Roger Stevens. © ARCHIVES DU CONSEIL D'ETAT

« Les fondements légaux des arrêtés ministériels sont acceptables »

Premier Président du Conseil d’Etat, Roger Stevens recadre la mission de son institution mise en cause: « Nous ne sommes pas les chiens de garde de la légalité de tout ce qui se passe dans la société. »

Le Conseil d’Etat en prend pour son grade sous la plume de vingt-cinq constitutionnalistes. Ce cri d’alarme vous a-t-il surpris?

Pas forcément. Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’Etat est critiqué pour ses décisions ou ses avis. Nous n’allons pas entrer en débat avec ces constitutionnalistes, ce n’est pas le rôle d’une juridiction, nous ne commentons jamais les arrêts que nous rendons. Leur justification se trouve dans leur contenu même. Nous ne sommes pas là pour faire plaisir aux uns et aux autres. Le droit n’est pas une science exacte, d’autres constitutionnalistes ont défendu un autre point de vue.

Il vous est reproché de placer l’action gouvernementale au-dessus du respect de la Constitution et de l’Etat de droit démocratique: la charge est lourde…

Elle est n’est pas du tout correcte. Les constitutionnalistes peuvent se permettre de formuler des critiques plus générales sur le processus d’action du gouvernement. Mais nous, au Conseil d’Etat, nous travaillons à partir de dossiers concrets. Nous ne pouvons contrôler la légalité des actes attaqués que dans les limites des recours qui nous sont soumis. Nous ne sommes pas les chiens de garde de la légalité de tout ce qui se passe dans la société.

Que doit-on attendre du Conseil d’Etat en cette période d’exception?

Le rôle de la section du contentieux administratif se limite à l’examen au cas par cas des requêtes qui lui sont soumises. Ce que nous vivons en ce moment au Conseil d’Etat, c’est du jamais-vu. Depuis mars, nous avons enrôlé 92 recours dirigés contre des mesures adoptées par le gouvernement. Cela va de l’instauration du couvre-feu à la fermeture de l’Horeca, de l’introduction du tracing à l’interdiction des visites dans le secteur de l’immobilier, du port du masque dans l’espace public. C’est à la lumière du contexte précis de chaque recours que nous jugeons si le fondement légal de chaque arrêté ministériel attaqué est acceptable ou non.

Le gouvernement vous laisse-t-il le choix de ne pas débouter les contestataires des mesures corona?

Sur les 92 recours introduits, 66 l’étaient pour réclamer une suspension en extrême urgence, ce qui laisse au Conseil d’Etat deux ou trois jours pour trancher le litige. Entre l’urgence et l’extrême urgence, il faut pouvoir démontrer en quoi une situation est à ce point compliquée qu’elle risque de causer un dommage sérieux et irréparable si on n’intervient pas de façon rapide. Or, les arrêtés ministériels attaqués ont une durée de validité de deux ou trois semaines, il s’agit donc toujours de mesures temporaires aux effets temporaires. La plupart des 66 recours n’ont pas passé le filtre de l’extrême urgence parce qu’elle n’était pas justifiée ou qu’elle devenait sans objet, la mesure attaquée étant déjà dépassée au moment de rendre notre arrêt.

Le Conseil d’Etat s’arrête là?

Non. En vue d’assurer l’unité de la jurisprudence, j’ai soumis à l’assemblée générale de la section du contentieux quatre affaires représentatives des moyens les plus souvent invoqués par les plaignants, tels que la proportionnalité ou le caractère discriminatoire d’une mesure. Nous avons conclu, à titre provisoire puisque nous statuons dans l’urgence, que les fondements légaux des dispositions prises par le gouvernement, qui se base sur des grandes lois anticrise portant notamment sur la sécurité civile ou la fonction de police, sont acceptables dans le contexte de la pandémie.

On vous accuse de fuir vos responsabilités en ne portant pas de jugement sur la manière d’agir du gouvernement…

C’est un faux procès. Soyons clairs, à aucun moment, nous n’avons subi de pressions. La section du contentieux administratif n’est pas compétente pour juger de la constitutionnalité d’une loi, cette tâche incombe à la Cour constitutionnelle. Quant à la section de législation du Conseil d’Etat, elle aurait pu recommander, si elle le jugeait nécessaire, l’adoption d’une loi corona.

Mais cette section de législation n’est pas consultée sur les arrêtés ministériels pris sous l’empire de l’urgence sanitaire. Cette mise hors-jeu est-elle normale?

Le gouvernement a le droit d’estimer que le délai minimum de cinq jours ouvrables qui est accordé à la section législation du Conseil d’Etat pour rendre un avis en extrême urgence est un délai encore trop long vu les circonstances. Mais il doit le justifier explicitement!

En quoi l’Etat de droit est-il sérieusement menacé par la gestion d’une crise d’une ampleur exceptionnelle?

Vous comprendrez qu’en tant que chef de corps d’une juridiction, je n’ai pas à m’exprimer sur des choix de nature politique.

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