Les Belges au tapis

Depuis vingt ans, le judo est le principal pourvoyeur de médailles belges lors des Jeux olympiques. Or cette année, notre équipe sera décimée. Crise chronique ou passagère ?

Il y a quatre ans seulement, le judo représentait encore la fierté secrète du sport belge. Un trésor inattendu. Une sorte de mine d’or, d’argent ou de bronze, exploitée plus ou moins discrètement, et dont le pays entier profitait malgré lui. Sérieux et fin prêts, les Belges semblaient exceller sur les tatamis comme ils le faisaient depuis toujours sur les vélodromes. Mais les judokas ne bénéficiaient pas d’un grand appui médiatique puisque, selon les propres dirigeants des fédérations, cet art martial reste difficile à comprendre pour les spectateurs non initiés. De ce fait, il n’atteindra jamais la popularité du football ou du tennis. N’empêche, depuis les médailles obtenues par Robert Vandewalle et Ingrid Berghmans aux Jeux olympiques de Séoul (1988), puis à de multiples compétitions internationales, tout le monde, dans le pays, sait que quelque force étrange relie intrinsèquement la Belgique au judo comme la Roumanie à la gymnastique, les Pays-Bas au patinage de vitesse, et les Britanniques au rugby. Aux Jeux olympiques de Barcelone (1992) et de Sydney (2000), 9 judokas défendaient brillamment nos couleurs. A Atlanta, en 1996, ils étaient 7.

Dans ces contrées comme dans la nôtre, il ne s’agit pas tant de domination écrasante en permanence que d’un héritage : ici, des résultats exceptionnels ont suffi à créer une légende, là, c’était un champion charismatique, ou un nombre d’athlètes supérieur à la moyenne des autres pays, un scandale, une surprise…  » En Belgique, il y a eu le phénomène De Decker « , raconte Jonathan Galliaerdt, porte-parole de la Ligue francophone belge de judo.  » Cet ancien entraîneur national a organisé des événements internationaux et des campagnes de communication qui ont sensibilisé les jeunes de l’époque.  » Sous ces projecteurs, les successeurs des premiers judokas belges renommés ont, à leur tour, mérité des lauriers. Harry Van Barneveld, Ulla Werbrouck, Inge Clement, Heidi Rakels et, bien sûr, Gella Vandecaveye, ont assuré la relève. Jusqu’à cette année-ci, ou à peu près.

Dans quelques mois, en effet, la délégation belge de judo conviée à participer aux Jeux olympiques d’Athènes pourrait bien apparaître de toute petite taille et, de ce fait, les espoirs olympiques de tout un pays seraient bien réduits, à la surprise générale de ceux qui n’ont jamais suivi ce sport de près. Depuis que la brillante et féroce Gella Vandecaveye a annoncé, tout récemment, son retrait de la compétition internationale, suivie par Marisabelle Lomba, seule Ilse Heylen s’est qualifiée à ce jour pour les prochains Jeux. Six autres judokas û Cédric Taymans (-60kg), Catherine Jacques (-70kg), An Simons (- 48kg), Kristel Taelman (-52kg), Koen Sleeckx (-73kg) û piétinent à l’entrée des sélections olympiques après être rentrés bredouilles des championnats du monde d’Osaka, l’automne dernier. Ils espèrent encore grappiller des points salvateurs û comptés doubles, pour l’occasion û lors des championnats d’Europe de la mi-mai à Belgrade… Le passé deviendait-il trop lourd à porter ?

 » Deux éléments expliquent cet état de fait, explique prudemment Jonathan Galliaerdt. D’une part, le judo est un sport difficile et exigeant. D’autre part, l’éclatement du bloc de l’Est rend les qualifications plus difficiles : au lieu de battre une seule nation pour atteindre les premières places du classement, il s’agit maintenant d’en surpasser plusieurs.  » Certes, ces facteurs constituent de sérieux défis, mais d’autres nations semblent désormais mieux les relever. A la traîne, la Belgique ne semble pas encore avoir trouvé le moyen de motiver ses jeunes recrues et de gâter ses nouveaux talents. A l’instar du Royaume-Uni, de la Roumanie ou des Pays-Bas dans leurs sports-vitrine,  » d’autres pays, dans une situation identique, auraient déjà créé des écoles pour champions potentiels « , remarque le porte-parole de la ligue francophone.  » Ici, aucune fédération, ni nationale ni communautaire, ne semble suffisamment organisée pour prendre un tel projet à bras-le-corps. Quelques tentatives de sport-études ont été lancées, et l’école de tennis a été mise sur pied, mais ces initiatives restent isolées et semblent s’essouffler rapidement. Les champions, par définition, doivent s’entraîner avec d’autres champions et ces derniers ne sont pas toujours disponibles en grand nombre dans notre pays. Depuis que le sport est régionalisé, la situation s’est encore aggravée.  »

En outre, en judo comme dans d’autres disciplines, les formateurs se trouvent désormais devant des représentants d’une génération aux valeurs nouvelles, dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas.  » Les consoles de jeux électroniques et la télé-réalité éloignent les jeunes des salles de sport « , lance Jonathan Galliaerdt. Plus grave, elles forment des personnalités plus lascives et réfractaires à l’effort, contrairement à la philosophie asiatique qui soutient toujours les arts martiaux.

 » Le judo n’est pas l’armée, insiste Jonathan Galliaerdt, mais, en tant qu’art martial à part entière, il est très exigeant. La discipline y est forte, et le processus d’apprentissage, particulièrement lent. Les jeunes les plus talentueux, comme Cédric Taymans, le plus doué des judokas belges actuels, prennent conscience, quand ils arrivent à un bon niveau de compétition, que le talent ne suffit pas. Il faut s’entraîner intensément, comme l’a fait en son temps Robert Vandewalle, qui ne possédait au départ aucun don exceptionnel. Or les jeunes judokas rechignent de plus en plus à participer à telle ou telle compétition ou session d’entraînement.  »

La Belgique n’est pas le seul pays confronté à ces phénomènes. Mais, empêtrée dans ses propres structures, elle semble y répondre moins bien que d’autres. Pour le moment, en tout cas. Il reste aux judokas quelques semaines pour se préparer à l’une des tâches les plus ambitieuses de leur carrière, faute d’infliger à la Belgique le camouflet d’une sous-représentation à Athènes. Pour s’en sortir, les dames doivent atteindre, dans leur catégorie respective, une des cinq premières places au championnat du monde de Belgrade, tandis que les hommes doivent se placer dans les neuf premiers. Possible, mais pas gagné d’avance.

Carline Taymans

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