» Le téléphone portable ne remplacera pas l’ordinateur « 

Michael Dell, fondateur du premier fabricant mondial de PC, prêche la prudence face aux évolutions accélérées du high-tech

A tout juste 40 ans, Michael Dell affiche une fortune estimée à 18 milliards de dollars, la quatrième des Etats-Unis. Mais Dell est surtout le fondateur du plus gros fabricant d’ordinateurs de la planète. Près de 1 machine sur 5 sort de ses usines, disséminées aux quatre coins de la planète, de Limerick, en Irlande, à Xiamen, en Chine, en attendant la construction d’un nouveau centre de production en Europe de l’Est, qui devrait être annoncée en avril. Que de chemin parcouru depuis 1984, quand, désertant l’université du Texas avec 1 000 dollars en poche, le jeune Michael assemblait, dans le dortoir de la fac, des micro-ordinateurs pour ses amis, qui, eux, ne séchaient pas les cours. Un parcours à faire pâlir d’envie les entrepreneurs les plus culottés de la Silicon Valley, d’autant plus agaçant que, conservateur depuis toujours – il conseille en technologie le président George W. Bush – il n’a pas adopté le style libertaire qui souffle sur la côte ouest américaine. Le conte de fées, pourtant, a connu quelques ratés à la mi-2005, quand des résultats décevants ont fait chuter son action de près de 30 % en quatre mois. Depuis, Michael Dell a pris du champ pour devenir directeur de la stratégie, laissant les rênes de son entreprise à Kevin Rollins. En Europe pour participer au forum de Davos, le Texan a répondu au Vif/L’Express sur le rôle que peut jouer son entreprise dans l’environnement en constant changement du high-tech. Une chose est sûre, il n’entend céder à aucune mode.

Vous annoncez cette semaine un accord avec Vodafone. De quoi s’agit-il ?

E Nous allons intégrer dans nos appareils, dès leur fabrication, des cartes qui permettent un accès à Internet sans fil, que ce soit d’un hôtel, d’une voiture ou d’un train ! Plusieurs technologies d’accès sans fil au Réseau, comme le GPRS, Edge ou HSDPA, seront intégrées au départ. Equipé d’un casque et d’un micro, l’utilisateur pourra même téléphoner depuis son ordinateur. Nous prenons acte de la convergence entre la téléphonie et l’informatique.

Justement, vous qui vendez déjà près de 1 ordinateur sur 5, pourquoi ne pas aussi fabriquer des téléphones portables ?

E Je ne vous dirai pas que nous n’y avons pas réfléchi. J’entends souvent dire que ce qui va concurrencer les ordinateurs, ce sont les téléphones portables, les agendas électroniques, les baladeurs numériques ou encore les consoles de jeux, autant d’objets aujourd’hui connectés à Internet. Mais je ne crois pas qu’ils vont remplacer l’ordinateur, dont les ventes progressent chaque année de près de 20 %. Car l’ordinateur est le seul à combiner vraiment la puissance et la polyvalence, c’est-à-dire la capacité à remplir des tâches extrêmement différentes.

Le téléphone portable aussi deviendra un objet à tout faire…

E Oui, mais il pèche par la taille de son écran, décidément trop petit. C’est vrai qu’il permettra bientôt un accès, via Internet, aux programmes de télévision, au cinéma… Mais je comparerais l’accès à Internet aujourd’hui aux modes de déplacement : il existe une multitude de façons de se rendre d’un point à un autre, par exemple la marche, la voiture, l’avion ou le train. A un moment, il faut bien en choisir un ! De notre côté, depuis vingt-deux ans, nous avons décidé de nous focaliser sur les ordinateurs. Nous préférons creuser notre sillon, quitte à l’enrichir de métiers comme le stockage des données, devenu stratégique pour les entreprises. Mais je peux vous dire que, dans cinq ans, nous vendrons toujours des ordinateurs. Dans dix aussi.

C’est difficile de ne pas céder aux modes ?

E Vous savez, en pleine folie Internet, on nous a beaucoup reproché de ne pas acheter à tout va, alors que nous disposions, à la fin des années 1990, d’une trésorerie de plusieurs milliards de dollars. Bien nous en a pris !

