L’énergie en débat

Paul Magnette et Laurent Minguet occupent deux positions intéressantes. Le premier, socialiste, est en charge de l’Energie au gouvernement fédéral, le second, proche d’Ecolo, a fait d’EVS (ralentis télévisés) une success story et il tente de mettre ses utopies environnementales en pratique.

Le Vif/L’Express : Les arguments en faveur de la sortie du nucléaire, en 2003, étaient-ils vraiment solides, ou bien le changement climatique a-t-il bouleversé l’ordre des priorités ?

Laurent Minguet : Ecolo est arrivé au pouvoir en 1999 avec sa revendication de sortie du nucléaire, alors qu’on parlait déjà de changement climatique depuis au moins vingt ans. Ce n’est donc pas une découverte. Le parti reste constant dans ses positions : ne pas répéter, avec l’énergie nucléaire, les erreurs commises avec le charbon, le pétrole, le gaz, qui ont souillé les sols pour assurer notre développement. Les déchets radioactifs ont une durée de vie de 1 000 générations. Les déchets de l’industrie chimique, de 3 à 4 générations, ce qui, à la limite, est encore socialement admissible, mais pas le nucléaire ! Prendre un tel risque pour garantir 2 % de l’énergie consommée est ridicule.

Paul Magnette : Les arguments de 2003 en faveur de la sortie du nucléaire étaient techniquement solides mais la loi ne prévoyait pas comment on allait s’y prendre pour se passer des centrales. Il n’existait ni plan d’efficacité énergétique ni plan industriel pour produire des énergies renouvelables en remplacement des centrales classiques. On a fait beaucoup trop confiance au libre marché, ce qui nous a contraints à reporter la sortie du nucléaire, qui reste notre perspective.

La dangerosité du nucléaire est-elle avérée ?

Laurent Minguet : L’énergie nucléaire est dangereuse à cause du risque d’accident majeur et de la prolifération nucléaire. Après Tchernobyl, on s’est dit qu’il s’agissait d’une vieille centrale russe ; que chez nous, un tel accident n’arriverait pas. Mais les compagnies d’assurances refusent d’assurer les centrales nucléaires, ou alors, pour un pourcentage dérisoire des risques. La convention de Paris a acté ce fait. Si une catastrophe se produit, l’indemnisation des victimes sera à la charge de la collectivité. Quant à la prolifération nucléaire, ce n’est pas tant un nouvel Hiroshima ou Nagasaki – un million de victimes – qu’il faut craindre que le geste d’un  » fou  » ou d’un Etat dit  » voyou « . Certes, il y aurait des survivants mais – ce n’est qu’un exemple – on n’irait plus à Jérusalem pendant cinquante ans… La chute du mur de Berlin, la Chine qui se convertit au capitalisme, puis le capitalisme qui implose : tous ces événements nous ont fait oublier que l’arsenal nucléaire restait une menace.

Paul Magnette : La décision de 2003 ne tournait pas seulement autour de la dangerosité du nucléaire. Les deux centrales dont il est question – Doel 1 et 2 et Tihange 1 – ne seront prolongées que si l’on fait la démonstration, avec l’Agence pour l’énergie nucléaire, que toutes les conditions de sécurité sont respectées. On a des mécanismes de contrôle déjà très sévères de la sécurité des installations, de la production et du traitement des déchets. Mais il faut rester très vigilant et sortir au plus vite du nucléaire.

Les impasses du nucléaire

N’y a-t-il pas une nouvelle urgence environnementale : le CO2 ?

