Les diplômes qui marchent

 » Qu’est-ce que tu veux faire dans la vie ?  » Cette question met de nombreux adolescents mal à l’aise. Avant d’entamer des études supérieures, voici des conseils pour choisir sa voie en connaissance de cause. Et éviter les écueils.

Parfois, il s’agit d’une vocation : cette jeune fille de 18 ans, déjà titulaire d’un brevet de plongée, veut devenir biologiste marine. Dans les bureaux du Siep (Service d’information sur les études et les professions), elle se renseigne sur les formations qui la mèneront au large. Parfois, la demande est, au contraire, plus vague.  » Certains jeunes disent seulement : « Je veux faire dans l’humanitaire », tout en ignorant qu’aussi bien la comptabilité que la logistique peuvent y mener « , raconte Patrick Andries, informateur au Siep à Bruxelles. Parfois aussi, l’élève désire avant tout s’assurer de choisir la  » bonne filière « , celle qui lui permettra à coup sûr de décrocher un job. Faut-il lui conseiller d’emblée des études d’ingénieur(e) ou d’infirmier(ère) ? Même pour ces deux professions en pénurie, l’avenir n’est pas tout tracé. Une connaissance insuffisante des langues étrangères chez les jeunes ingénieurs constitue ainsi souvent un frein à leur embauche par les entreprises. Quant aux  » besoins criants d’infirmiers  » (il en est de même pour les travailleurs dans l’Horeca), on évite de préciser que les conditions de travail pénibles, assorties de rémunérations peu attrayantes, participent aux déséquilibres du marché de l’emploi. Bref, choisir ses études et son futur métier relève d’une expédition en terrain miné. Où l’on ne doit jamais faire fi de sa personnalité et de ses goûts. Parcours guidé.

1. Les pièges et les atouts personnels

Papa-Maman ne jurent que par  » Surtout, fais ce qu’il te plaît « . Ou à l’inverse : pour leur progéniture, angoissés chroniques, ils gardent l’£il rivé sur les métiers qui, sans aucun doute – puisque tout le monde le dit -, garantiront un emploi. Du côté des professionnels des PMS, du Siep et des autres services d’orientation (comme ceux des universités), personne n’assène :  » Voilà ce que tu dois faire.  » Bref, vous avez 17 ans et, contrairement à ce que dit le poète, il est grand temps d’être sérieux et autonome : à vous de prendre votre avenir en main.

 » L’idée de base ? Il faut imaginer un projet professionnel et ne pas le confondre avec son projet d’étude. Ce dernier est destiné à donner des compétences, mais il n’est que le moyen de parvenir au résultat, poursuit Patrick Andries. Toutefois, si on hésite entre deux métiers, graphiste ou comptable, par exemple, consulter les offres d’emploi peut aider à privilégier une filière plutôt qu’une autre. « 

En fait,  » il s’agit de trancher entre des études intéressantes et des études utiles : ce n’est pas forcément la même chose, souligne Gilles Klass, directeur général adjoint de Mercuri-Urval, une entreprise de conseil. Bien choisir implique de rester cohérent et de prendre conscience du fait que les valeurs portées à 18 ans peuvent changer, par exemple si vous devenez le chef d’une famille à nourrir. Il faut donc tenter de se projeter dans l’avenir, mais aussi demander conseil à ceux, entre autres, qui exercent le métier convoité. Ces rencontres permettent de choisir en connaissance de cause « .

Par ailleurs, si les études ne prévoient pas de stages en entreprise, remédiez-y par vous-même ! Gilles Klass préconise d’effectuer sans retenue des jobs d’étudiant et des stages. Ils objectivent les choix et évitent le choc frontal du passage de l’école à l’entreprise. Dernier atout : l’indispensable connaissance des langues. Si la formation suivie les néglige, complétez cet oubli en vous y mettant vous-même !

2. Les pièges et les atouts de l’école

Premier tabou : le prestige de l’établissement ne garantit pas le succès futur de ses élèves. Et nul ne sait si l’école choisie a bien préparé ses étudiants. Par ailleurs, les chiffres des jeunes inscrits au Forem (Région bruxelloise) démontrent que l’arrêt en cours de secondaire avant même d’avoir obtenu un diplôme, quel qu’il soit, n’est pas très prometteur pour le jeune demandeur d’emploi.

Deuxième tabou : l’enseignement général n’est un atout… que si l’on poursuit par la suite des études sanctionnées par un diplôme. Sinon, il vaut mieux opter pour une filière professionnelle ou technique, plutôt que de se retrouver seulement diplômé de l’enseignement général. Cette certitude est fondée sur une étude menée auprès de quelque 30 000 jeunes de moins de 25 ans, inscrits au Forem entre la mi-juin et la mi-octobre 2006.  » Les études qui préparent directement à l’exercice d’un métier, peu importe s’il s’agit de celui de médecin ou de menuisier, s’avèrent porteuses « , constate Jean-Claude Chalon, directeur du service analyse du marché et de l’emploi au Forem. Il n’en reste pas moins vrai que 70 % des étudiants fraîchement diplômés de l’enseignement supérieur de type universitaire ont dû patienter nonante-cinq jours, en moyenne, avant de trouver un emploi.

