne dédaignant pas, notamment, de se rendre en Alsace pour goûter les bons vins avant d’en faire livrer de belles quantités pour la Haute Assemblée. La disgrâce de son frangin l’atteindra lui aussi, un an plus tard : au moment même où José perdait son portefeuille ministériel, Jean-Marie se voyait privé de questure. Mais, entre-temps, il était devenu président de l’intercommunale pour l’exploitation du circuit de Francorchamps, ainsi que vice-président de la désormais très célèbre société de promotion du circuit de Spa-Francorchamps. Une fonction d’exécutant d’£uvres dictées d’en haut, comme l’ont confirmé ses aveux confondants sur sa méconnaissance de l’anglais qui l’avait empêché de lire, mais pas de signer, le fameux contrat avec Bernie Ecclestone…

De l’avis de tous ceux qui ont eu l’insigne honneur de côtoyer les frères H, autant José est malin –  » Pas intelligent, non, mais rusé, madré  » -, autant Jean-Marie est  » biesse « , rustre, mou. Il n’empêche : ce dernier sait, aussi, se montrer violent, arrogant, vulgaire avec ceux qui s’opposent à ses convictions. Ses convictions ? Plutôt ses passions, qu’il partage avec José : il affectionne par-dessus tout la chasse, le foot, le cyclisme et la formule 1. Est-ce par effet de contagion ? Les jumeaux ont adopté, selon des témoignages peu suspects d’intentions hostiles, les pratiques douteuses qui gangrènent le monde du sport. Eux-mêmes sont des chasseurs invétérés. Ils aiment la chasse à la battue, bien virile, bruyante et sanglante à souhait. Pas l’autre, silencieuse, individuelle, qu’ils accusent d’être réservée aux hobereaux, gentilshommes à la ville comme dans les bois. Les anecdotes ne manquent pas, dans ce milieu, mettant en scène les frères H dans de sacrément vilains rôles. Tel organisateur de chasses royales, réservées à des invités triés sur le volet, se souvient encore de l’arrivée tout à fait imprévue de José Happart, alors ministre de l’Agriculture et de la Ruralité, flanqué de son jumeau, exigeant, sans la moindre élégance, de participer à cet événement auquel ils n’avaient pas été conviés. Tel industriel avoue avoir toujours invité  » le ministre  » à ses chasses réputées, histoire de  » soigner ses relations politiques « , et avoir été maintes fois surpris par l’apparition conjointe du frangin Jean-Marie.  » Une journée de chasse coûte en moyenne 1 000 euros par invité. La plus élémentaire des décences devrait interdire de tels comportements.  »

Au-dessus des lois

Oui, mais voilà : la décence est une vertu que les Happart n’ont manifestement pas reçue au berceau. Dans cette famille de fermiers fortunés, on affectionne davantage les richesses palpables que les valeurs de l’esprit. Rien, au départ, ne prédisposait les jumeaux, tous deux détenteurs d’un diplôme de technicien agricole, à une carrière politique. Sensibles aux égards, ils ont rapidement évalué les avantages qu’ils pouvaient tirer de leur résistance, sincère à ses débuts, à la flamandisation forcée des Fourons.  » Ces deux-là n’ont absolument rien de socialiste, commente un vieux de la vieille de la scène politique liégeoise. Avec les idées qui sont les leurs, ils auraient dû créer un parti agricole radical ou quelque chose du genre. Certainement pas rejoindre les rangs du parti socialiste.  » Si ce n’est que ce parti était la voie royale pour une ascension sociale fulgurante.

Avec le pouvoir est venu aussi le sentiment d’être au- dessus des lois. A quels tours de passe-passe ont parfois dû se livrer des organisateurs de chasse, confrontés aux  » réflexes  » irrépressibles de leur encombrant invité, tirant sans hésiter sur l’un ou l’autre cerf non autorisé, et ignorant ensuite la lourde amende qui frappe, normalement, ce genre de bavure ! Au parquet de Liège, dit-on, les amendes impayées par José H. forment un dossier à l’épaisseur plus qu’appréciable. Il savait sans doute de quoi il parlait, le président du parlement wallon, lorsqu’il assénait au public rassemblé, le 15 octobre dernier, pour la fête de la Région wallonne, que  » tout le monde avait déjà fraudé « . Dans le petit monde des parvenus socialistes, cela fait longtemps que l’on a perdu le sens du devoir et de la rigueur… Isabelle Philippon

Isabelle Philippon

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