» L’enjeu, ce n’est plus d’aller sur la lune, mais de rester sur terre « 

Jean-Marc Nollet, vice-président du gouvernement wallon, livre sa vision de l’écologie politique : pragmatique, anti-étatiste (mais pas trop), allergique au catastrophisme et peu sensible aux sirènes de la décroissance.

Le Vif/L’Express : L’écologie constitue-t-elle une idéologie à part entière, au même titre que le libéralisme, le socialisme ou la démocratie-chrétienne ? Y a-t-il un faisceau de valeurs, d’objectifs qui la distingue des autres courants politiques ?

Jean-Marc Nollet : Oui. L’écologie politique, c’est un courant à part entière et une pensée complète. Prenons la métaphore d’une pizza. L’objectif du libéralisme, c’est une pizza la plus grande possible. Le socialisme, lui, vise à répartir les parts de façon égale. Quant à l’écologie, c’est le tout. Quels ingrédients ? Quelle saveur ? Quelles couleurs ? Sans perdre de vue la répartition et la grandeur de la pizza, pour que chacun puisse manger à sa faim. Je ne nie pas l’apport des autres courants idéologiques. Au XIXe siècle, j’aurais pu me retrouver dans les combats des libéraux en faveur de la démocratie. De même que le socialisme a réalisé de grandes choses, notamment la sécurité sociale, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mais, aujourd’hui, au XXIe siècle, c’est l’écologie politique qui apporte les réponses.

En quoi l’écologie apporte-t-elle les  » bonnes  » réponses aux problèmes de notre temps ?

En fait, l’écologie revisite la triade Liberté, Egalité, Fraternité. La liberté, mais pas de façon absolue : il faut aussi réguler. L’égalité, bien entendu, mais l’objectif n’est pas de mettre tout le monde dans le même moule. Quant à notre conception de la fraternité, c’est la solidarité au cube. La solidarité ici et maintenant, d’abord. C’est-à-dire la sécurité sociale. Si je suis malade, j’ai droit à une couverture médicale. Si je me retrouve au chômage, j’ai droit à une allocation. La solidarité entre ici et là-bas, ensuite. Cela englobe la coopération au développement, qui nous est très chère. La solidarité entre aujourd’hui et demain, enfin. C’est la question que les écologistes ont amenée dans le champ politique. Demain, il ne faut pas imaginer que c’est dans 300 ou 400 ans. L’enjeu, c’est de rendre la terre viable pour la prochaine génération. Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? C’est ça, la question. Il y a quarante ans, les hommes se battaient pour aller sur la lune. Maintenant, en raison du réchauffement climatique et des menaces sur la biodiversité, on doit se battre pour que la vie reste possible sur terre.

Pourquoi les socialistes ou les libéraux seraient-ils incapables d’y apporter une réponse adéquate ?

Nous vivons dans un monde qui a des limites, et ces limites, c’est la terre qui les définit. Pour que le blé pousse dans les champs, il faut trois ou quatre saisons. Ni le libéralisme ni le socialisme n’intègrent cette conscience des limites. Depuis cent ans, mis à part deux grandes périodes de récession, le monde a toujours évolué dans la croissance. Ce qu’on oublie, c’est que cette croissance n’a été possible qu’en consommant une grande partie du stock. Durant des milliers d’années, la terre a produit du charbon et du pétrole. Aujourd’hui, pour continuer à croître, on puise dans ce stock. On vit d’héritage.

Etes-vous en train de défendre l’idée de décroissance ? Le député français Yves Cochet, auteur de plusieurs ouvrages sur l’écologie, dit que la décroissance est inévitable.

Ah, Cochet… J’ai eu un débat assez tendu avec lui, lors de l’université d’été des Verts français. Vous savez, on discute beaucoup chez les écologistes, je ne partage pas tout. Moi, je dis qu’on ne peut pas imaginer une croissance infinie dans un monde fini. Sur le plan théorique, il y a un paradoxe impossible à résoudre. Le problème, avec la décroissance, c’est qu’on remplace un dogme par un autre. La croissance des énergies renouvelables ? La croissance du bien-être ? J’y suis favorable. Par contre, j’ai un problème avec la croissance des émissions de CO2.

Dans son livre Qu’est-ce que l’écologie politique ? , Alain Lipietz, autre figure des Verts français, soutient que  » tous les courants qui se sont coalisés autour de l’écologie politique se distinguent par leur antiproductivisme et leur antiétatisme « . D’accord ou pas d’accord ?

