L’enfant terrible

Paris consacre une rétrospective à Bernard Buffet, l’un des artistes les plus adulés et les plus décriés du XXe siècle… Une sélection d’une centaine de tableaux permet d’appréhender une oeuvre finalement méconnue.

Et si on oubliait la biographie et la polémique pour déambuler à travers l’exposition en ne regardant que les tableaux ? Qu’y verrait-on ? Dans les premières salles, d’incroyables autoportraits et natures mortes aux lignes épurées, dans une palette de gris qui confine au dénuement. S’approchant des cartels et découvrant les dates des oeuvres, on fera alors inévitablement le rapprochement entre la simplicité des lignes et des sujets et l’immédiat après-guerre, ce temps particulier au cours duquel un jeune artiste du nom de Bernard Buffet, né en 1928, peint sa triste jeunesse avec singularité et sans aucune concession. C’est cette exigence picturale qui frappe au premier abord, donnant envie d’évoquer les toiles de Louis Van Lint et d’Anne Bonnet du temps de la Jeune Peinture belge. Ensuite vient la couleur et, avec elle, le grand format, l’épaisseur du trait, les sujets audacieux autant qu’inattendus. Peinture religieuse, peinture d’histoire. Une étonnante série consacrée au cirque dans laquelle même les clowns sont tristes. D’immenses oiseaux au regard vengeur penchés sur le corps sans vie de jeunes femmes, sans parler des poissons squelettiques, des maquerelles en porte-jarretelles, de l’univers de Jules Verne ou de Dante et Virgile déambulant au purgatoire de la Divine Comédie. Avec l’agrandissement des formats et le durcissement du trait vient aussi une forme d’expressionnisme qui vire à la caricature. Le malaise sourd des toiles. Ce n’est plus l’extrême dépouillement de la prime jeunesse, c’est plutôt la rancoeur du temps qui passe et qui ne sert à rien si ce n’est à vieillir reclus, jusqu’au diagnostic de la maladie de Parkinson et au suicide dans l’atelier, en 1999. Bernard Buffet a 71 ans. Il a connu le succès trop tôt, diront ses commentateurs. Une gloire aussi précoce que fulgurante, menant à la raillerie de la critique puis à un oubli radical, quasi définitif.

Bonjour tristesse

C’est un destin autant qu’une oeuvre que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris met en scène par cette rétrospective dans laquelle les documents d’époque sont nombreux – reportages vidéo, textes et photos – pour témoigner du sort funeste de celui qui fut élu meilleur peintre de sa génération devant Alfred Manessier et Nicolas de Staël. A 18 ans à peine, le succès de Buffet est explosif : il remporte le Prix de la critique d’art et signe un contrat d’exclusivité qui le mènera à exposer chaque année, en février, chez son marchand. Paris avait alors deux enfants tristes, dira-t-on : Bernard Buffet et Françoise Sagan. En quelques années, l’homme atteint le faîte de sa gloire et devient milliardaire. La cote de ses tableaux rejoint celle de Picasso ! Aux côtés de Pierre Bergé dont il partage la vie, Buffet roule en Rolls et continue à peindre des figures décharnées, misérabilistes, à contre-courant de la tendance abstraite qui s’affirme au même moment. Sa vie de château est difficilement compatible avec l’image de jeune prodige crève-la-faim des débuts. Quitté par Bergé qui lui préfère Yves Saint Laurent, Buffet n’a pas encore 30 ans que sa carrière est derrière lui. Il ne cesse pourtant jamais de peindre et a la chance, de son vivant, de voir s’ouvrir un musée privé à son effigie au Japon. Nul n’est prophète en son pays, jusqu’à aujourd’hui…

Bernard Buffet. Rétrospective, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 26 février. www.mam.paris.fr

PAR ALIÉNOR DEBROCQ, À PARIS

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