L’électron libre qui défie Windows

Emmanuel Paquette Journaliste

Lancé en 2004 par un riche Sud-Africain, le système d’exploitation gratuit Ubuntu équipe de plus en plus d’ordinateurs. Dernier conquis : le chinois Lenovo.

Tout commence par une dette. Celle d’un millionnaire vis-à-vis d’une communauté. Un jeune ingénieur sud-africain, devenu riche, à 25 ans, grâce à l’aide de programmeurs informatiques bénévoles. En un mot, l’histoire d’un Ubuntu (prononcez  » oubountou « ) : en langue bantoue, un homme devenu ce qu’il est grâce aux autres.  » Lorsque j’ai vendu ma société de sécurité informatique, pour 575 millions de dollars, en 1999, j’avais une dette envers les développeurs, se souvient Mark Shuttleworth. J’ai donc décidé de les remercier en leur offrant un système d’exploitation libre. « 

Ainsi est né, en 2004, Ubuntu. En l’espace de six ans, l’entrepreneur a englouti plusieurs dizaines de millions de dollars dans ce projet dont la philosophie est aux antipodes de celle de Microsoft. Gratuit quand Windows est payant, son c£ur (le code source) est accessible et modifiable à volonté quand celui de Windows est fermé à double tour. Des dizaines de milliers de développeurs du monde entier participent à son amélioration, pour en faire une version de Linux simple et destinée au commun des mortels.

L’arrivée, tous les six mois, d’une nouvelle mouture donne d’ailleurs l’occasion aux adeptes de se réunir lors d’une Ubuntu Party, comme le week-end dernier, à la Cité des sciences de Paris.  » Nous pouvons recevoir jusqu’à 5 000 personnes en deux jours « , raconte Olivier Fraysse, organisateur de l’événement, qui a eu le privilège, à l’automne 2009, d’accueillir Shuttleworth himself à ce grand rendez-vous.

Pour assurer la pérennité du système d’exploitation et son développement, son inventeur a créé, dès 2004, une fondation, tandis qu’une société commerciale, Canonical, propose des formations et des services payants.  » Cette année, plus de cinq millions d’ordinateurs vendus dans le monde seront équipés d’Ubuntu, souligne avec fierté Mark Shuttleworth. Nous venons de signer un accord avec le fabricant chinois Lenovo. « 

Dell, HP, Toshiba et Acer l’intègrent déjà sur certains de leurs PC et plus de 12 millions de personnes dans le monde l’utiliseraient aujourd’hui. Mais sa vraie puissance est ailleurs, invisible aux yeux du grand public. Les géants d’Internet, tels le site de e-commerce Amazon ou l’encyclopédie libre Wikipedia, ont installé Ubuntu sur leurs serveurs informatiques. De son côté, Google l’a adapté à ses besoins, sous le nom de Goobuntu.

Les entreprises ne sont pas les seules à se laisser tenter. En Espagne, 220 000 ordinateurs d’étudiants andalous bénéficient de ce logiciel libre, tandis qu’en France l’Assemblée nationale et la Gendarmerie nationale, avec 80 000 postes, ont cédé à l’appel de la gratuité, version Ubuntu.  » Même le film Avatar a utilisé des dizaines de milliers de machines équipées de ce logiciel pour créer les effets visuels « , selon un développeur, Didier Roche.

Pour autant, on n’en trouve nulle trace sur des marchés à forte croissance, comme les téléphones mobiles ou les tablettes tactiles. Un défaut que reconnaît volontiers Shuttleworth. D’ailleurs, ce célibataire de 36 ans, qui vit la moitié de l’année sur l’île de Man et navigue le reste du temps entre New York et l’Afrique du Sud, vient de céder les rênes de Canonical à son n° 2, chargé de rendre l’entreprise rentable. Lui veut désormais se consacrer aux grandes orientations stratégiques.

Car ce militant du libre sait que sa mission est loin d’être remplie. Windows détient toujours plus de 91 % du marché. Le bogue que Mark Shuttleworth s’était proposé de réparer en 2004 est toujours là. Et bien là.

Emmanuel Paquette

Amazon et Wikipedia ont installé Ubuntu sur leurs serveurs

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