Laurent Minguet : Il faut savoir de quoi l’on parle : 80 % de l’énergie consommée sur la planète est d’origine fossile et produit des gaz à effet de serre. Seulement 2 à 3 % de cette énergie consommée est d’origine nucléaire. En Belgique, le nucléaire représente 55 % de la production d’électricité. Depuis les années 1970, les Belges ont payé leur électricité plus cher en contrepartie de l’investissement dans le nucléaire. Electrabel est, depuis lors, devenue une compagnie étrangère et, alors que sa rente nucléaire se chiffre à 1 milliard d’euros par an, l’Etat a les pires difficultés à obtenir son retour sur investissement. Le nucléaire est une fausse solution à la crise climatique. Les réserves d’uranium, obtenues au prix du travail des enfants dans les mines, sont insignifiantes. La technologie nucléaire civile n’a jamais tenu ses promesses. Areva, en France, envisage de démanteler son surgénérateur Super Phoenix, qui n’a jamais fonctionné que trois mois sur trente ans. En Finlande, les centrales de nouvelle génération, dite EPR, coûtent beaucoup plus cher que prévu. C’est une vaste escroquerie. Pourquoi l’industrie nucléaire admettrait-elle qu’elle est dans une impasse, alors qu’elle bénéficie de la rente nucléaire et que ses actionnaires sont ravis ? Ce n’est pas en reportant la décision de fermer les centrales que la Belgique atteindra, en 2020, l’objectif des 13 % d’énergie renouvelable fixé par l’Europe à la Belgique.

Paul Magnette : Honnêtement, ce n’est pas la réduction des gaz à effet de serre qui inspire la décision de reporter la fermeture des centrales, même si les changements climatiques inspirent beaucoup d’inquiétude. Je n’en fais pas un argument majeur. Cela étant, si on remplace l’énergie nucléaire par du gaz, on a 5 millions de tonnes de CO2 supplémentaires. Nous n’avons tout simplement pas la capacité de sortir du nucléaire à la date prévue.

Quelle est l’alternative industrielle ?

Laurent Minguet : On se chauffe pour moitié avec du mazout et pour l’autre avec du gaz, dont la combustion produit du CO2, la part de l’électricité dans le chauffage étant négligeable. Il suffirait que les particuliers et les bureaux soient chauffés avec du bois-énergie ( NDLR : énergie utilisant la biomasse constituée de bois, sous forme de bûches, pellets, plaquettes forestières… : elle ne rejette pas de CO2 dans l’atmosphère) pour remplir nos objectifs de 2020. C’est l’objet du rapport que j’ai rédigé avec Jehan Decrop, de la CSC, qui travaille aujourd’hui au cabinet du ministre du Développement durable de la Région wallonne, Jean-Marc Nollet. Cette source d’énergie renouvelable pourrait se substituer, pour moitié, à l’électricité consommée et couvrir la moitié de nos besoins de chaleur. Ce serait une énergie moins chère et plus stable que celle que nous propose actuellement Electrabel qui, soit dit en passant, est aussi le premier producteur d’énergie renouvelable en Belgique avec ses éoliennes. L’éolien – pour lequel la Belgique dispose de plus d’atouts que l’Allemagne – et le bois-énergie sont les deux ressources énergétiques du futur. Le nucléaire ne tient qu’à force de propagande. Voyez la campagne du Forum nucléaire, financée par Electrabel (Suez)…

La biomasse et l’éolien, énergies du futur

Paul Magnette : L’objectif européen assigné à la Belgique – 13 % d’énergie renouvelable en 2020 – n’a l’air de rien, mais cela va demander un effort considérable, puisqu’il faut tripler d’ici à onze ans les 3 ou 4 % que représente actuellement la part du renouvelable dans notre production d’énergie. Notre programme de développement de l’éolien offshore en mer du Nord, qui ne fonctionne que 40 % du temps, n’y suffira pas. Et encore moins les éoliennes terrestres, pour des questions de vent, d’espace disponible ou de nuisances pour les habitants. La biomasse ou bois-énergie ne représente qu’une petite partie de la solution. Il y en a d’autres. Il ne faudrait pas qu’en plus cette technique s’apparente à un pillage du tiers-monde, avec des problèmes de déforestation ou d’exploitation de la main-d’£uvre locale.

Je mise beaucoup sur l’éolien offshore qui, avec l’extension du port d’Anvers, est le projet industriel le plus important de Belgique. Avec six éoliennes, nous disposons de 2 500 mégawatts installés et, pour la fin de la législature, on devrait atteindre les 4 000 mégawatts installés. J’ai lancé, avec 7 ou 8 pays proches, une réflexion commune sur l’élaboration d’un réseau de transport connectant l’ensemble des éoliens offshore de la mer du Nord, pour améliorer la fiabilité du transport de l’énergie produite, assurer la sécurité d’approvisionnement en énergie et diminuer les coûts liés au câblage. On étudie l’extension de la zone. Pour 2020, nous avons un très, très grand projet, porté par une société créée pour la cause, avec divers partenaires industriels et institutionnels.