C’est clair que, par rapport aux socialistes qui placent le rôle de l’Etat au c£ur de leur action, il y a une différence. Je considère que l’Etat a un rôle à jouer, tout comme le marché a un rôle à jouer. Mais, dans ma vision, il y a aussi une place importante pour l’associatif et la sphère autonome.

C’est quoi, la sphère autonome ?

Mon gamin qui cultive son potager, ma voisine qui vient garder les enfants, les concours de pétanque avec les amis… C’est-à-dire tous les échanges gratuits, qui ne sont ni structurés ni monétarisés. Entre 1999 et 2004, en tant que ministre de l’Enfance, j’avais invité les grands-parents à venir lire dans les classes. J’ai dû me battre pour ça. On m’a accusé de porter atteinte au statut des professeurs, de déposséder les enseignants de leur rôle. Pas du tout ! Mais, comme écologiste, je ne comptabilise pas tout dans des relations de travail salarié, importantes par ailleurs. A l’intérieur des deux gouvernements que j’ai fréquentés, les discussions n’ont jamais été évidentes dès qu’on aborde la question du bénévolat. Certains considèrent toujours que le bénévolat écrase l’emploi.

Quel est le rôle de l’Etat dans l’économie, selon vous ?

Je ne suis pas contre l’Etat, je suis contre le fait qu’il s’occupe de tout. J’ai une vision éco-keynésienne de l’Etat [NDLR : en référence à l’économiste britannique John Maynard Keynes]. Quand ça va mal, en temps de crise, quand les acteurs privés n’osent plus entreprendre, le public doit surinvestir. Par contre, en période d’euphorie économique, l’Etat peut tout à fait être invisible. C’est le keynésianisme, ça. J’y ajoute une dimension écologique. Tout investissement n’est pas bon en soi. Construire pour construire, ça n’a pas de sens. Les investissements doivent être orientés de façon à développer des alliances emploi-environnement : cela peut être des travaux d’isolation ou la construction de lignes de chemins de fer.

En tant qu’écologiste, éprouvez-vous une tendresse particulière pour les animaux et les plantes ?

Etant asthmatique, par rapport aux animaux, je dois faire attentionà Par contre, j’adore travailler la terre. La protection de la nature, c’est une des portes d’entrée vers l’écologie politique. Moi, j’y suis venu autrement, via les questions d’enseignement et de bonne gouvernance. Combler le fossé entre les citoyens et leur gouvernement, cela reste une préoccupation majeure des écologistes. On l’a vu avec la question du décumul. On était seuls contre tous. J’ai dû me battre au sein même de ma majorité. C’est un combat partagé par d’autres partis verts européens. On considère qu’une seule personne ne peut pas tout faire à la fois.

Comment décririez-vous la relation entre les écologistes et la nature ?

On a un respect. La perte de biodiversité, c’est une autre vérité qui dérange, mais dont on parle trop peu. La déforestation, ce sont 36 terrains de foot qui disparaissent chaque minute ! Une espèce d’oiseau sur huit est menacée, un mammifère sur cinq. Cela représente une menace énorme. Einstein disait : je ne donne pas quatre années à la terre si les abeilles disparaissent. Malheureusement, on n’a pas encore eu d’Al Gore ou de Nicolas Hulot pour porter cet enjeu au cinéma et alerter le grand public. N’oublions pas qu’on va puiser dans cette biodiversité des tas de solutions pour notre développement économique. Le Velcro, le scratch, pour être très concret, a été conçu en s’inspirant du fruit de la bardane. Les trains à grande vitesse japonais ont réduit de 15 % leur consommation d’énergie dans les tunnels, en s’inspirant du profilage du bec du martin-pêcheur au moment où il plonge dans l’eau. Les combinaisons de natation ressemblent à la peau des requins. C’est tout ça, l’apport de la biodiversité.

Certains écologistes disent que le monde va trop vite, qu’il faut ralentir le cours de nos vies, comme le prône le mouvement slow food.

