L’enfant et les Gardes rouges

La Révolution culturelle fait rage à Pékin. Xu Xing s’y trouve, à 12 ans, séparé des siens. Aujourd’hui écrivain et réalisateur, il n’a rien oublié de la violence dont il a été le témoin.

De notre correspondante

A Pékin, en 1968, la Révolution culturelle, lancée deux ans plus tôt, atteint le paroxysme de la violence. Dans une ambiance électrique, les factions de Gardes rouges s’écharpent pour prouver leur loyauté envers le président Mao Zedong. Agé de 12 ans, Xu Xing vit seul chez sa mère, livré à lui-même. Sa famille a été dispersée dans les campagnes du pays.

 » Avant le début de la Révolution culturelle, nous vivions dans un environnement confortable et relativement stable, bien que mon père ait été classé droitier dès 1958 « , raconte aujourd’hui l’écrivain et réalisateur. Une cigarette au coin des lèvres, la tête toujours un peu penchée, comme accablé par le poids de souvenirs qu’il rumine depuis quarante ans, Xu Xing détaille les années de tourmente.  » Quand la révolution a commencé, j’avais 10 ans. Nous habitions dans l’appartement alloué par l’unité de travail de ma mère. C’était une cour carrée, avec des bâtiments sur trois côtés. Conformément à la tradition chinoise, deux arbres ombrageaient la cour, et un rocher en forme de petite montagne se dressait entre les deux. Plusieurs dizaines de familles vivaient là. Comme elles appartenaient toutes à la même unité de travail, nous formions une petite communauté. « 

La nostalgie aidant, Xu Xing se souvient des moindres anecdotes de cette vie que la Révolution allait détruire. Les jeux avec les enfants voisins. La simplicité du quotidien. Une mère médecin dans un grand hôpital de Pékin. Et un père ingénieur, souvent absent  » parce qu’il travaillait beaucoup, ou peut-être parce que son statut politique lui interdisait de rentrer souvent à la maison « .

 » Après le début de la Révolution culturelle, aux yeux d’un enfant, le changement le plus évident était dans l’attitude des adultes. Ceux de notre cour semblaient moroses, abattus. En revanche, ce qui me plaisait bien, c’est que les professeurs, autrefois effrayants, sont soudain devenus très doux.  » Sans doute craignent-ils les  » dénonciations « , qui, de fait, se multiplient. Peu à peu, la violence se répand. A Pékin, la proviseure d’un lycée de jeunes filles est battue à mort par ses élèves, toutes issues de familles de cadres. Elle sera la première victime de la Révolution culturelle.

Bien qu’aucun bilan officiel n’ait été dressé, il est probable que plus de 1 million de personnes aient trouvé la mort dans cette folie.  » La violence était partout. Surtout entre 1966 et 1968. Tous les jours, des maisons étaient mises à sac, les Gardes rouges réprimaient les « cinq catégories noires » « , se souvient Xu Xing. Lui est trop petit pour être visé par les Gardes rouges. Et sa famille, envoyée à la campagne, échappe à l’acharnement des petits soldats de Mao.  » Mais ma voisine a été battue à mort ou presque, se souvient-il. Elle était propriétaire, dans ma ruelle, d’une grande cour. La porte était toujours fermée et elle ne se mêlait pas aux voisins. Un jour, un groupe de Gardes rouges est entré. Tout à coup, on a entendu un cri terrifiant et ils ont fait sortir cette vieille femme, à laquelle ils avaient coupé les cheveux n’importe comment. Ils l’ont jetée dans un triporteur et, debout, les Gardes rouges la frappaient avec une ceinture en cuir. Son corps était couvert de sang… Ses cris, je m’en souviens encore. « 

En 1968, la famille de Xu Xing est dispersée. Son père, considéré comme contre-révolutionnaire, est nommé jardinier d’un bataillon militaire en Mongolie-Intérieure. Sa s£ur et son frère, deux adolescents parmi les 5 millions de jeunes instruits envoyés  » pour rééducation  » à la campagne, se retrouvent à leur tour en Mongolie, puis dans la grande banlieue de Pékin. L’hôpital dans lequel travaillait sa mère est délocalisé vers la province du Gansu, et officie dans une grotte sommairement aménagée, pour  » soigner les paysans et non plus les capitalistes urbains « . Xu Xing, lui, passe quelques mois avec sa mère, avant d’être renvoyé à Pékin, où les écoles venaient de rouvrir.  » Ma mère envoyait tous les mois les trois quarts de son salaire pour que je puisse manger, explique-t-il. Tous les jours, j’attendais le facteur à la porte, en espérant avoir une lettre. Je me sentais très seul, ma mère me manquait. En même temps, je me sentais très libre ; plus personne ne s’occupait de moi, et certains enfants m’enviaient beaucoup. « 

Sa liberté, Xu Xing l’a payée cher. Des années de vagabondages, entre fugues et séances d’éducation politique, quelques séjours en prison, un grand amour gâché par la révolution… Quarante ans après, l’écrivain a pris une caméra pour montrer  » sa  » Révolution culturelle. Car les blessures individuelles de cette folie collective n’ont toujours pas cicatrisé. n

Ma Révolution culturelle, film de Xu Xing, François Cauwel et Charlotte Cailliez (Hikari Productions, 2008), sera diffusé le 31 mai sur Arte.

Séverine Bardon

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