Finalement, les politiques sont devant leurs responsabilités…

Laurent Minguet : A part Greenpeace, Inter-Environnement Wallonie, Edora ou la FGTB, je ne vois que la presse, le quatrième pouvoir, pour faire entendre un autre discours que  » puisqu’on a le nucléaire sous la main, continuons…  » J’ai monté un projet de réseau de chaleur qui se déploie sur plusieurs communes, dont la centrale de cogénération biomasse est située, ce n’est pas un hasard, à Amay ( NDLR : commune dont Jean-Michel Javaux est le bourgmestre). Elle pourrait être alimentée avec de la biomasse importée. J’ai développé, à titre privé, un projet en partenariat avec les autorités sénégalaises (lire Le Vif/L’Express du 3 juillet 2009), pour exploiter des plantations de bois-énergie, qui respectent les sols et les travailleurs locaux, et dont l’acheminement par bateau est d’un faible coût et rejette, en tout cas, moins de CO2 que le transport équivalent de bois indigène de Virton à Seraing, par camion. Mais pour mener à bien un tel projet, il faut surmonter une montagne d’obstacles administratifs et faire travailler davantage d’avocats que d’ingénieurs.

Et la taxe carbone ?

Alors que la Belgique importe 95 % de son énergie, je ne constate aucun sentiment d’urgence… Une décision que pourrait prendre le politique serait d’arrêter l’extension des réseaux de gaz, car cela rend la population  » carbone-addict « . Autre chose : je constate que l’on ne taxe pas les combustibles de chauffage ni la pollution. Evidemment, cela ne ferait plaisir à personne. Il faut, comme en France, arriver à démontrer que des changements majeurs sont nécessaires et, pourquoi pas ? instaurer une taxe carbone, pour que les industriels prennent leurs responsabilités, ainsi qu’une écotaxe sur le nucléaire. Les capitaux existent. Le changement doit être impulsé par le politique, car on ne peut pas attendre d’une entreprise – dont le but est de maximiser ses profits – qu’elle renonce d’elle-même à une rente de situation. L’enchevêtrement des niveaux de pouvoir ne rend pas, non plus, la chose facile. L’aménagement du territoire et le logement sont, par exemple, aux mains des Régions. La densification de l’habitat est l’une des manières de réduire la facture énergétique. C’est également le politique qui doit faire prévaloir l’intérêt général que représentent les éoliennes sur les défenseurs de la  » ligne de force du paysage « …

Paul Magnette : Il faut impliquer beaucoup de niveaux de pouvoir, ce que j’ai fait en organisant le Printemps de l’environnement, en avril 2008. Les trois quarts des leviers de changement, en matière environnementale, sont, en effet, du ressort des Régions. Mais cela n’empêche pas le fédéral de montrer l’exemple. Ainsi, l’objectif du gouvernement est d’obtenir une réduction de CO2 de 22 % dans les bâtiments publics fédéraux, à partir de 2014, en y investissant jusqu’à 210 millions d’euros sur une période de cinq ans pour y économiser l’énergie. Quant à arrêter l’extension du gaz, cette question n’est pas à l’ordre du jour. La Belgique est une zone de transit et elle perçoit, grâce à cela, une redevance dont on ne peut pas se passer. Il faudrait vraiment beaucoup de sources d’énergie alternatives pour pouvoir se passer du gaz ! Enfin, avant de s’avancer sur le principe d’une taxe carbone, il faut réfléchir à trois choses : ne pas alourdir la facture des personnes dont le pouvoir d’achat est déjà faible, ne pas diminuer la compétitivité de nos entreprises et aussi veiller à ce que cette taxe carbone soit une véritable rentrée fiscale.

ENTRETIENS : MARIE-CéCILE ROYEN

 » Le nucléaire ne tient qu’à force de propagande  » (Laurent Minguet)

 » On a fait beaucoup trop confiance au libre marché « 

(Paul Magnette)

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