Troisième tabou : dans la recherche d’une orientation, tous les interlocuteurs ne se valent pas. Dans l’enseignement secondaire supérieur, les professeurs sont généralement issus de l’université et ils ne connaissent qu’elle, ou presque. De plus, ils sont souvent déconnectés des réalités du marché de l’emploi et des filières qui y conduisent. Curieusement, cela concerne aussi les enseignements technique et professionnel.  » Seuls les profs les plus convaincus effectuent des stages en entreprise, alors que de nombreux métiers se transforment sans arrêt « , déplore Thierry Devillez, directeur emploi formation à l’Union wallonne des entreprises. Gare, donc, aux erreurs d’aiguillage.

En France, un nouveau système prévoit que les conseils de classe des élèves de terminale se prononcent sur les projets exprimés par les jeunes. Et déjà, dans 13 académies, les universités peuvent donner, par retour de courrier, leur avis aux lycéens qui annoncent leur intention de s’y inscrire. Libre à eux de tenir compte de cette  » orientation active « .

3. Les pièges et les atouts du marché de l’emploi

 » Une filière qui marche aujourd’hui ne sera peut-être plus porteuse demain, contrairement à ce que tentent de faire croire certains discours idéologiques ! s’insurge le Pr Mateo Alaluf, sociologue et professeur à l’ULB. Dans notre économie de marché, donner des conseils à long terme est quasi impossible. Pis : tout pronostic est destructif. En effet, il risque d’attirer trop de jeunes dans une même filière.  » De plus, de nouveaux métiers peuvent émerger. Et, demain, la conjoncture risque de peser sur des professions qui ont aujourd’hui le vent en poupe.

Conseiller et déconseiller métiers et filières s’avère donc périlleux. Au risque de laisser des jeunes s’y perdre ? Des spécialistes admettent pudiquement que les  » secteurs des sciences humaines et de l’aide aux personnes nécessitent une grande motivation personnelle « . Pour le reste… Un jour, peut-être, glisse un observateur averti, des jeunes sacrifiés dans des filières sans avenir finiront par porter plainte et par dénoncer le système actuel d’orientation et son opacité !

En définitive,  » le goût des études est la meilleure des motivations, rappelle Corinne Duckstein, responsable du service études, promotion et informations à l’ULB. Les études universitaires, en règle générale, ne préparent pas à une profession précise : ils donnent une polyvalence intellectuelle « . Un historien peut donc travailler dans le domaine bancaire, un secteur parfois friand de… philosophes ! De nombreux jeunes découvrent aussi, au cours de leurs études ou à la fin de celles-ci, des carrières dont ils ignoraient tout. Un étudiant qui rêvait de plaider aux assises trouvera son épanouissement dans une carrière de juriste d’entreprise. Un interprète se muera en un attaché de presse passionné.  » On ne parvient pas forcément à un métier en suivant une seule et même formation prédéterminée, et toutes les filières identiques ne débouchent pas nécessairement sur les mêmes métiers « , confirme Corinne Duckstein.

Ce discours de bon sens reste souvent ignoré par ceux qui soutiennent qu’il faut à tout prix se lancer dans un emploi porteur. Le monde politique et le patronat, très pragmatiques, conseillent aux jeunes de se focaliser sur ce type de postes ou sur les  » métiers critiques  » pour lesquels les entreprises ne trouvent pas de candidats ( voir l’encadré ci-dessus ). Cependant, précise Stephane Thys, coordinateur à l’Observatoire bruxellois de l’emploi (Actiris), ces professions ne représentent  » que  » 25 à 30 % des offres d’emploi. Parallèlement, il existe bien d’autres postes dont on parle moins et où les diplômés arrivant sur le marché suffisent à satisfaire la demande des entreprises.

4. Les pièges et les atouts des filières choisies

Autant le savoir, donc :  » Les employeurs recherchent des personnes actives et polyvalentes, dotées d’une grande capacité d’adaptation, remarque Charles Istasse, secrétaire général de l’Union des classes moyennes. Très segmentées, les formations universitaires livrent des diplômés hyperspécialisés, mais qui éprouvent parfois des difficultés à comprendre les entreprises et leurs besoins globaux.  » En revanche,  » autour des jeunes bien qualifiés, on assiste à une véritable cannibalisation entre employeurs, qui n’hésitent pas à débaucher ceux qui les intéressent particulièrement « , précise-t-il.

Et surtout, soulignent tous les interlocuteurs, il n’est jamais trop tard pour trouver sa voie : du secondaire au supérieur, il existe une foule de passerelles qui permettent de récupérer des acquis et de compléter sa formation. De là à passer, comme Frank De Winne, d’une carrière militaire à celle d’astronaute…

Pascale Gruber

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