Les 36 avatars du couple

Spécialiste des moeurs, Jean Claude Bologne signe un ouvrage d’une vive subtilité sur l’évolution d’une entité indissoluble. Le mariage, moins tendance, cède le champ à l’amour libre, au concubinage, à l’amitié amoureuse…

Jusqu’à la création du pacte civil de solidarité (Pacs), sinon jusqu’au  » mariage pour tous « , d’aucuns, plus nombreux qu’il n’y pouvait paraître, s’étaient plu à croire que l’institution matrimoniale hétérosexuelle et exclusive avait de tout temps constitué la norme  » héréditaire  » de nos sociétés. Or, c’est à un démontage minutieux de cette  » croyance  » que se prête l’écrivain et historien Jean Claude Bologne (1956), Liégeois d’origine et Parisien d’adoption, dans un ouvrage savant sur le couple, qui complète le catalogue d’une longue série d’histoires de moeurs : la pudeur, le sentiment amoureux, le mariage en Occident, le célibat et les célibataires, la coquetterie masculine, par exemple.

D’une belle intelligence, comme toujours, et d’une haute érudition, l’auteur remonte pour ainsi dire au fond des âges, traversant avec bonheur les mythologies anciennes, l’Antiquité gréco-romaine, l’univers judéo-chrétien né de la Bible, l’époque classique, pour atterrir finalement aux Temps modernes. Envisageant le couple sous ses modalités légales, puis sacrées, et enfin amoureuses.

Quand il s’arrête à Athènes, le philologue considère d’abord une manière de polygamie. Au premier rang figurait l’hétaïre – ou courtisane -, qui procurait à l’homme non seulement le plaisir sexuel, mais aussi une conversation recherchée. Au second, se tenait la pallaque, ou concubine, compagne de tous les jours en somme, appelée à lui donner des enfants. Ne venait qu’alors l’épouse (gunaika), mère des enfants légitimes auxquels reviendra l’héritage, qui règne d’une manière relativement confinée dans le gynécée.

 » Le couple, a-t-on longtemps dit, est une invention du XIXe siècle. Il correspondrait au passage d’une société de type monarchique, fondée sur la famille patriarcale, à une société égalitaire, dont la structure de base serait la cellule conjugale.  » Et Jean Claude Bologne d’observer que le mythe de Roméo et Juliette, qui fait prévaloir l’affection conjugale sur la solidarité clanique, marquerait symboliquement l’avènement du couple moderne. Scellé peut-être dans le roman des années 1850. Balzac, Flaubert, Zola, etc.

Histoire à contresens

Au passage, comme nous l’avions pu constater à Athènes et à Rome, l’Antiquité avait reconnu certaines formes d’homosexualité, sans toutefois lui conférer un statut égal à celui du mariage, qui relevait du droit privé et visait à la transmission du patrimoine. C’est ensuite le monde chrétien qui l’avait proscrite, enfermant les homosexuels dans une clandestinité où ne se forment que des couples éphémères. Dépénalisée ensuite sous la Révolution française, l’homosexualité deviendra, avec le XIXe siècle, une orientation permanente, et non plus un vice. Malgré une psychiatrie insistante qui continuera d’y voir une déviance mentale.

Si Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir seront les précurseurs, dès 1930, d’un nouveau mode de vie – le Living Apart Together -,  » solitarisme en couple « , on sait les bouleversements qui affecteront la relation amoureuse dans les années 1960, avec pour corollaire, de nos jours, un taux de divorce de près de 70 % en Europe, l’homme – et la femme à un moindre degré – devenant selon le mot du psychologue René Zayan un  » monogame récidiviste « . Tandis que le mariage pour tous, entériné en 2013, irait à contresens de l’histoire selon ses détracteurs, Jean Claude Bologne prouve au contraire, au regard de l’histoire, justement, que le couple est une entité à géométrie variable…

Histoire du couple,par Jean Claude Bologne, éd. Perrin, 311 p.

Eric de Bellefroid

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