Je peux m’y retrouver. J’ai été assez marqué par les travaux de Paul Virilio sur l’accélération du temps. Le temps n’accélère pas, évidemment. Vingt-quatre heures en 2011 ne passent pas plus vite que vingt-quatre heures en 1940. Je ne veux pas arrêter le monde, mais il ne serait pas mauvais d’introduire des ralentisseurs, des casse-vitesse. La façon dont les événements se sont emballés, lors de la crise financière, a de quoi inquiéter : deux semaines à peine après les premières secousses aux Etats-Unis, Fortis était au bord de la faillite. On s’est aperçu que les fonds de pension figurent parmi les plus gros spéculateurs. Or, par définition, un fonds de pension est là pour penser à plus tard. Un exemple de ralentisseur, dans ce cas, serait d’imposer qu’au moins la moitié de leurs investissements soit placée sur cinq ans. L’horizon de placement moyen est aujourd’hui inférieur à une année. Cela ne va pas. Je ne connais aucun entrepreneur qui puisse amener une rentabilité dans une échéance de neuf ou dix mois. En politique aussi, on devrait aussi introduire des ralentisseurs.

Par exemple ?

Fusionner les dates d’élection.

Cela se trouvait dans la note Di Rupo, qui proposait que les élections régionales, fédérales et européennes aient lieu le même jour, une fois tous les cinq ans.

C’est une bonne chose. Ce sont des mesures comme ça qui permettront d’en finir avec le  » court-termisme « . Il faut inciter les responsables politiques à penser à la prochaine génération, et non pas à la prochaine élection.

Vous avez dit en début d’entretien que le principal enjeu, aujourd’hui, était de  » rester sur terre « . On en est là ? C’est vraiment ça, la question : la vie humaine sera-t-elle encore possible sur terre dans trente ou quarante ans ?

Votre manière de présenter n’est pas la bonne. C’est ça que je reproche à Yves Cochet. La peur ne fait pas avancer. Elle rend impuissant ou fataliste. L’énergie qui se dégage du désir est beaucoup plus forte. Il faut parfois crier fort pour réveiller les consciences. L’écologie a une fonction de réveil, je crois à ça. Mais il ne faut pas en rester là. Le réveil, c’est la cata quand ça sonne. Après, on prend une douche, ça va déjà mieux. Puis un petit déjeuner, et on est en forme pour toute la journée, prêt à relever les défis.

C’est votre droit de ne pas être catastrophiste, mais n’est-ce pas de l’aveuglement ? Yves Cochet affirme qu’à moins d’une rupture radicale et rapide on n’évitera pas la catastrophe.

Il se trompe. Un : il n’est certainement pas trop tard. Deux : il y a moyen d’inverser la tendance. Trois : plus vite on le fait, plus facile ce sera et moins ça coûtera.

Il y a vingt ans, les écologistes disaient déjà ça : non, ce n’est pas trop tard, il est minuit mois une, mais il est encore temps de réagir. N’empêche, depuis lors, la situation n’a fait qu’empirer.

La pensée binaire, laissons ça à Bart De Wever. Ne donnons pas l’impression que rien n’a été fait. Il y a quinze ans, il y avait des gaz CFC dans tous les frigos. Aujourd’hui, il n’y en a plus. Voyez aussi la réglementation sur les produits chimiques introduite au niveau européen par la directive Reach, ou la consommation de CO2 par kilomètre des voitures, qui a diminué.

Mais, globalement, la terre va plutôt plus mal qu’il y a vingt ans.

C’est vrai. Le problème, je l’ai dit, c’est qu’on utilise trop les stocks, et pas assez les flux. Le pétrole, c’est un stock. Il est enfui dans le sol depuis des millénaires. Même l’uranium, c’est un élément qu’on va chercher, qu’on va vider. Par contre, le soleil, le vent, c’est illimité, ce sont des flux. Les marées aussi, même si on doit encore perfectionner le moyen d’exploiter leur énergie… Les flux, c’est plus difficile à capter et à stocker. Je suis ministre de la Recherche, j’ai réorienté certains programmes énergétiques sur la conduite et la maîtrise des flux. Mais j’insiste : il n’y a pas lieu de sombrer dans le désespoir. Regardez la crise politique. Combien de fois n’a-t-on pas écrit :  » Cette semaine sera décisive  » ? On est toujours là… Cela ne veut pas dire qu’on ne doit rien faire. Pour 2050, je crois qu’il faut se fixer un objectif de 100 % d’énergies renouvelables. Ne plus dépendre des énergies fossiles et fissiles. C’est possible.

PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCOIS BRABANT

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