Comment réussissez-vous à gagner de l’argent alors que le prix des ordinateurs ne cesse de diminuer ?

E Tout simplement en continuant à appliquer notre méthode,  » direct from Dell « , toujours aussi efficace. En fait, cela veut dire un contact direct avec les clients. Savez-vous que, en 2005, 1,4 milliard de personnes se sont connectées sur notre site pour se renseigner sur nos produits. Grâce à cela, nous pouvons nous passer de boutiques. En ce qui concerne la production, elle s’adapte aux commandes, ce qui permet d’éviter les stocks de plus de quatre jours. Nos fournisseurs sont tous situés à moins de 15 kilomètres de chaque usine. Enfin, le parcours de chaque produit est suivi de manière informatique, ce qui permet à nos clients, professionnels à plus de 85 %, de suivre géographiquement leur commande heure par heure.

Est-il possible de continuer à produire en Occident ?

E Tout à fait. Non seulement nous avons construit au printemps 2005 une usine en Caroline du Nord, qui embauchera à terme 1 500 personnes, mais nous continuons à produire en Europe, dans notre usine de Limerick, d’où sortent chaque jour 22 000 ordinateurs.

Comment vous en sortez-vous ? Vous ne faites pas de recherche ?

E Vous plaisantez ! Nous dépensons chaque année plus de 600 millions de dollars, et cela mobilise plus de 4 000 ingénieurs. En revanche, j’ai une devise que je ne cesse de répéter à mes équipes : il ne suffit pas de chercher, il faut trouver. Et c’est bien le cas : nos batteries se rechargent pour l’essentiel en vingt minutes, nous avons été les premiers à assembler des ordinateurs sans vis, et nous allons vendre des machines qui reconnaissent l’utilisateur grâce à son empreinte digitale.

Que pensez-vous de l’ordinateur à 100 dollars proposé par le MIT pour équiper, dès l’an prochain, une partie de la planète qui n’a pas accès aux informations ?

E Ils ont essayé avec l’ordinateur à 5 dollars et, puisque ça n’a pas marché, ils lancent maintenant l’ordinateur à 100 dollars ! Permettez-moi d’être sceptique. Allez dans un village de ces pays et demandez-leur ce dont ils ont besoin. Je pense que, dans la plupart des cas, ce sera d’eau potable et de routes, non d’ordinateurs. Et puis, simple question de bon sens, s’ils ne sont vendus que 100 dollars, que peuvent vraiment faire techniquement ces ordinateurs dotés d’une manivelle ?

Steve Jobs, patron d’Apple, vient de vendre son studio d’animation Pixar à Disney, ce qui lui permettra, en échange, d’avoir Mickey sur son iPod…

E La grande force d’Apple, ces dernières années, est le lancement réussi de l’iPod. En travaillant avec les majors du cinéma, il construit un nouveau modèle. Nous, nous avons une stratégie différente, nous rapprochant davantage des entreprises et de leurs besoins en stockage d’informations, dont on n’imagine pas la vitesse à laquelle ils croissent, et en serveurs, qui permettent justement de gérer le flux de ces informations.

Vous vous méfiez des blogs…

E En effet, je pense que bloguer ne sert à rien. Si cela consiste à avoir un courrier interne pour donner des nouvelles de ce qui se passe à l’intérieur d’une entreprise, oui cela peut être utile. Mais si c’est pour mettre en vitrine des opinions pas toujours pertinentes, alors je n’en vois vraiment pas l’utilité.

Certains, comme Jonathan Schwartz, un des responsables de Sun Microsystems, s’y sont pourtant mis…

E Si avoir un blog était synonyme de bonnes performances, ça se saurait.

Vous avez planché devant le Mouvement des Entreprises de France sur la création d’entreprises. Pensez-vous que la difficulté de trouver des financements en est le frein principal en Europe ?

E Non, je ne le pense pas. En revanche, je pense que nous n’avons pas le même rapport à l’échec. Alors que, aux Etats-Unis, une faillite nous pousse à progresser, en Europe, j’ai l’impression qu’elle tétanise les banquiers et cristallise le regard des autres. l

Guillaume Grallet

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