Les allocations familiales basculent. Et après ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Transférées aux entités fédérées, les allocations familiales pourraient connaître une réforme décoiffante. Les Flamands l’exigeaient. Pas les francophones.

Un petit pas pour les francophones, un pas de géant pour les Flamands. Si le consensus atteint par les sept partis impliqués dans l’actuelle négociation politique se confirme, les allocations familiales devraient quitter l’étage fédéral pour tomber dans l’escarcelle des entités fédérées, les Communautés flamande et française et, à Bruxelles, la Commission communautaire commune.

Les deux principaux partis flamands, N-VA et CD&V, tenaient comme à la prunelle de leurs yeux à ce transfert. Celui-ci était d’ailleurs déjà évoqué en 1999 dans une résolution du parlement flamand restée célèbre.  » Ces deux partis accordent une place importante à la politique familiale, détaille Olivier Paye, professeur de sciences politiques aux Facultés universitaires Saint-Louis, à Bruxelles. Ils tenaient à obtenir cette concession pour disposer de tous les leviers de compétences en matière de politique familiale et ainsi pouvoir lancer des politiques nouvelles en la matière. Cette préoccupation était en revanche absente du côté francophone. « 

Une fois maîtres de leur politique familiale, les autorités flamandes pourraient ainsi augmenter  » leurs  » allocations, modifier l’accès à ce droit, voire imaginer un tout autre système, comme la suppression des allocations au profit d’une subvention accrue des crèches ou des écoles.

La N-VA et le CD&V pourront aussi se présenter devant l’électeur, forts de cette victoire arrachée aux francophones. Jusqu’il y a quelques mois, ceux-ci juraient leurs grands dieux que jamais, au grand jamais, on ne toucherait à la sécurité sociale. C’est pourtant chose faite. Tout laisse à penser que c’est ce que les francophones pouvaient le moins douloureusement lâcher.  » C’est aussi une branche de la sécurité sociale dans laquelle on ne risque pas de s’opposer à de puissants lobbys « , souligne Paul Palsterman, attaché au service d’études de la CSC (1).

La Flandre, gagnante

Les modalités pratiques de cet accord sur la défédéralisation des allocations familiales, s’il se confirme, ne sont pas encore précisées. Mais une simple projection permet de relever qu’à système constant la Wallonie et Bruxelles seraient perdantes, tandis que la Flandre y gagnerait (voir l’infographie). Bruxelles et la Wallonie comptent en effet davantage d’enfants qui bénéficient d’allocations familiales majorées d’un supplément social parce qu’ils sont orphelins ou parce que leurs parents sont chômeurs de longue durée ou invalides. La Belgique est d’ailleurs l’un des rares pays à tenir compte de la situation sociale des parents pour calculer le montant des allocations. De ce fait, les dépenses pour allocations familiales sont plus élevées dans la partie francophone du pays en raison du profil socio-économique des attributaires.

 » Dans un scénario de communautarisation, avance Paul Palsterman, Bruxelles serait pratiquement condamnée soit à diminuer les majorations au profit des allocataires sociaux, ce qui entraînerait une augmentation de facto des dépenses des CPAS, soit à introduire une sélectivité en défaveur de la classe moyenne, ce qui encouragerait celle-ci à quitter la Région. « 

La Flandre, de son côté, abrite plus d’enfants d’indépendants, dont les allocations sont moins élevées. Et à l’avenir, le taux de natalité devrait croître davantage à Bruxelles qu’ailleurs…

Dans la foulée de ce transfert de compétences, le lien entre les allocations familiales et le statut du parent destinataire (salarié, indépendant, fonctionnaire ou allocataire social) serait rompu. L’idée est de s’acheminer vers une allocation considérée comme un droit universel de l’enfant. Sa place dans la fratrie ne serait plus non plus prise en compte pour fixer le montant versé aux parents (lire l’encadré). L’occasion serait belle d’aligner enfin les allocations des enfants d’indépendants sur celles des rejetons de salariés : les premiers touchent toujours quelque 5 euros de moins par mois, au minimum.

C’est cette double réforme qui donne des frissons aux francophones.  » Cela fait courir un risque majeur à la régularité des versements et des prestations, estime Christophe Wambersie, secrétaire général de l’Union des classes moyennes (UCM). Les organismes aujourd’hui en place (ONSS, Inasti, Onafts, caisses pour employeurs…) travaillent efficacement. Créer de nouvelles structures risque de coûter cher et rien ne dit qu’elles seront plus performantes. On va vers de grosses difficultés. Pourquoi ne pas en discuter calmement entre interlocuteurs sociaux ? Nous n’avons pas été consultés… « 

Dans les rangs des syndicats, on ne cache pas non plus son opposition à ce transfert de compétences vers les entités fédérées.  » Je ne vois pas où se trouve la valeur ajoutée de ce transfert « , déclarait récemment Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne, pourtant régionaliste convaincu. L’engrenage est en outre dangereux pour la sécurité sociale.  »  » Cette réforme ne peut que rendre les choses plus compliquées alors que cette branche de la sécu est à maturité et ne pose pas de problèmes sur le plan communautaire « , relève Paul Palsterman.

Hors jeu, les interlocuteurs sociaux ?

L’un des dégâts collatéraux de cette réforme, si elle se concrétise, consistera précisément à éjecter les interlocuteurs sociaux du jeu. Représentants des organisations patronales et syndicales siègent aujourd’hui au comité de gestion de l’Onafts (Office national des allocations familiales pour travailleurs salariés). Leur garantira-t-on une place lorsque les allocations familiales seront de la compétence des entités fédérées ? Rien ne le dit. Que deviendront les 28 caisses d’allocations familiales actuelles ? Quelles institutions géreront les moyens financiers transférés du fédéral vers les entités fédérées ? Il se murmure que les mutuelles seraient intéressées… Comment calculer la répartition de l’enveloppe fédérale entre les communautés ? Comment éviter les fraudes imaginées par ceux qui tenteraient de relever de communautés différentes ? Il est trop tôt pour le dire.

Dans ce contexte flou, la Ligue des familles, constatant que la défédéralisation semble inévitable, propose une réforme en profondeur du secteur, qui corresponde aux besoins réels des francophones.  » Le système des allocations familiales est dépassé, lance Denis Lambert, directeur général de la Ligue. Il faut repartir sur des objectifs forts et clairs.  » La Ligue propose ainsi une même allocation pour chaque enfant, autour de 115 euros, avec une majoration non plus en fonction du statut professionnel ou personnel des parents mais de leurs revenus. Un supplément serait octroyé aux familles de plus de trois enfants. Une part des allocations familiales pourrait servir à lancer ou améliorer des services collectifs (crèches, accueil extrascolaire, soutiens à la parentalité…). De quoi faire méditer les négociateurs, s’ils craignaient de s’ennuyer…

(1) Il s’exprime ici à titre personnel et non pas au nom de la CSC.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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