» Les Américains ont accentué les divisions « 

Pour Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS, la reconstruction politique tentée par Washington aboutit à la surenchère communautaire

L’unité de façade des Irakiens face à l' » occupant  » américain ne risque- t-elle pas d’exploser tôt ou tard et de dégénérer en guerre civile ?

C’est effectivement un danger, d’autant plus que le processus de libanisation ne concernait au départ que les directions politiques participant au gouvernement de transition en qualité de sunnites ou de chiites. Les Américains se sont engagés sur la voie d’une division communautaire qui a aujourd’hui, hélas ! sa traduction dans la société irakienne. C’est un fait nouveau, car, du temps de Saddam Hussein, il n’y avait pas, au niveau de la rue, d’hostilité entre sunnites et chiites, entre Arabes et Kurdes. Lorsqu’il y avait des violences, c’était toujours le fait du gouvernement et, à l’exception peut-être des pogroms anti-turkmènes de la part des Kurdes, en 1959, il n’y avait aucune animosité entre les communautés. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et les terribles attentats dont les chiites et les Kurdes ont été les victimes le prouvent.

Washington accepte désormais l’idée d’un régime théocratique à Bagdadà S’agit-il d’un tournant ?

George W. Bush ne sait plus à quel saint se vouer en Irak. Les Américains sont là-bas dans une situation qu’ils ont rendue eux-mêmes inextricable, parce que le processus de reconstruction politique tel qu’ils l’ont envisagé ne peut pas arriver à son terme et condamne tous les acteurs irakiens qui s’y sont engagés à une surenchère communautaire.

Etes-vous favorable à une conférence internationale sur l’Irak ?

Il n’y a pas d’autre solution. Plus le temps passe, plus les périls sont grands, à commencer par celui d’une guerre civile. Pour que cette conférence ait quelque chance de réussir, il faudrait que les Etats-Unis annoncent officiellement la fin de l’occupation et qu’ils renoncent à reconstruire un Etat irakien. La souveraineté viendrait alors avant la reconstruction et une conférence internationale permettrait à chaque acteur irakien de s’engager sur un projet patriotique et non plus en fonction de surenchères communautaires où chacun essaie de négocier avec la puissance occupante le maximum de sièges de député et de postes ministériels.

Entretien : Alain Louyot

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